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  Sommaire - Dossiers -  SUPER-HEROS : Les années 90/2000 ou l’apogée des dream-teams

"SUPER-HEROS : Les années 90/2000 ou l’apogée des dream-teams"

Emmanuel Collot


 
 


 
 

Sfmag a publié de nombreuses études d’Emmanuel Collot sur les Super-Héros. Cette publication se poursuivra dans les numéros qui suivront (au moment où ces lignes sont écrites, le No 88 est en préparation). Nous publions ci-dessous une partie inédite de cette vaste étude, partie qui concerne les années 90/2000)
Mais n’oubliez pas d’acheter les prochains Sfmag, dans lesqules nos super-héros , les Iron-Men et autres, continueront à prendre vie sous la plume alerte d’Emmanuel Collot !

S’il existe bien une particularité des équipes qui essaimèrent le monde des comics dans les années 90/2000 c’est cette prolixité à rallier à elles seules non seulement toute la rêverie des sciences futuristes (Intelligences artificielles, sciences extraterrestres, hybridations, etc…) mais encore cette violence rendue plus accrue par un contexte urbain nécessairement plus instable puisque à l’orée des grands chamboulements et derniers chocs de civilisation (massacres du Rwanda, World trade center, etc…) . Les X-Men, avec leur traitement de la différence entre mutants et humains et les nécessaires frictions qui en découlaient avaient déjà posé ce nouveau point de vue sur le monde des héros qui faisait une sorte de retour vers les guerres raciales et autres basculements éthiques (revendications communautaristes, combats pour l’égalité des races, droit à la différence). Les comics, nous l’avons vu, même s’ils suivent des chemins qui paraissent en dehors des sentiers du réel peuvent être souvent porteurs de nombreuses références culturelles, voir des symbolisations que l’on retrouve dans la vie courante. De fait, lorsqu’on s’amuse à dépasser le simple plaisir du lecteur lambda on se surprend à découvrir d’autres significations au cœur des intrigues, des formes nominales et des topos employés par les scénaristes.
Si les années 60 virent les fondamentaux de la société américaine chercher à asseoir un certain cosmopolitisme et un brassage ethnique plus large, si elles furent aussi celles qui virent les droits des noirs et la guerre au Vietnam comme des questions de premier plan pour la citoyenneté américaine (Se dire américain et rejeter son semblable parce que noir, se dire américain et refuser la guerre du Vietnam) , les comics suivirent discrètement cette évolution, un peu comme les vieux héros des premiers âges avaient suivi les épanchements humains face à la grosse industrialisation qui modifiait nécessairement la vie de chacun et de tous. Sans parler cette quête du territoire qui toujours hante tout américain, à la fois comme cette part du mal du colon et cette foi expansionniste qui est d’ouvrir de nouveaux territoires vierges pour une humanité en demande de nouveaux horizons.
Les équipes de super-héros, en tant que mode communautaire étendu à une pluralité ethnique (Colossus le russe, Logan le canadien, etc…) ne purent que suivre une fois de plus une phase de transition, comme un moment ultime qui du début des années 90 à 2001 faisait que le monde semblait comme retenir son souffle face à une grande inconnue. Demain était la grande inconnue, le groupe en tant que reconduction d’une instance collective se devait de traduire cette inconnaissance d’un futur qui se nourrissait à la fois des amertumes, désillusions et haines des années 80 suscitées par ce mondialisme nouveau et des illusions des années 70 qui revenaient en quelque sorte jouer un dernier tour. Les années 90 devaient jouer avec ces deux époques, comme deux extrêmes portées en un temps où l’horizon commençait à s’amoindrir. Le vertige des années techno faisaient comme un retour aux années hippies mais au moyen d’une rythmique plus forte, plus saccadée, plus inquiétante comme plus agressive. Le son devint électronique, le climat celui d’une décadence marquée par une esthétique dépouillée. Les comics en firent de même. Le trait du dessin se densifia, les muscles s’atrophièrent, les visages se colorèrent de couleurs baroques et vives comme pour quelque dernier rituel de passage, et les histoires prirent des dynamiques nouvelles et audacieuses dans lesquelles l’action n’était plus soumise du tout au temps et à l’espace mais faisait comme d’obéir à un élan vitale, mieux, une « fulgurante intensité émotionnelle ». Seul des comics, déjà en rupture avec le réel, ne pouvaient que parfaitement traduire ce dernier âge. Nous allons voir, au travers de plusieurs équipes parmi toutes celles qui ont marqué cette époque combien les sciences et leurs bouleversements, mais également les événements socio-politiques et militaires d’un pays peuvent marquer la tournure des histoires et la dynamique du dessin dans les comics.

Les comics comme le miroir « civilisationnel »d’une société jeune et évolutive ?

La vieille redite de ce dossier revient, comme un signe avant coureur d’une histoire des comics à ce point proche de notre histoire qu’il semblerait nous relire au travers de ces personnages de fiction. Comme si, de l’image au regard, peut-être un peu à la manière des hommes des cavernes de jadis, il y avait quelque chose qu’on ne ferait que redécouvrir, quelque chose que nous aurions toujours su mais qu’un voile de magie aurait caché par le jeu d’un malin génie. L’éternel retour Grecque fait un pied de nez au vieux rêve germain du ressentiment et du refus, pour dire simplement que nous sommes tous responsables, les uns des autres, mais également responsables des choses, des éléments, et des technologies nouvelles. Comme ces intelligences artificielles, sortes d’anges futurs, bons ou mauvais, comme peuvent l’être les hommes.
Le personnage de papier comme le double symbolique de nos vies de chairs ?
C’est ce que nous allons tenter de deviner entre la bulle et la case…

Les Wild-Cats ou la relève de la garde

Nous sommes au début des années 90. Un certain Jacob Marlowe s’éveille un 8 août 1990 dans la peau d’un SDF amnésique au cœur des ruelles malfamées d’un autre New-York. Faisons ici un arrêt sur un fait nouveau. Les formes nominales des personnages semblent avoir changé ou du moins c’est leur fonction qui aurait changé. Elles paraissent porter des éléments qui pris un à un, nous ouvrent sur de nouveaux continents de significations. Pris littéralement, Jacob, celui de la Bible, correspondrait à une sorte de saint menteur et Marlowe réfèrerait à un détective du polar noir américain, un certain détective désabusé et pourtant besogneux menant avec brio ses enquêtes, malgré ses tares et vices. Nous avons donc là deux formes nominales qui par les différents référents auxquels elles renvoient donnent un flagrant aperçu d’une nouvelle donne dans les comics : la dualité des personnages, leur perte aussi, puisque celui-ci s’éveille dans les rues de New-York, amnésique et SDF. On résume alors auparavant, en deux ou trois pages, sa vie sous la forme d’une biographie lacunaire. Trente ans durant lesquels il fut un déçu des années 60, un laissé pour compte des années 70, et un persécuté des années 80. De façon imagée, les Etats-Unis semblent faire au travers de l’histoire des comics le procès de ses propres révolutions passées et de leurs inévitables échecs, et curieusement l’histoire des comics aussi. Un rebondissement culturel et voilà que nous assistons à une espèce de renaissance du genre. Rappelons le, les années 90 ne furent pas les meilleures pour les vieilles équipes comme les 4 Fantastiques, les Vengeurs voir mêmes les X-mens, qui semblaient comme avoir perdu leur lointaine Némésis. Alors vint une nouvelle génération, une génération qui devait s’inventer sur un nouveau pôle en prenant en compte un monde nouveau, désenchanté en même temps que plein de promesse. Ainsi, s’intégrèrent de nouvelles données dans l’architectonique des super-héros, qu’elles soient technologiques, para-militaires ou idéologiques. Le mythe du SDF débarquait aussi d’une façon plus éhontée dans les comics, et une société ouvrait peut-être enfin les yeux sur ces exclus qui étaient pourtant des hommes et n’avaient pas droit à exister. Mais c’est plus subtile ici, tout est possible, nous sommes encore dans la sphère du miracle car dans la fiction. La violence aussi connaîtra sa propre mutation, presque immédiate, comme d’une outrance nécessaire pour satisfaire à ces générations avides de faire entendre leur colère ou leur frustration.
L’histoire prend alors un cheminement plus recentré sur la destinée, les comics sont partis à la recherche de sens. Et ça marche…
Une entité ayant les traits d’une femme qui manque d’arracher une orbe très convoitée deux ans plus tard (la faconde américaine pour les flash back et les bonds dans le futur des personnages) tandis que les Crossovers futurs s’annoncent déjà avec une autre équipe (Cyberforce), un peu comme il avait été fait jadis avec tant de réussite pour les X-men et la Division Alpha. Nous sommes au début des années 90, et les comics traduisent aussi les échecs américains, ou les précèdent, comme si ce jeu n’était qu’un jeu qui se répétant à l’infini. Le grégaire offert par les champs des comics ne peut pas offrir de plus juste illustration de la chose. Le massacre au Somalie d’octobre 1993 n’est pas loin et déjà les comics parlent des échecs d’une politique américaine toujours en décalage avec ses forces armées (ici des brigades de super-héros pratiquant de plus en plus l’ingérence militaire, avec des déchirements qui mettent toujours en question devoir et pouvoir. Pourtant, là, l’intervention était peut-être plus justifiée et traduisait une nouvelle fois les inévitables complexités qui accompagnent l’interventionnisme. Les Etats-Unis risquent, mais comment parler toujours d’échec quand il ne s’agit pas forcément d’un acte d’intransigeance mais bien de conservation voir de protection. Le géo-politique a un prix, dans les comics également, comme cette arrivée de personnages nouveaux qui dans la saga Cyberforce va opposer pour la première fois un pouvoir contre lui-même, mais nous reviendrons sur ça plus tard.
La nouvelle ère des équipes naît donc d’un naufrage, d’un échec, que nous devinons venir puisque le personnage principal, ce SDF doué de pouvoirs, prendra peu à peu conscience de son importance dans cette guerre de partis où finalement chaque équipe de super-héros semble avoir une fonction politique dans un contexte territorial précis. Ainsi qu’une autre fonction dans une guerre prenant des dimensions plus conséquentes. La guerre contre les sentinelles et dépassée, on y préfère des implications autant métaphysiques que de territoire, sans parler d’une éthique qu’on semble rechercher quand on est porteur d’un grand pouvoir. Voïd, qui sauvera Jacob de la mort, l’invitera donc à former un groupe de super-héros, une nouvelle génération pour un nouveau Charles Xavier se relevant des déceptions de ses prédécesseurs. Mais se souvenant également de leurs espoirs, jamais vains. Puis, les pages défilant, on va découvrir très vite que ce leader n’est plus un SDF mais un magnat milliardaire pour lequel SDF n’est qu’un état provisoire dans lequel une soirée l’avait probablement plongé pour un verre de trop. Deux ans ont passé et on retrouve quasiment la même scène, un homme recroquevillé dans une ruelle, une bouteille vide en main. Et on se met en présence ici d’une autre constante du rêve américain, celui de toujours se jouer des états définitifs ou des apparences. Le SDF est peut-être un ancien milliardaire passé dans l’ombre et le milliardaire un SDF qui joue à se perdre, telle est la légende qui nimbe chaque américain, tel est le mythe du riche et du pauvre qu’on devine parfois dans les rets d’un genre si protéiforme, si changeant. Jacob a donc bien dupé les lecteurs et le détective Marlowe retourne à son bureau… de milliardaire. Le destin ici semble faire montre de plus de tolérance avec ses élus. Car entre ces deux Marlowe il y eut une rencontre. Le trait évangéliste se moire du manteau des technologies futures pour transcender l’habit des vieux archétypes (Marie, les anges de la rédemption, etc…) et gagner la vie d’un clochard qui en deux ans est devenus milliardaire mais est demeuré somme toute le même. Combien de vies sont résumées dans cette interface symbolique, ces deux réveils qui de la page 2 à la page 6 nous parle de deux conditions sociales différentes mais du même personnage ? Et quelle belle rêverie que de voir des entités autonomes faire figure de nouveaux visages divins pour influer sur la vie des hommes. Mais nous sommes dans le monde des comics, n’est-ce-pas. Dans le réel tout ceci finirait mal, dieu et les anges paraissant parfois si peu naturels pour des hommes aux instincts meurtriers profondément inscrits dans leurs gênes mêmes, il suffirait de rajouter de très hautes technologies pour retomber dans les mêmes folies que les grands passés de l’inquisition. Le monde des comics possède cette magnificence qui est de pouvoir user d’archétypes divers en les débarrassant de leurs ornements grégaires, en leur interdisant cette folie à vouloir ordonner le monde selon un dessein qu’on voudrait bon pour tous.

Un autre portrait de l’américain débauché s’impose ici, tout comme le Bruce Wayne de Batman sut en imposer un autre. Un homme peut être un déviant tout en suivant un chemin de grande gloire, et cela même s’il ne l’a pas voulu. La doctrine de la prédestination fonctionne si bien dans les comics que les héros peuvent à la fois être de grands hommes tout en assumant leurs doutes et leurs faiblesses. L’exemplarité n’est pas tributaire de notre être social dans l’univers des comics, car on poursuit un idéal et on travaille pour cet idéal, car on se trouve immergé dans une sphère des miracles où tout est réalisable, il suffit d’y croire. Dans le réel, l’exemplarité est comme liée à l’être social, comme son miroir réfléchissant. D’où cette hâte parfois à juger son prochain qu’on nous montre du doigt non plus comme soi-même mais comme cet autre qu’une parole libre et volatile, c’est-à-dire sans autorité morale pour l’authentifier ou la sanctionner, décide de juger ou pire, de dénigrer de manière tout à fait arbitraire selon des schémas anti-laïcs. La déviance et l’héroïsme ne vont pas de pair dans le réel où la déviance morale, même légère, étant un mauvais exemple pour la communauté, le porteur de cette déviance se verrait aussitôt sanctionné ou limité. A moins de demeurer dans le mensonge et les apparences que confèrent certains médias. On retrouve ici le vieux problème de l’idéal politique : Gouverner pour un modèle ou gouverner en s’imposant comme un modèle. Sans parler d’une certaine hégémonie médiatique, parfois d’ailleurs brillamment mise en scène dans sa folie doctrinaire par les comics car mobilisée par des pouvoirs contraires voir dangereux. Quand ce ne sont pas tout simplement de puissants courants d’influence économico-libérales installant une corruption assez généralisée pour en chasser et le bien commun et les droits individuels au profit des plus forts, mais pas forcément des plus méritants. A contrario, nous avons un autre pouvoir, celui qui commence à s’installer et que les comics ont dénoncé parfois (cf « Dieu créer, l’homme détruit ») où finalement, la réussite dépend du fait que l’on croit en dieu et donc à un dessein généraliste, et donc au sens. Si on sort du sens on est en dehors de la cité de dieu, et donc non valide. Faut-il voir dans ce modèle qui a perduré en silence dans nos sociétés laïques comme le plus vieil archétype des débuts de l’inégalité entre les hommes ? Bien plus, faut-il faire pour autant la guerre à ceux qui bien que adhérant à un dessein originaire se sont toujours conformés aux droits d’un pays et se sont toujours efforcés de respecter leur prochain, croyant ou pas ? Vieux problème, mais qui se retrouve parfois avec intelligence au cœur des comics non pas comme un parti ou un pouvoir qu’on désignerait comme nuisible et donc à abattre mais plutôt dans le sens où du fait qu’il constitue une sphère de pouvoirs animée par des hommes ses actions peuvent parfois dévier du bien commun et des droits individuels. Les comics offrent des solutions que la réalité est en droit d’interpréter en terme de sentiment et de possibilité, d’envie de participer à un monde meilleur. La vertu est là, entre les déchainements de violence et les duales sans fins qui animent ces héros aux talons d’Achille. La parabole Grecque nous parle, nous défie de trop d’orgueil. Le monde des comics nous signifie qu’un monde meilleur est toujours possible, dès lors que l’on se bat en pensée et en actions envers son prochain comme soi-même, pour sa venue, en se gardant des utopies et des idéologies. Le trait juvénile du dessin parle ici au devenir politique, non pas comme une guerre de tranchée entre deux parties mais bien comme une lutte contre cette pensée du vide qui nous pousse tant à l’inaction et contre cette pensée du chaos qui nous fait faussement croire que c’est dans l’agression et la torture, la violence, l’assassinat et l’exclusion qu’une société humaine devient une grande nation.
Dès lors, pour Jacob Marlowe tout devient possible. Peut-être parce que venant du plus bas et insipide du monde un individu nu et désargenté est plus à même de réaliser de grandes choses. La doctrine de la prédestination connaît là sa plus grande expression, ce que seul le cadre du fictif est encore à même de permettre.
Voilà pourquoi l’apparition de la firme Image consacra peut-être la plus grande révolution dans l’histoire de la bd, parce que tout comme DC le fit avec Batman on y parle de personnages profondément torturés ou ouverts à l’ultra-violence, à la fois comme symptôme et comme remède.
Oui mais attention, Batman appartenait à une aristocratie, Charles Xavier d’une espèce d’élite intellectuelle à volonté humaniste. Le leader qui arrive à la tête des Wildcats devient le responsable d’une équipe au comportement nouveau, profondément violent, mobile. Bref, passé et présent se rencontrent pour donner peut-être une somme essentielle et un condensé du genre, et cela en quelques années seulement. Une fois de plus, le trait des comics rejoint l’anecdote sociale. Les années 90 furent celles du tout libertaire où le porno jouait avec le puritanisme, sans qu’aucun des deux ne domine l’autre, sans le jugement définitif. Cela va à l’opposé de nos années 2000 où la firme Image malheureusement occultée (surtout en France où les supports en cour n’ont pas tout publié) finira par retourner dans les alcôves de cet énième âge d’or. Curieusement, Marvel en ressortit grandie, alimentée qu’elle fut par cette dynamique sans équivalent. Les héros prirent alors de nouvelles directions, sombrant parfois dans le commun des mortels pour offrir aux lecteurs de nouveaux enjeux et perspectives (le remarquable « Penance » chez Marvel). Tout en demeurant ce qu’il était le héros devenait plus humain, plus proche du lecteur aussi. L’image iconique et l’image guerrière s’effaçaient au profit d’un nouveau souffle humaniste et une vision évangéliste réconciliée avec le public, même les non croyants (cf. le chef d’œuvre qu’est « Le Complexe du Messie » publié par Marvel).

Revenons au phénomène Wildcats.
L’ivrogne patenté est donc un milliardaire qui va pourtant devenir un leader. Nous l’avons dit, entre Charles Xavier et Jacob Marlowe il y a deux mondes qui se font face mais un même espoir qui semble avoir survécu. Il y a également un changement de cap, de destin. Si avec Charles Xavier nous avions un homme nu qui prenait à lui tout seule le destin des mutants et des mortels dans un dessein illusoire de les voir cohabiter ensemble, il y a chez Marlowe une nouvelle perspective en cour. Bien loin d’être un homme de libre arbitre, Marlowe est le prince EMP, un Khéroubim qui est désigné pour se dresser face aux agissements de la Cabale, faction subversive et mystérieuse déstabilisant l’Amérique à tous les niveaux, et donc le monde. Le cosmopolitisme reprend son envol, pourrait-on dire ici, mais en des significations et images novatrices pour le genre. Du coup, la révolution des comics a bien lieu, et elle ne portera que le nom d’une seule firme : IMAGE.
Le géniteur de ce premier groupe de super-héros se nomme Jim Lee. Et autant dire que ce coup d’essai fut un coup de maître. Ceux qui, à la vue des superbes couvertures redoutaient le pur plagiat furent rassurés. Bien loin de singer ses illustres prédécesseurs les Wild Cats imposaient leur propre marque dans les esprits des lecteurs. Mais qu’est-ce qui put susciter à ce point l’adhésion tant des jeunes lecteurs que celle des plus vieux qui ne lisaient déjà plus les X-Men ? Le charismatisme de ses personnages d’abord. Tout était chamboulé, rogné, comme si chaque personnage venant d’un chaos incommensurable se devait de réinventer son propre modèle. Maul pour Colossus et Sasquatch, mais dans une tenue plus outrée, colorée, Warblade pour serval dans un exosquelette plus high-tech, Vaudou pour rappeler une certaine Ororo mais dans des pouvoirs différent, Marlowe pour nous inventer un autre Charles Xavier, comme après une cuite en boîte de nuit et quelque errance de magnifique looser. Les comics collèrent une fois de plus à merveille à leur époque, celle des années techno qui de 1990 à 1997 en gros firent les beaux jours des boîtes de nuit, des cuites terminées sur les bancs des rues, des parties de jambes en l’air risquées et des sublimes errances musicales lors des « Raves Party ». Tout se devait donc d’être plus turbulent, plus coloré, comme déjà dit, mais plus fou, plus incontrôlé surtout. Et la sauce prit si parfaitement bien que les comics connurent comme une seconde vie. Alors que les X-Men connaissaient une sorte de magnifique crépuscule les entraînant quelque peu sur quelque lointaine île utopique, voilà que du sang neuf s’insufflait enfin dans ces cases qui avaient fait rêver des générations entières. Et sans sombrer dans la copie, c’est là la grande réussite d’Image. Marvel, on le sait, connaissait un passage à vide. Image était apparue non pas pour prendre le relais mais pour redonner un coup de jeune, en quelque sorte, tout en installant durablement sa propre légende, ne l’oublions pas. Soyons donc certain que si cet événement n’avait pas eu lieu la Marvel d’aujourd’hui nous présenterait un visage bien morne. Ce qui fait que la firme Image a à jamais instauré sa griffe dans l’univers des comics.

Un manichéisme faussement naïf

La Cabale, les Kherubimes et les Daemonites, sont les trois parties principales en cause dans cette saga. Choisir une espèce de dessein originel pour engranger d’une équipe de super-héros n’est jamais aisé. Dans les X-Men, ce qui était facile, c’était le référentiel à Charles Xavier comme le médiateur de son équipe et des autres qui en découleraient. Jim Lee eu donc un premier challenge à remporter, celui d’une cohérence scenaristique. Tous les schémas des équipes de super-héros avaient été utilisés plus qu’à raison par les firmes Marvel et DC, il fallait donc bien l’inventer, ce nouveau dessein. Exit le modèle un peu aléatoire et hasardeux des élus pour être des mutants (et souvent des parias). Lee se demanda donc s’il n’était pas possible de chercher un peu dans les vieilles doctrines new Age et ésotéristes s’il se cachait quelque substantifique moelle pour insuffler ce ton nouveau qui au début des années 90 peinait à venir dans le monde des comics. C’est ainsi qu’il eut l’idée de reprendre certaines thèses issues des grands maîtres fondateurs de l’archéologie mystérieuse et autres arpenteurs des civilisations extraterrestre du temps passé qui seraient venus nous coloniser ou du moins jouer un rôle fondamental dans l’histoire de l’humanité et bien plus, dans sa maturation difficile. C’est un fait peu explorer par les chercheurs sérieux du genre, ce référentiel à des auteurs comme Von Daniken et autres Robert Charroux, mais c’est le coup de génie de Jim Lee d’avoir su en digérer les merveilles rêveuses pour dynamiser son histoire, même s’il ne semble pas en faire grand effet dans ses rares interviews. De fait, pour comprendre l’histoire globale à laquelle nous ouvre cette nouvelle ère des Team-Heros il faut bien avoir en tête ce fond mythologique qui des années 50 à nos jours n’ont eu de cesse d’inventer ces desseins étrangers à notre si lente évolution. Ainsi est né ce nouveau monde (qui d’ailleurs pourrait très bien être le nôtre) où deux races extraterrestres, les Kherubims et les Daemonites, les uns défendant un dessein altruiste concernant l’humanité, les autres faisant un peu figure de fascistes en puissance et dont La Cabale, qui est une espèce de branche installée sur terre pour préparer leur retour, est en charge de mettre à mal et les mortels et les défenseurs du bien communs qui vont s’incarner dans un leader hors du commun, Jacob Marlowe, alias le prince Emp. Dès lors, les jalons sont placés, et l’histoire qui en ressort exercera sur les fans les plus jeunes comme les plus âgés son sortilège puissant. La rêverie étant l’apanage d’une culture fondée sur l’image, il allait sans dire que cette résurrection des grandes équipes dans la lignée des quatre fantastiques, X-men, Vengeurs, Inhumains et autres Division Alpha n’était pas pour déplaire. Dès 1992, date de la première parution, le succès fut immédiat. C’était le temps de la nouvelle vague. De nos jours, où les théories des terribles reptiliens se répandent sur internet, que les complotistes se régalent en théories plus ou moins vaseuses, le fait qu’un créateur ait penser utiliser des objets de croyance pour en faire des instruments propres au rêve est à saluer. En définitive, la Terre dont nous parle Jim Lee est un peu une autre Terre, comme le fit Claremont pour les X-Men. Mais on n’y est plus simplement un mutant « par hasard » mais bien le résultat d’un processus d’hybridation, de croisement d’espèces, au plein sens du terme. Les guitares électriques des années 70, le son synthétique des années 80 et les effets électroniques des années 90, tout concordait, l’histoire des super-héros suivait donc bien le même principe évolutif, le dernier stade de la transformation donnant en quelque sorte le symbiote parfait issu de manipulations génétiques, de la haute cybernétique et de l’intelligence artificielle. La techno, en tant que danse, fut leur rythmique, cela balançait plus vite, était plus violent, il y était question d’individualités s’exprimant dans un groupe, avec toutes les contradictions d’une danse faite de déhanchés et de faux pas, de gesticulations et des reproductions de quelque rituel totémique primitif. L’homo-superior n’était pas un aryen, victoire de la fiction sur le réel et ses abjections, mais un être ayant parfaitement assumé et ses contradictions et sa nature définitivement hybride, sa nature non naturelle. Les éprouvettes des ET ne sont pas loin, et finalement ça fait du bien à l’orgueil humain si complaisant avec ses schémas originels, tout en n’ôtant pas le droit à chacun de croire en ce qu’il veut, suprême vertu du dessin sur le réel.

Le groupe comme un vaste champ d’expérience et une tentative de taxinomie des individus

Ce qu’il y a de plus séduisant d’emblée dans le groupe c’est notre besoin de rechercher ce double auquel on aurait aimé le plus ressembler, parce qu’il est fort, rusé, habile, a des pouvoirs, bref parce qu’il est à la fois ce que nous aimerions être et en même temps ce que nous sommes en puissance en nous même. Le principe d’identification n’est pas nouveau. Des grands classiques comme « Le Club des Cinq » de la grande Enid Blyton est là pour nous en apporter une illustration plus littéraire quoique s’inscrivant exactement dans la même optique. Un groupe de quatre jeunes aux qualités différentes, un chien qui fait un peu office de force primitive, ce qui ne veut pas dire sans intelligence, très tôt, dès les années 1940, le roman s’occupa de cette préoccupation affective à vouloir retrouver dans un support imaginaire les qualités qui sont en nous, mais de façon plus symbolique. Il en va du même processus de projection dans les comics. Si dans les années 1940 on devine bien que la peur de la guerre mondiale et ses effets engendre ce besoin de communauté de sentiments (d’ailleurs aussi bien célébrée par la Communauté de l’anneau de Tolkien et dans les personnages de Narnia de Lewis) et de partager un destin commun, de nos jours il en ressort de besoins plus recentrés sur ce vertige sociologique nouveau, comme le besoin d’appartenance, la peur de l’exclusion, la revendication de l’identité et les frayeurs des grands bouleversements démographiques. Le mélange ethnique est nouveau. Chez Tolkien, Lewis ou Blyton il était encore très occidentalisé, et ne s’adressait en somme qu’à la sphère du Nord. Avec les comics et leur tendance au multiculturel, les lecteurs disposaient enfin d’un support au plus large panel propre à satisfaire à ce regard plus large qui depuis les milieux des années 60 cherchait à se faire reconnaître en tant que multiculturalisme. La fiction devance les grandes résolutions sociales, les comics les préparent, sans leur donner de dessein propre mais en faisant appel au sentiment, la suggestion de ce pouvoir premier en nous qui est qu’en somme tout peut changer, il suffit pour cela d’y croire et de s’associer. Ainsi est reconduit le vieux pacte de la citoyenneté, avec les mêmes déchirements et défections que dans le réel, les super-vilains faisant figure de groupes ayant déviés de la communauté de sentiment pour s’enfermer dans le grégaire inégalitaire du communautarisme rigide et borné, manichéen et concentrationnaire.
Le groupe comporte des genres, des types travaillant ensemble à l’édification d’un caractère. Ceci fait que le plus simple archétype de héros est à même de nous informer sur nous et sur ceux que nous côtoyons. Bref, tout comme la psychanalyse de base, l’introspectif offert par les comics nous renseigne à plus d’un titre sur nous et le monde. En somme, il ne faudrait donc pas voir les psychologies sommaires des personnages de papier comme de simples inventions mais comme des modèles référentiels qui étonnement fourniraient aux lecteurs voulant creuser plus profondément un matériel de base pour comprendre une évolution double, celle du personnage de papier et celle du lecteur qui installé dans la fleur de l’âge se cherche toujours un peu en dehors des modèles préétablis par la société, paternalistes ou « maternalistes » qui certes ne sont en rien nuisibles, bien au contraire, mais qui ne sont peut-être pas les seuls à éprouver pour un enfant assez éveillé par sa société et les productions matérielles qu’elle fournit comme une simple bande-dessinée. Vocation didactique du comics ? D’un certain point de vue, c’est une possibilité à considérer, quand on veut comprendre un processus éducatif qui doit tenir compte d’un très grand nombre de supports, même les plus inattendus…

Il y a donc des genres et des types

Voïd (Adrianna)

Genre : Est un peu le Phénix de service mais est omnipotente et ne subit pas son pouvoir. C’est un peu le guide servant de faire valoir à toute l’équipe. Entité virtuelle, elle est la gardienne des orbes qu’elle recherche partout dans l’univers. L’orbe est la clef qui fait traverser les mondes, et les Daemonites les recherchent de fait pour ouvrir leur monde de colonisateurs sur le nôtre et envahir la terre. Imberbe, au costume métallique, elle évoque quelque univers étrange et immatériel. Elle ne fait montre d’aucun caractère particulier mais sert en quelque sorte de rédemptrice pour les Kheroubims égarés et les hommes en manque de cohésion au sein de leur équipe de super-heros.
Type : Pouvoir de passage entre les mondes mais aussi en divers points du globe terrestre. Elle constitue en quelque sorte le mentor du prince EMP pour sa capacité à régler les questions plus universalistes ou les luttes plus insoupçonnées, relevant de sphères plus subtiles.

Maul

Genre : humain hybridé, individu résultant du croisement entre génome humain et extraterrestre. Peau à la carnation verte, imberbe (physique de rugbyman ou de footballer américain), capacité exponentielle à accroître sa masse musculaire.
Type : violent, instinctif, tendance à la préservation du groupe au mépris de l’individualité, mais profondément interventionniste envers ses partenaires et un bien commun. Sa psychologie correspondrait plus avec celle d’un manœuvre ou d’un culturiste en contact avec le monde de façon très physique, même dans son langage très minimaliste. Ce qui n’en fait pas un esprit primitif, mais bien le pilier à la base de cette équipe, au sein de laquelle il n’a d’ailleurs pas peur de donner une correction à certains membres au sang chaud (Warblade). Il rappelle à plus d’un titre, pour cet effet tampon qu’il incarne entre certains membres, un certain Colossus des X-Men qui servit de médiateur entre un serval à la limite du psychotique et un Cyclope altruiste trop consensuel dans son comportement.

Warblade

Genre : Humain muni d’implants (exosquelette), équivalent à ceux de Serval. Il peut prolonger ses membres pour en faire des armes redoutables, comme Red Richard, l’homme élastique des quatre fantastiques.
Type : individualiste, agressif, mais plus réfléchi que son alter égo de la Cyberforce, Ripclaw. Protecteur, sans être un dominateur. Son mode discursif est typiquement celui d’un américain moyen, employé au sein d’une grande société (Il nomme EMP « Boss »).

Grifter

Genre : Humain, cagoulé, tireur d’élite maîtrisant et possédant un grand nombre d’armes de poing.
Type : Réfléchi et méticuleux, propre à prendre des initiatives et doté d’une méfiance toute naturelle qui l’invite à conserver son intégrité au sein du groupe tout en y prenant part. Plus équilibré qu’un Punisher il cultive une grande patience et une sagacité à mener à bien toutes les missions. Il a l’étoffe d’un leader, un peu à la manière d’un Cyclope, mais ne franchit pas le pas, contrairement à ce dernier car répugne à commander et à endosser des responsabilités. Il est aussi le sauveur des causes dernières ou celui qui vient chercher les membres désignés par le groupement pour intégrer les Wildcats et éviter les foudres de la Cabale. Enfin, Grifter n’a pas sa langue dans la poche et dépasser ou contredire les ordres donnés, même par Emp, ne lui pose pas de problème éthique. Il fait figure d’éternel rebelle du groupe, quoique fidèle en une certaine manière.

EMP

Genre : Kheroubim amnésique qui occupe une position de taille dans l’économie de son pays et qui aime commander comme un leader de grande société, décentralisant le principe même du commandement en donnant libre court à l’initiative personnelle. Il est aux antipodes de la méthode de Charles Xavier, plus paternaliste. Il est en outre un redoutable adversaire au combat rapproché.
Type : Il est tout le contraire d’un Charles Xavier, même s’il cultive le même charisme de chef. Il est plus vénal, sa petitesse ayant eu pour conséquence de développer une propension à prendre la situation en main, à défendre des valeurs de groupe (il n’est pas naïvement universaliste comme Charles Xavier ou dévoré par une foi communautariste comme Magnéto) tout en demeurant le même homme, rompu à ses vices et déviances, bien humaines celles-là. Il n’en demeure pas moins qu’il émane de sa personnalité un sentiment entier de séduction. Bref, il est l’archétype moderne d’un Charles Xavier assumant enfin son être social, érotomane, ambitieux, rusé, conquérant et alcoolique, et sa fonction de sauveur, en quelque sorte. Type et genre s’identifient chez lui où sa petite taille et son costume façon vieux détective bien sur lui en fait un personnage très influent sur les membres de son équipe. En cela, il illustre à la perfection son nom à la double signification, Jacob/Marlowe.

Spartan

Genre : Androïde, leader des Wildcats officiellement. Capable d’émettre des bio-rayons à haute fréquence.
Type : réfléchi et posé, il est la force tranquille du groupe, toujours prêt à trancher dans le vif quitte à se sacrifier. Il est le personnage le plus effacé du groupe, peut-être parce que le plus long à développer une personnalité plus autonome…

Vaudou

Genre : danseuse dans un cabaret elle ne découvre ses pouvoirs que tardivement, lorsque Grifter vient la sauver de la Cabale. Femme descendant de la race hybride Humano-Kherubim. D’apparence humaine, elle exerce sur le public une fascination difficile à expliquer jusqu’au moment de sa rencontre avec des membres de la Cabale dont elle reconnaît les camouflages psy, et les Wildcats dont elle deviendra un membre au pouvoir grandissant. Son personnage est un mélange de Jean Grey et d’Ororo. Et on peut aisément la comparer avec

La Coda

Type : Elle dispose en quelque sorte de pouvoirs d’empathie, peut lire les pensées, les contrôler et de là influer sur le comportement. Mais son plus grand pouvoir est sa capacité à démasquer les Daemonites qui se cachent dans l’esprit des hommes, les investissant mentalement et physiquement. Spiritualiste et philanthrope, elle est naturellement dirigée vers le bien de son prochain. Schéma typiquement judéo-chrétien qui contredit quelque peu son nom la rapprochant d’une sorcière, et chose curieuse, terme employé par les Daemonites. Très intéressant renversement des rapports via une race extraterrestre faisant figure de nouveaux persécuteurs, façon inquisition du temps passé.

Zélote

Genre : Race des Kherubims, enclines à protéger l’humanité contre leurs ennemis séculaires, les Daemonites. Sans pitié dans ses combats, elle ne se connaît pas de maître ni n’entretien une quelconque peur envers quoi que ce soit. Elle est l’archétype même de la femme réalisée et autonome. Rapide, véloce, elle ressemble en beaucoup de point au personnage de Balistic dans la série Cyberforce pour sa force de caractère et son goût pour la perfection dans ses missions.
Type : Elle n’a pas son pareil pour sa propension à faire de l’intuition un puissant instrument de probabilité qui frôle le don de prophétesse. Epéiste éprouvée elle dispose d’une force herculéenne qui en fait l’égale des plus puissants membres de Wildcats.

Le parti pris pour un dessein originaire opposant deux races participe au succès de cette série où les groupes que son Wildcats et La Coda sont un peu les équivalents des X-Men et de la confrérie des mauvais mutants de jadis. Rajoutons à cela les Q.I. qui avec leurs armures cybernétiques font un peu figure de « Sentinelles » de service et ont est assuré de jouer là un gigantesque jeu de pouvoir où derrière les antagonismes, la violence constante et les dilemmes se jouent toutes les périodes de l’adolescence où les maux sont un peu les déchirements magnifiques qui traversent ces personnages hors du commun. Car c’est par le principe d’identification à des vies illustres qui n’ont que des existences chimériques de papier que l’on prend alors peut-être conscience que nos petites vies détiennent souvent de grandes responsabilités et que nos pouvoirs sont parfois plus grands que ce que le simple regard détermine dans une société où le rang est dépendant des revenus, donc de la notoriété. C’est en réinventant ce jeu du double où ce sont les archétypes qui traversent le miroir pour nouer avec chacun de nous des rapports très intimes que nous nous réapproprions le sens même d’un certain sacré. En inversant le paradigme d’Alice au pays des merveilles et en convoquant ici-bas les figures mythiques de jadis, mais sous le visage de la modernité, les comics nous font renouer avec cette vieux rite de la transformation, du dépassement de soi, du rite de passage qui de l’adolescence à l’âge adulte nous offre une chose essentielle : le sens, non pas le sens en terme ontologique mais le sens en tant qu’il est pris comme un rituel approprié à chacun, individuel dans son processus et universel dans sa résultante, c’est-à-dire ce désire libre et réfléchi d’adhésion à la communauté des hommes, en tant qu’entité individuelle et unique. C’est là une vertu qui pourrait-être allouée aux comics, indépendamment des marginalités, exclusions et repliements sur soi-même, qui font aussi que dans ce passage terrible de l’enfant à l’homme qui est à la base de toute tribu humaine il se fait autant d’échecs comme d’inévitables écueils.

Cyberforce ou la guerre des processeurs

Cyberforce prélude à un autre degré des archétypes. Bien loin du combat mythologique originel qui sert de base aux Wildcats, le combat qui anime Cyberforce relève d’une puissante métaphore qui s’inscrit d’ailleurs en plein avec son époque, puisque le début des années 90 voit l’essore des ordinateurs sous des extensions jusque là inédites. Les portables, dynamisés par la naissance des premiers i-book de chez Apple, puis la profusion des portables sous le système Windows de chez Microsoft, sont des choses qu’on doit bien avoir en tête quand on veut s’expliquer le jeu des rapports qui s’établie dans la lutte qui oppose Cyberforce à Cyberdata.
Quand on aborde pour la première fois la saga Cyberfoce la première chose qui marque c’est cette sentimentalité à fleur de peau qui rappelle souvent celle des X-Men. Tout comme dans les X-Men, Cyberforce recrute de jeunes mutants, mais également des phénomènes comme Stryker. Les personnages sont d’emblée charismatiques et très attachants, alors que dans Wildcats il y avait ce décalage qui désarçonnaient les fans des X-Men, même si la qualité demeure immense. Ici, des personnages comme Velocity évoquent d’autres plus anciens comme Kitty pride (X-Men) mais dans un contexte existentiel plus marqué encore. Issus du drame de l’inceste, Velocity (superbe forme nominale qui annonce bien son pouvoir de super-vitesse) et de l’enfance orpheline. En outre, les Silvestri, qui sont à l’origine de cette bande comics eurent une lumineuse idée. Bien loin de compartimenter le drame de cette enfant que se disputent les membres de la Cyberforce et ceux de Cyberdata, ils vont établir un lien qui tout en renforçant la cohésion de la première attribue à la seconde équipe les lauriers de la gloire, si on peut dire, comme de la plus maléfique organisation de super-vilains. En effet, jadis, les équipes de super-vilains restaient cantonnées à des antagonismes ou des volitions de type primaire. On intégrait de force ou pas des éléments extérieurs comme de jeunes recrues un peu perdues, mais on demeurait dans les règles de base d’intégrité morale. Bref, les scenaristes et dessinateurs du temps des X-Men étaient s’imposaient encore cette limite éthique qui était de ne point dépasser le stade de l’individu en tant qu’entité pleine et agissante. Avec la nouvelle vague des équipes, les rapports se complexifiant il en irait de même avec les moyens d’assujettissement ou d’aliénations usités. Bref, le corps était dépassé, on s’attaquait aussi à la psyché. Ainsi, Velocity connaîtra sa famille adoptive véritable le jour où elle saura que Balistic, membre de la terrible Cyberdata, n’est en fait que sa sœur ainée, qui aurait subi un lavage de cerveau de la part de la Cyberdata afin de leur appartenir. On parle ici d’implants, de lavage de cerveaux, de manipulation mentale, de modification de conscience. Tous ces termes sont nouveaux dans les comics car une fois de plus ces derniers suivent notre monde, se collent aux mutations de nos sociétés, dans leurs pires manifestations comme dans leurs plus louables avancées. Le monde des X-Men s’étiole, la guerre de l’humanisme se fait à présent non plus seulement dans les rapports les plus simples impliquant les corps mais aussi et surtout dans les consciences.

De fait, Cyberforce représenterait ce bon usage, cette nouvelle technologie oeuvrant pour le bien, et Cyberdata (cyber/Data-Données brutes) l’envers du décors, le côté noir des sciences nouvelles agissant sur l’esprit, le cerveau, par les pires actions. Si l’une brille par la cohésion et la force de sa dynamique faisant la part belle aux individualités et au groupe, l’autre rutile comme un joyau noir par sa propension à gagner du terrain par la culture du chaos, l’individualisme porté à son extrême et l’anéantissement des consciences, sous le mensonge du groupe, le tout au profit d’une seule conscience, celle de « Mother-May », qui se revendique comme étant la mère de tous ces sujets « parasités ». Cyberforce nous parle donc à plus d’un titre de notre monde, car il plonge au cœur du problème. Bien loin des naïvetés parfois pontifiantes de la saga X-Men, qui voyait l’humanité de façon trop large, Cyberforce nous fait renouer avec cette même soif du combat pour cette humanité en péril, mais en portant aussi le souffle des combats dans nos consciences. L’ennemi est à l’intérieur, on nous vole nos pensées, on peut nuire à notre intégrité morale, car les barrières de la conscience ont été abolie par les nouvelles super-science. Même si dans notre monde actuel nous n’en sommes pas encore là, la métaphore vaut toute son importance. Bien loin de complexifier un domaine qui ne doit pas l’être cette démultiplication du problème du mal rejoint la pensée d’Anna Arendt. Car si la banalisation du mal est un sujet redondant dans nos sociétés, qu’en est-il de cette intrusion du mal dans nos consciences, de ce violeur ultime qui non content de nous sonder veut nous assujettir ? Les pires monstruosités de la pensée unique sont ici en condensé, les pires souvenirs du passé nazi sont ici remis en question justement pour nous remettre en cause en tant qu’humanité une et indivisible et en tant qu’ensemble d’entités libres et auto-agissantes, uniques et mobiles. Nous le voyons, bien loin de n’être qu’un rapport simple d’antagonismes et d’images appelant uniquement qu’à susciter une excitation chez le lecteur, les comics nous parlent et ne cessent jamais de nous parler, de nos sociétés, mais aussi et surtout de nous.
Les personnages sont ici encore une fois marquants. Si Velocity et le petit androïde si humain, Timmie, représentent en quelque sorte l’innocence dans le groupe, si Balistic incarne à merveille le difficile problème de la rédemption d’une femme ayant oublié (le symbolisme du lavage de cerveau est ici à considérer sur plusieurs niveaux), et si le magnifique Ripclaw (clan mort, allusion à son ascendance d’indien effacée, spoliée par l’Amérique des blancs ?) incarne cet éternel Indien aussi fascinant que Serval ou Warblade, si Impact est une sorte de petit frère de Colossus mâtiné du look d’un surfer chevelus techno, et si Stryker incarne cette fusion parfaite entre la cybernétique (il a trois bras cybernétiques) et une humanité qui veut résoudre les réseaux d’intrigues et de divisions qui nuisent au bien commun, si enfin Cyblade est en quelque sorte une féminité complètement accomplie, et Heatwave le vieux rêve de l’homme maîtrisant quelque feu sacré, nous tenons là peut-être la perfection même d’une équipe de super-héros comme jamais il n’en avait été pensé dans l’histoire des comics.
La topologie et certaines formes nominales sont également là pour nous signifier une très grande originalité dans cette fresque héroïque. D’abord, le QG de la Cyberforce n’est pas un bâtiment visible et officiel comme l’école de mutants de Charles Xavier. En renonçant au consensuel et à la transparence, pour refluer vers une certains clandestinité (sous une station service) Cyberforce gagne en popularité mais fait également un clin d’œil à un certain trait propre aux histoires d’agent secret, plus à la manière british que toute autre vision. Ensuite, la guerre entre la cyber-criminalité et les instances officielles du nouveau monde qui s’ouvre (internet, etc…) comme par exemple l’attaque du centre de recherche de Megasoft (Microsoft ?) nous indique bien ici, que les comics sont encore une fois en avance sur le monde qui se prépare et nous en indique des détails comme des symboles (disquette, etc…).

Youngblood ou l’ère des agences gouvernementales selon Rob Liefeld

Dans un registre plus sombre, car concentré sur des problèmes plus géopolitiques, la tornade Image se distingua aussi par un certain Rob Liefeld. Si c’était l’abondance des couleurs et celle des focales qui particularisait les bandes Wildcats et Cyberforce le trait usité pour Youngblood fut plus expérimental quand les couleurs n’étaient pas atténuées par une propension aux tons plus délavés. Les contrastes étant moins marqués, les couleurs plus dépouillées, avec parfois des découpages entre cases plus sommaires. Cela donnait en définitive une bande qui bien que des plus formelles n’en démontrait pas moins une redoutable cinétique dans la manière avec laquelle les scènes d’actions s’imbriquaient autour d’une intrigue parfois rudimentaire. Mais le style était là, épuré et radical, modeste dans ses moyens mais brillant dans ses perspectives évolutives. Sans le dynamisme d’un Jim Lee ou l’art de l’alliance entre les chromes et les couleurs chaudes des Silvestri, Liebfeld a su imposer un style unique qui demeure encore de nos jours une référence absolue.
Après un bavure commise par le chef d’une unité « Youngblood » envoyée en Irak pour mettre un terme à des activités militaires illicites Shaft, sorte d’œil de Faucon version plus violente, devient le nouveau leader ship à la tête de Bedrock, sorte de colosse façon Ben Grimm, Combat en Serval de service, Chapel, le psychopathe paramilitaire de service mais qu’on connaît déjà par d’autres séries, Vogue, la russe experte en arts-martiaux, Diehard un méta-humain invulnérable et enfin Link qui est doté de pouvoirs télé kinésiques et télépathiques.
La nouvelle donne imposée par Liefeld et par toute la bande à la firme Image est une nouvelle conception du super-héros, et dans la saga « Youngblood » plus que partout ailleurs c’est un point fondamental. Ainsi, pas ou peu de vrais mutants dans cette saga mais une multiplicité d’équipes gouvernementales face à des équipes clandestines. A ce niveau, le scenariste invente un brillant moyen terme dans la série. Ainsi apprendra-t-on que ces super-soldats ont été modifiés génétiquement par une supra-science, quand ils ne sont pas des clones ou des soldats morts remis en services dotés de super-pouvoirs. De là donc des intrigues plus recentrées sur la valeur du soldat, l’éthique politique et les secrets d’Etat. La nouvelle génération se débarrasse des vieux manteaux providentiels inventés par ces mutants issus de la grande nature pour leur préférer ceux, plus déterministes, des super-sciences high-tech inventées par l’homme et quelques races extraterrestres. Curieusement, le gouffre qui avait été prédit ne s’ouvrit par sous les pieds de ces nouveaux-super héros plutôt névrotiques mais le succès fut considérable. « Youngblood » fut trop tôt interrompu, au grand dam des lecteurs français. Mais il n’en demeure pas moins le souvenir intact d’une bande ayant soucis d’originalité et de subversion dans le trait, quitte a faire trop dans l’expérimental…

Wetworks ou quand la légion débarque

Portacio et Williams, deux noms mythiques. Alors que Liefeld inventait tout un nouveau concept pour faire du dessin la paire d’as à l’origine de Wetworks enfonce le clou encore plus loin. Passons les personnages, ici ils font moins figures de protagonistes que de soldats d’élite génétiquement modifiés ou améliorés cybernétiquement. On notera un changement au niveau des couleurs. Plus brouillonnes, avec une dominance pour les tons dorés, elles militent pour un découpage plus subversif encore par rapport aux conventions habituelles mais suivant toujours un schéma perfectionniste. Là aussi, la marque de cette série sera définitive dans le champ des comics. Plus d’histoires avec des individualités mais un vrai esprit de groupe, à dominance sud-américaine. L’Amérique du brassage des ethnies passe par celui obligatoire de ses armées. Programmes secrets, combats urbains contre lycanthropes, bref nous avons là tout ce que l’imaginaire collectif a de plus brillant, en plus de cet esprit bidasse qui a tant fait pour ces « Sergent Rock » et compagnie. Du grand art, dans tous les sens du terme, que l’on préfère le découpage plus brouillon de Wetworks, les lignes épurées et statiques de Youngblood ou les symbioses saturées de Wildcats ou Cyberforce.

L’histoire de la firme Image et de sa fulgurante ascension fut certes brève en même temps que durable. Si des séries comme Gen 13 peinèrent à trouver leur publique, parce qu’un peu plus osées que un peu plus outrancières que d’autres pour des teenagers (on était loin de l’excellente série « Les jeunes Titans ») ou si des séries comme Stormwatch furent tout simplement censurées (on ne publia que la calamiteuse seconde série) et si une bande comme WildCats ne connut pas une seconde vie plus heureuse (le rognage trop sévère des outrances magnifique de la première série au profit d’un réalisme plutôt raté) force est de reconnaître qu’en France nous n’en connaîtrons jamais toutes les manifestations. Ainsi, s’il existe à peu de choses près, plus d’une vingtaine de séries d’aussi bonne tenue que Wildcats et Cyberforce première époque (Brigade, etc…), la France en aura soigneusement évité la floraison sur notre territoire, sans parler des séries consacrées à des personnages particuliers comme « Ripclaw », etc…
Bilan donc en demi-teinte pour cette dernière partie consacrée aux super-héros. Est-ce la cause de dissensions apparues au sein du groupe Image ? De la politique de publication en France ? Le fait est qu’on demeure bien frustré quant à ce miracle artistique qui en moins de dix ans renouvela totalement le paysage du comics. Marvel s’en souviendra, reprenant haut le flambeau. Image demeurera comme le plus extraordinaire exemple d’une bande-dessinée totalement libérée des règles et conventions, un souffle salutaire qui curieusement sauvera l’industrie des comics devenus moribonds dans les années 90.
Dans une dernière partie, nous reviendrons sur les héros singuliers de l’ère des comics. Batman, Spawn, Moonknight, Pitt, Savage Dragon, Dardevil, La panthère noire, Lobo, nous nous interrogerons sur ces solitaires et leurs névroses, et sur cette autre Amérique qui décidemment ne cesse de jouer avec ces créatures qui ont préféré traversé le miroir et rejoindre Alice, plutôt que de la laisser s’égarer une nouvelle fois, nulle part…

Au revoir

Emmanuel Collot


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