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Sommaire - BD -  Les chroniques de Conan Tome 15 1983-Volume 1


"Les chroniques de Conan Tome 15 1983-Volume 1 " de Fleischer-Buscema-Kane-Alcala


Dans « La fille du Roi-Dieu », avec aux commandes Fleisher (scenario) et Gil Kane (dessin), nous découvrons un Conan en train de croupir dans des cachots, suite à sa récente escapade dans les draps de la belle Ayalla, la fille du Roi-Dieu de la cité d’Angkhor, au Kambuja. Mais ce dernier va faire une proposition au cimmérien. Si celui-ci libère cette même fille qui vient de se faire enlever par le sorcier G’Humen Thak, le roi lui promet en retour un trésor, de quoi se faire roi lui-même. Semant en chemin l’escorte royale du Roi-Dieu, Conan traversera des terres aussi inhospitalières qu’il affrontera des troupes levées spécialement pour entraver ses recherches. Ce qui lui fera vite prendre conscience que G’Humen Thak connaissait ses desseins bien avant qu’il ne franchisse les frontières du royaume. Ce ne sera que lorsqu’il se dressera enfin devant l’objet de toutes ses recherches, que Conan comprendra qu’on est parfois lu dupe d’un autre, quand il s’agit de survivre.
Une seule solution pour le cimmerien : tuer G’Humen Thak !
Même si c’est au risque de devoir affronter les pires des maléfices dans une forteresse cachant un grand secret dans ses entrailles...

« Le lion des vagues » est un court poème en prose durant lequel nous est relaté l’abordage d’une galère de pirates par Conan et ses corsaires noirs. Un seul enjeu : Bélit, prisonnière du chef borgne des pirates. La lance projetée par Conan dans le feu de la bataille, en guise de fin de non recevoir, achève cette histoire âpre contée par Alan Zelenetz ; et les planches en noir et blanc, bigger than life d’un certain Pablo Marcos transforment l’histoire en une sorte de mélopée baroque durant laquelle on sent ce parfum si particulier de l’aventure. Comme si des mots de Howard aux dessins d’un artiste viendrait s’opérer une curieuse correspondance romanesque, voir lus simplement poétique.

Dans « L’armure de Zuulda Thaal », (Fleisher, Buscema et Ernie Chan) Conan et ses hommes font la découverte d’une fresque dans un temple, des glyphes contant la légende de l’armure de Zuulda Thaal. Grace à Darius, un jeune ambitieux qui parvient à interpréter la légende, Conan décide de mener une équipée afin de retrouver les parties de cette armure : un plastron, des gantelets, et un arc magique. Chaque partie de cette armure est gardée par un gardien, que Conan vaincra à chaque fois. Mais au retour, Darius cède à la tentation et, revêtu de l’armure légendaire, terrasse Conan qui ne devra sa survie qu’à d’humbles habitants lui offrant asile dans leur cabane. Ravivé par sa rage de faire tomber un homme rendu fou par la magie, Conan finira par retrouver Darius et, au péril de sa vie, le faire tomber.

« L’évasion du temple » par Ernie Chan, nous décompte une histoire de Conan au moyen de simples planches en noir et blanc, sans bulles ni commentaire ; à l’imitation de l’art du récit iconique, l’artiste rend hommage à un personnage dont les hauts faits égales la légende.
Conan sauve une jeune fille d’un prêtre Kushite voulant la sacrifier à un dieu bedonnant. L’évasion, le combat contre la légion du prêtre, l’enlèvement de la jeune fille, le combat contre le serpent, et celui contre le fauve, émaillent cette histoire sans parole des instants essentiels d’une épopée héroïque où un barbare n’a pas besoin de porter une armure ou un signe religieux pour se dire vertueux et défendre une âme innocente. En cela, Ernie Chan se saisit parfaitement de la fonction et de la nature du barbare dans la culture populaire. Le barbare n’est ni un moraliste hypocrite ni un opportuniste patenté ; Rien qu’un homme qui décide à un moment d’imposer sa marque en conformité avec une morale qui demande toujours à être définie en fonction des situations, mais qui correspond quelque part à sa nature farouche issue d’un processus nécessaire d’aptation. Un barbare, né d’une civilisation corrompue qui vient de s’effondre ne peut pas forcément être un mauvais homme, mais « un penseur à la la limite », ayant su méditer assez longuement sur sa propre nature, et celle de ses semblables, pour se tenir quelque part entre l’humanité et la bestialité, comme on dit. Pas de culte de race pure, mais bien d’une pensée pure dans l’action.

« L’île du chasseur », avec Fleisher au scenario, Buscema au dessin et Rudy Nebres à l’encrage, nous conte comment un Conan, chef d’une bande de Zuagirs, reviendra flâner en Zamboula, malgré le fait que sa tête soit mise à prix. Pris dans une bagarre où la récompense était les charmes de deux drôlesses de peu de vertu, il se verra capturé par les gardes du grand Satrape Turanien. C’est la tête sur le billot, au moment même où le bourreau doit la lui trancher, que Conan se voit sauvé par les mêmes filles que celles de la taverne, deux soeurs, Sabrina et Saroya, fines bretteuses et catins sublimes. En récompense à leur intervention, celles-ci lui proposeront de les épauler dans une équipée : piller le trésor d’un vizir avare du nom d’Hassan Hassad Khan. Suite à une nuit torride, Conan leur cède et se laisse entraîner dans une courte traversée vers une île que garde un étrange saurien amphibien. Mais alors qu’ils touchent à leur but, Conan est assommé par l’une des deux sœurs. Cette équipée n’était qu’une duperie au bout de laquelle Conan sera convié à une étrange chasse où ce sera lui la proie. Bravant tous les dangers et profitant de l’opportunité de voir les soldats turaniens débarquer sur l’île pour s’entre-tuer avec les rabatteurs de gibier du vizir, Conan pénètre enfin dans le château du chasseur, et met un terme à la cupidité d’un homme, puis de deux femmes...

« Le sombre étranger » signé de la même paire d’acolyte Zelenetz/Marcos, souligne une fois de plus un trait de caractère de Conan, une anecdote. Une taverne, quelque part, un homme puissamment charpenté qui fait irruption, bouscule un autre de son tabouret pour prendre sa place. Le dessin flamboyant de Marcos relais la plume incisive et lacunaire de Zelenetz pour nous brosser un tempérament en quelques planches seulement, et un portrait sans concession aucune, brutal, radical, celi du barbare revenu de la guerre. L’art hagiographe s’illustre parfaitement ici dans l’éloge d’un barbare quasi divinisé par ses hauts faits. Mais aussi intransigeant qu’un animal toujours en cavale.

« Les parieurs d’Asgalun », sur un scenario de Richard Fleisher et les dessins d’Alfredo Alcala, nous raconte comment Conan, en prenant la défense de la sœur de deux vizirs et fieffés parieurs va se voir proposer par ces derniers quelque milliers de pièces d’or s’il part la chercher aux confins des terres connues, là où règnent les nomades vendeurs d’esclaves ; Après avoir été lui-même assommé puis vendu, Conan parviendra à sauver in extrémiste cette dernière d’un mariage forcé. Et à leur retour, leur apprendre qu’eux aussi savent faire des paris...

« Le rite de sang », avec au scenario Fleisher, au dessin Mary Wilshire et à l’encrage Armando Gil, conclue ce volume avec un morceau de la vie du barbare, pris sur le vif, lors de son adolescence. Des Vanirs courent les monts autour de son village cimmérien. Défié par son rival, Brule, Conan gagne les hauteurs pour se confronter à deux Vanirs sanguinaires et commencer ainsi ses premiers exploits guerriers dont il apportera la preuve au retour dans son village, avec en guise de preuve une lame Vanir.

Alors que notre barbare préféré semble toujours et encore connaître de nouvelles aventures entre les mains expertes et variées d’autres artistes et scenaristes, force est de constater que cette plongée dans notre passé grâce à l’entreprise titanesque lancée par Panini Comics, nous permet de renouer un peu avec ces grands anciens du genre qui ont fait la gloire des comics des années 70/80/90.
Cette reprise en intégrale du fameux « Savage Sword of Conan » ravivera chez les 30/40 ans de vieux souvenirs de frissons et d’exaltation, tandis qu’il suscitera à coup sur chez les plus jeunes le même choc esthétique que jadis.

La cinétique guerrière et l’art anatomique presque statuaire d’un Buscema, les tableaux à la gouache style renaissance d’un Barry Windsor Smith, les lignes plus cassées et roulantes, presque géométriques, d’un Gil Kane, la netteté ou la saturation d’un noir et blanc passé au lavis d’un Alfredo Alcala, les plans fouillés et les nuances contrastées au fusain d’un Ernie Chan, les encres bi-colores, les gris floqués et les blancs foisonnant d’un Rudy Nebres (dont l’oeuvre dessinée est aussi prodigieuse que celle d’un Buscema), et les contrastes flamboyant entre noir et blanc stylés d’un Pablo Marcos, le trait échelonné d’une Mary Shire et les contrastes cadencés entre les noirs et la clarté des blancs d’un Armando Gil, l’intensité compulsive dynamique, primitive et multicolore d’un Earl Norem, le quasi photographique et anatomique d’un Bob Larkin, ont tous contribué à établir une véritable école artistique d’un registre à part entière, celui de la Sword And Sorcery. Et force est de constater que, malgré les années, les dessins n’ont jamais rien perdu de leur force. A dominante latine, la première vague des dessinateurs de comics Conan venait de la grande école. Les beaux-Arts aux Etats-Unis étant souvent l’occasion de dénicher des crayonnés uniques parvenant à faire avec du dessin populaire du très grand art ; c’est ce qui ressort de cette nouvelle plongée, avec le même sentiment quasi religieux que celui qui devait animer jadis les premiers hommes devant leurs peintures rupestres. Authenticité, sincérité, passion, tous ces artistes ont contribué à un genre qui, malgré les mises en abîmes et les inconnaissances malpolies de la part des spécialistes, malgré le manque de reconnaissance et la grande pauvreté des maîtres d’oeuvres de ce qui demeurera un trésor artistique, ont su résister aux modes et à l’écrasement commercial. Qui donc se souviendra du géant espagnol Brocal Remohi (Taar le Rebelle), du magnifique Gil Formosa dans sa période la plus lyrique et picaresque (Cargal) ou du trop méconnu mais remarquable Gerard Basiletti ou enfin de Dare Goodacre et de ses pauses hyper-dynamiques ? NOUS !

Alors, bien entendu, il fallut bien en choisir un pour conduire la première ligne de Savage Sword, et ce fut l’inoubliable John Buscema qui sut avec circonspection enflammer les cœurs de ces adolescents un peu différents, un peu en marge, un peu solitaires. Des adolescents qui, plus rétifs à Tolkien, se perdirent durant des années avec délectation dans ces histoires absolues, sans lendemain, ces fresques barbares où le réalisme avait toujours rendez-vous avec la magie la plus noire car la plus animée par les passions humaines.

Mais l’entreprise lancée par les éditions Panini Comics nous rappellent une fois de plus que Conan, c’est un mythe populaire qui s’est construit et solidifié autour de plusieurs styles graphiques. Conan, c’est une entreprise artistique qui bien avant son passage au cinéma fit rêver plusieurs générations d’adolescents. Plus de quarante ans plus tard, cette monumentale anthologie nous permet de nous replonger avec bonheur au creuset même d’une ébullition artistique qui se poursuit encore jusqu’à aujourd’hui, avec par exemple le surprenant trait de Cary Nord et son barbare hérité de l’école de Richard Corben, et qui a su marquer son temps avec sa gueule, sa typologie encore plus populaire, comme tirée directement du peuple, des racines mêmes du mythe howardien. Cette résurrection se poursuit encore et toujours, oscillant entre des traits plus gothiques, d’autres plus enlevés, succins ou aériens, pour buter également avec délectation sur la caricature. Comme quoi, Conan est enfin disséqué sous toutes les coutures, et c’est plutôt bienvenu pour un mythe qui ne cesse de hanter les esprits depuis des décennies.

Les chroniques de Conan, Volume 15, 1983-Tome 1, Fleisher, Buscema, Kane, Alcala, éditions Panini Comics, 289 pages, 25 Euros.

Emmanuel Collot




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