Éric et J-Marc Stalner
Dargaud
9/10

Malheig, que les Éditions Dargaud rééditent en Intégrale, est paru en quatre volumes entre 1996 et 1998, chez le même éditeur. Une réalisation des frères Stalner mérite l’attention car l’un est hyper doué pour le dessin et l’autre excelle dans l’art du scénario. Quand ils oeuvrent dans leur champs de compétences le résultat est garanti.
Malheig est « un lambeau de terre égaré, écrasé entre l’immensité du ciel et de l’océan », aux confins de l’Écosse. Au IIIème siècle, le clan vivant sur cette zone lutte contre les hordes barbares de Draco, un magicien qui veut s’approprier le site pour le pouvoir de l’Oeil. Pendant que quelques guerriers se sacrifient pour retarder les hordes, Rokson prévient le clan du danger. Mais au nom du dieu Wédal, le grand prêtre l’enjoint à fuir, afin de mener la mission pour laquelle il a été désigné et préparé.
À notre époque, Donan, un ex-combattant en Croatie ayant frôlé la mort, est poussé par un rêve récurrent qui l’entraîne sur ces lieux et lui fait découvrir les temps anciens. Il secourt Shona Mac Thyal, victime de l’agression de deux hommes. Elle est, avec sa sœur devenue handicapée lors de l’accident qui coûta la vie à leurs parents, propriétaire du domaine. Elle se refuse à vendre, contre l’avis de sa sœur, à un M. Draigon, qui fait pourtant une offre somptueuse. Donan, imposé au château par Shona, est intrigué par l’attitude de Kyle, un vieil ivrogne qui vit au domaine. Pourquoi a-t-il ces visions du passé, de ce guerrier menacé de mort ? Qui est cet aigle qui le suit depuis qu’il est arrivé à Malheig ? Et pourquoi a-t-il dû venir en ces terres désolées ?

Ce n’est que le début d’une série de péripéties orchestrées sans temps morts. Sur le thème de la survivance à travers le temps, de l’être unique en deux entités, mêlant aventures, polar, ésotérisme, symbolique, magie noire et religion, dieux anciens et forces maléfiques, combats d’aujourd’hui et racines millénaires, les deux frères construisent une histoire passionnante, qui emporte l’adhésion et force à la lecture.
Le dessin accompagne de façon magistrale le scénario, rendant crédible une intrigue dense et rendant palpable l’atmosphère générale de l’histoire, ainsi que les conditions climatiques dans lesquelles se déroule l’action. Certaines vignettes sont traitées avec un sens de la perspective, une profondeur qui préfigurent les magnifiques planches qu’Éric Stalner signera dans Le roman de Malemort. Par contre d’autres manquent de cette vigueur, de cette énergie qui baigne toute l’intégrale. L’aspect désolé des lieux, la glace et la neige sont si présentes que le regard sur certaines vignettes suffit à faire frissonner. Il faut noter que le métabolisme des héroïnes les met à l’abri de froid, car celles-ci, vêtues de simples hardes ou d’un pyjama mal boutonné (selon l’époque) n’ont, ni la peau bleuie, ni la moindre « chair de poule ». Mais ce n’est que remarque légère, car elles sont fort agréables à regarder.
La richesse de l’intrigue compense largement ce petit défaut. Le traitement des interpénétrations de deux époques, de deux mondes qui se rejoignent dans la lutte éternelle du mal contre le bien est cadencé en séquences au volume suffisant pour faire facilement le lien. Malheig, une fresque à redécouvrir sans tarder.

Serge Perraud

Malheig Édition Intégrale, Éric et J.-M. Stalner, Dargaud, juillet 2004, 190 pages, 37 euros