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Sommaire - Interviews -  Vincent Villeminot (RESEAU(X))


"Vincent Villeminot (RESEAU(X))" de Damien Dhondt


APRÈS LA TRILOGIE « INSTINCT » CONSACREE AUX MÉTAMORPHES VOICI « RÉSEAU(X) » CONSACREE AUX RESEAUX SOCIAUX DU FUTUR PROCHE (Voir la chronique de ce livre dans sfmag No 83)

Comment êtes-vous venu à l’écriture ?

J’ai travaillé au Caire pendant deux ans et ensuite je suis devenu journaliste de rues où j’ai traité en reporter de la grande exclusion, de la pauvreté, la drogue, la prison etc.
En tout j’ai fait dix ans de journalisme avant de passer à l’écriture. J’ai écrit des ouvrages et parallèlement des albums pour les enfants. Ayant de jeunes enfants j’avais envie de leur raconter des histoires. Puis ils ont grandi. Je leur ai raconté des histoires de plus en plus longues et on en est à de grands romans maintenant.
Ce qui m’intéresse dans le roman c’est de déployer une histoire un peu longue, qui donne du temps. Ce qui est intéressant dans le roman jeunesse c’est le principe de la série. Deux ou trois tomes permettent de déployer une histoire et donc faire évoluer ses personnages, mais aussi de faire le pendant à d’autres univers culturels dans lesquels baignent les ados et où les personnages ne changent pas. Mon enjeu c’est que mes personnages se laissent atteindre par l’intrigue. Ils changent et ils surprennent. Sur « Instinct » ma série précédente on les retrouve différents d’un tome à l’autre.

Quel est l’âge des différents lecteurs ?

Il était possible de lire « Instinct » dès 11 ans. Pour « Réseau(x) » les lecteurs sont un peu plus vieux puisque cela tourne sur les réseaux sociaux. Officiellement on a le droit d’ouvrir une page Facebook dès 13 ans. Je l’ai mis dans les mains de mes gamins qui ont 15 & 17 ans et cela s’est bien passé avec eux.

D’où est venue l’idée de base à l’origine de Réseau(X) ?

Le déclencheur c’est qu’on m’a créé une page Facebook à mon insu et que j’ai trouvé cela très romanesque. Lorsque la série précédente a bien marché une dame dans un salon m’a demandé très aimablement si je voulais avoir une page Wikipédia. J’ai accepté, mais ce que j’ignorais c’est qu’il existait un accord entre Wikipédia et la société Facebook. Si la notice d’une personnalité vivante n’avait pas une page Facebook, on en générait une automatiquement. Je me suis retrouvé avec une page à mon nom avec ma photo, avec des gens qui déclaraient qu’ils étaient mes amis, sauf que moi j’ignorais que j’avais cette page et je l’ai découverte un peu par hasard. Du coup j’ai trouvé cela très intéressant et j’ai commencé à me pencher sur l’univers des réseaux sociaux avec l’idée de chercher des histoires et rapidement en créant une page sous pseudo, sous avatar et en allant trainer dans certains endroits je me suis rendu compte qu’il y avait pas mal d’histoires à raconter.
Des pages ont été créées qui me permettent de rentrer en contact avec pas mal de lecteurs. Régulièrement des lecteurs me demandent sur cette page comment finir un roman. Je n’ai pas une vision purement noire des réseaux sociaux. Je pense que c’est un outil formidable. C’est aussi un territoire romanesque parce que cela transforme la vie. Ce n’est pas du tout virtuel, c’est réel.
Le phénomène de blogosphère est intéressant. J’y trouve des commentaires sur mes livres et dans des salons je rencontre des commentateurs y compris ceux qui ont rédigé des phrases assassines sur mes livres. Ils se présentent à moi, en disant « je suis ravi de vous rencontrer ». Il faut faire bonne figure. C’est un phénomène très nouveau et très intéressant pour un auteur d’avoir un retour direct, mais en prise avec ce que pensent les lecteurs de ses bouquins. Je suis en train d’écrire sur le tome 2 de « Réseau(x) » et je dispose de toutes leurs hypothèses sur ce tome. Parfois cela me paralyse un peu. C’est un contact extrêmement franc, beaucoup plus cru qu’un article de presse car ils ne prennent pas de pincettes, ni dans leur enthousiasme, ni dans leur descente en flammes.
Dans « Réseau(x) » la face diurne du réseau social est utilisée comme outil de communication. Elle ressemble comme un petit frère à Facebook où on raconte sa vie à ceux qui nous entourent. Et puis il y a une face nocturne qui va être réservée à quelques amis où on raconte ses cauchemars, ses rêves, éventuellement ses fantasmes et tout le reste. Il a cette particularité d’être réservé à quelques-uns. Le matériau de cette page est vraiment l’intime, voire l’inconscient. Il existe un sommaire des rêves où tous les textes publiés sur la partie nocturne sont publiés sur le sommaire des rêves. Tout le monde peut lire l’ensemble de la production onirique de chacun sauf qu’elle n’est pas signée. Je signale que quinze jours après la sortie du livre une société américaine a annoncé qu’elle créait une base de données où on pouvait déposer tous les rêves et les cauchemars. Donc c’est moi qui aie eu l’idée le premier et je crois qu’on va y venir très vite. Un Japonais vient d’inventer une application qui permettra de filmer rêves et cauchemars en utilisant des systèmes de 3 D et de trucages. On va y venir. Si on raisonne en termes de société du spectacle le rêve c’est le moment du spectacle parfait car quand on y est on y croit complètement. On est en 3D, on ressent des sensations. Il est logique que dans une société qui crée du spectacle on essaie de récréer nos rêves, de les partager de leur donner une viralité, de les répandre, etc. C’est ce que j’ai essayé d’imaginer dans « Réseau(x) ». Certains partagent leurs rêves sous forme écrite ou éventuellement les filment. Une jeune fille Sixie fait des cauchemars où soit elle est tuée, soit elle tue. Elle se retrouve à recevoir des films de gens qui ont filmé ses cauchemars, de telle façon que cela ressemble à la réalité. Ces gens s’amusent manifestement en suivant ses cauchemars.
Dans un réseau mondial comme il y a sans arrêt des gens qui s’endorment ou se réveillent selon les fuseaux horaires, c’est alimenté en permanence. Dans le sommaire des rêves les sujets de cauchemar ou de rêve sont indexés. On oblige déjà à classer des rêves. Si en rêve vous rencontrez votre amour et que vous le tuez, est-ce que la partie la plus importante du rêve c’est l’amour ou le meurtre ? On a des contributeurs qui jouent avec les indexations. Ce réseau est devenu le lieu où on délaisse à peu près tout ce qui relève du fantasme, autant que la sphère onirique. On poste des scènes extrêmement violentes, des scènes pornographiques, etc. Le policier chargé de surveiller cela considère qu’on a ouvert les écluses et que désormais tout devient spectacle et donc les crimes deviennent spectacles.

Un autre aspect du roman concerne les troubles sociaux à l’échelle de l’Europe.

J’ai pris exemple de ce qui s‘est produit au Québec lorsque des étudiants se sont mis en grève par rapport aux frais d’inscription à l’université. Cela va se produire chez nous. Les frais d’université montent dans toute l’Europe. En me plaçant dans un futur proche de trois ou quatre ans j’ai imaginé que cela allait être un contexte assez général. Dans ce contexte politique un peu tendu se produit un attentat contre des policiers. Il semble extrêmement tentant d’attribuer à des jeunes gens qui font partie de la coordination de grévistes. Un cauchemar posté sur le réseau décrivait précisément l’attentat et ce cauchemar avait été posté par un jeune homme qui fait partie d’une coordination ou qui a des liens avec une coordination. Donc tout laisse à penser que la coordination est l’auteur de l’attentat et on va suivre l’enquête en parallèle avec l’intrigue de Sixie et avec d’autres intrigues.
Il y a aussi la « Black Clowns Army ». Les jeux vidéo c’est sympa, mais c’est plus rigolo en vrai si vous jouez à un jeu de guérilla urbaine en plein centre- ville. Cela fait deux ans que les players sèment le chaos dans différentes grandes villes européennes. Le dénommé « César Dias » qui de toute évidence est l’organisateur de ces jeux ne laisse jamais suffisamment d’éléments pour qu’on puisse prouver qu’il en a été l’organisateur. Quelques jeunes gens qui se font choper par la police paient les pots cassés à chaque fois et eux continuent de semer le chaos partout en Europe. Cette organisation de joueurs un peu particulier se proclame anarchiste, mais dans le royaume de l’anarchie. Ce sont deux termes un petit peu contradictoires. César Dias affirmant qu’il est « altesse sérénissime anarchiste », donc là aussi on est dans l’oxymore. Cette organisation va se retrouver mêlée à l’histoire d’attentats, de coordination et au cauchemar de Sixie et alors on va voir trois intrigues parallèles qui vont se croiser au hasard au hasard sur les réseaux sociaux. Cela fait un début de bouquin un petit peu complexe où on suit en parallèle une douzaine de personnages principaux qui ont l’air de vivre leur vie de manière totalement étanche et peu à peu par le jeu de la viralité, par le jeu de la contagion et par le jeu de la manipulation toutes les intrigues se recroisent et cela détonne.

Cette histoire est européenne, mais on observe principalement des liens avec l’Italie.

Les liens avec l’Italie reposent avant tout sur des références à un penseur italien nommé Francesco Gramsci. Selon lui la bataille est avant tout culturelle. Il existe aussi des références par rapport aux évènements qui ont eu lieu à Gènes au moment au moment d’une réunion du G8. J’avais envie que l’un des cœurs de la subversion soit en Italie ce qui me parait réaliste vu la nature de certains mouvements politiques qui existent là-bas, mais aussi d’un point de vue purement romanesque pour faire référence à une époque que j’aime bien du cinéma italien très politique des années 70-80.
Il y a aussi des liens littéraires. César Dias s’appelle Dias et est Catalan parce qu’il existe un héros d’un roman des années 70 qui s’appelle « Buena Venturas Dias ». Il était le héros du roman « Nada » de Jean-Patrick Manchette. Donc j’ai joué à la fois avec son pseudo et son nom de famille pour le rattacher à cela. « Nada » est donc une référence au « Nada » de Jean-Patrick Manchette, « Nada » étant lui-même une référence au mouvement nihiliste « nada » : « rien ». Cela amène à des références plus anciennes que je dévoilerai dans le tome 2. Cette notion du « rien « c’est aussi l’idée que les identités sur les réseaux sociaux ne veulent rien dire. César Dias semble être plusieurs. Beaucoup de gens le décrivent comme schizophrène. En réalité il multiplie les avatars, les pseudos etc. Est-ce que cela a une influence sur son identité profonde ? Cela lui permet de manipuler. Mais est-ce que cela le rend fou ? C’est une question qui est posée dans le roman.

Dans « Réseau(x) » les réseaux sociaux sont source d’information, mais surtout de nuisance.

L’histoire d’Alice qui se retrouve ses photos dénudées dans les réseaux sociaux est intéressante. Au Canada ils viennent de passer une loi pour l’interdire dans la mesure où la personne était consentante pour faire ce genre de cliché amoureux. Pourquoi ne pas les poster ensuite ? Après-tout les clichés appartiennent à celui qui les a pris et dans la mesure où l’autre était consentante. Il a fallu mettre une loi qui que je sache n’existe pas en France. En France un policier qui se livrait à différentes pratiques et qui s’était filmé vient d’être déchu de son poste de policier, en tout cas il est suspendu pour le moment, car cela ne se fait pas dans la police de poster sur des réseaux sociaux... là encore il y a plein de questions qui sont posées. Aujourd’hui un adolescent qui va sur les réseaux sociaux a une chance infime d’arriver à une première rencontre amoureuse sans avoir consommé de pornographie. Cela change radicalement la nature des rapports amoureux. Je pense qu’il faut réfléchir à cela et y réfléchir avec les lecteurs. Les réseaux sociaux sont devenus à la fois un outil de discrétion et en même temps de surveillance. Je suis frappé par le nombre de parents qui vont régulièrement voir sur la page Facebook de leurs enfants ce qui s’y passe, sans parler de surveillance de la société, des révélations d’Edward Snowden etc. Justine utilise les réseaux sociaux parce qu’elle est de son époque. Elle sait que son père est chargé par la police de surveiller les réseaux sociaux. Elle sait donc qu’il y a de fortes chances que son père vienne surveiller sa page. Puisqu’elle est séparée de son père elle va s’adresser à lui via cette page en lui laissant des messages sans lui dire que c’est adressé à lui. Mais elle va lui donner des nouvelles d’elle par le biais de cette surveillance. On arrive à des scènes un peu étranges comme cela où des parents découvrent sur la page Facebook de leur enfant quelque chose qu’ils ignoraient de lui, de ses amis. L’enfant a posté cela sur sa page précisément pour que ses parents soient au courant. Moi je connais un jeune homme qui était en immense difficulté de faire un « coming out ». Ses parents ont compris, mais il a fallu passer par le réseau social. C’est un élément de plus dans les relations. C’est un élément qui est à la fois riche et piégé.

L’évocation des méthodes d’investigations policières n’est guère flatteuse pour les représentants de l’ordre.

Je voulais que les policiers, puisque après tout c’était des personnages de roman, aient leur chance comme les autres Je n’apprécie pas les romans où on voit clairement que les auteurs n’aiment pas certains de leurs personnages y compris des personnages qui n’ont pas forcément le meilleur rôle dans le roman. Je veux qu’ils soient humains, qu’ils aient des raisons et éventuellement de bonnes raisons de leur point de vue d’agir comme ils le font. Je trouve que je dois à chaque personnage d’aller dans son intimité et qu’on le comprenne aussi. Après il n’y a pas avec Fanelli et Kowacs un discours général politique sur la police à travers ces deux personnages.
Il y a une réalité, des publications des rapports réguliers de la cour européenne des droits de l’homme qui condamnent certaines choses et d’autre part une législation antiterroriste qui est largement européenne. Nous sommes dans une société qui hésite entre liberté et sécurité. Il y a des arbitrages à faire. Moi je ne suis qu’un romancier, donc je ne me permets pas de dire qu’il faut privilégier la liberté ou bien privilégier la sécurité. Mais dans cet arbitrage là il y a des choix qui ont des conséquences. Pour parler d’une réalité non-française, des gens extrêmement savants ont justifié juridiquement Guantanamo. D’autres tout aussi savants l’ont honni. Moi j’ai un avis politique dessus, mais en tout cas c’est quelque chose qui se produit. Aujourd’hui on vit dans un univers où il est possible de prolonger une garde-à-vue pendant 96 heures et de garder quelqu’un en détention pendant deux ans sur la foi d’une loi anti-terroriste sans pour autant qu’il y ait de mise en examen à la fin. C’est quand même une réalité qui est très particulière et donc j’avais envie de parler de cela. Ce qui m’intéresse aussi c’est le caractère d’extrême surveillance des communications que l’on découvre ces derniers mois. C’est un élément-clef du roman. Je suis frappé de savoir que les adolescents le savent. On dit que les adolescents ne se rendent pas compte que tout ce qu’ils mettent en ligne est surveillé. Cela ne les dérange pas. Peut-être qu’on raisonne différemment parce qu’il y a une époque où on écrivait des lettres et elles ne pouvaient pas être lus. Ils ont commencé à dialoguer avec la MSM, les mails, Facebook, des médias dont ils savaient qu’ils pouvaient être surveillés ou surveillables. Donc ils n’ont pas la même notion de la violation de notre intimité parce qu’ils n’ont pas utilisé ces outils d’intimité.

Pourquoi le périple se déroule-t-il à l’échelle européenne ?

Rome, Lisbonne, Barcelone,...parce que les réseaux c’est internationaux. Je voulais quelque chose d’international pour un roman européen. J’ai commencé à Bruxelles. Cela m’amusait, j’y voyais une certaine logique. Le réseau n’a pas de frontière, or la police et les gouvernements en ont. Un discours international peut devenir subversif dans chaque pays, ne serait-ce que parce que lui n’a pas de frontière, alors que les réalités quotidiennes en ont. Il existe un mouvement européen contre la hausse des droits d’inscription à l’université alors que le prix des inscriptions à l’Université dépend de chaque État, voire maintenant de chaque université. Et c‘est ce paradoxe qui fait qu’il existe un mouvement des Indignés qui va d’un pays à l’autre alors que les réponses sont de plus en plus autonomes. Aujourd’hui une université est autonome pour fixer ses droits d’inscription et pour autant les mouvements de protestation s’élargissent à toute l’Europe. Ce décalage permanent entre l’un et l’autre je le trouve intéressant parce qu’à chaque fois les questions et les réponses n’étaient pas posées au bon endroit.

Comment traitez-vous de la littérature pour adolescents ?

Cela m’oblige à être plus attentif. Par exemple le roman « Fight club » relate l’histoire d’un homme fasciné par un autre homme Tyler Durden. Lorsque dans le film il entre en scène il est fascinant. C’est l’histoire d’une fascination. César Dias est quelqu’un de fascinant, d’ambigu. Il est brillant. J’aurais pu écrire un roman qui soit le roman de César Dias, simplement je me dois de donner aux ados qui me lisent des éléments, d’autres regards sur César Dias qui vont permettre de nuancer le portrait, des contrepoints, des questions et cela je le dois aux ados, parce que c’est facile d’être fasciné. Si je vous parle, j’espère ne pas être trop ennuyeux. Mais si tout à coup je sors un révolver et je le pointe sur votre tempe tout le monde va suivre. Le spectacle de la violence est toujours plus fascinant que le discours sur la violence et si je veux être dans cette surenchère là c’est relativement facile. Mais on ne peut pas se permettre complètement cette facilité quand on s’adresse à des ados. Les ados évoluent dans un univers culturel hyper violent sur lequel l’univers culturel n’a pas de réflexion sur sa propre violence. Dans un jeu vidéo vous arrivez à un niveau de plateau si vous dézinguez 80 zombies. Vous arrivez au niveau du dessus et vous n’avez pas changé. Or dans la réalité si vous flinguez 80 créatures, soit vous avez un syndrome de stress posttraumatique comme l’ont la plupart des soldats qui reviennent d’opérations, soit vous êtes devenu un psychopathe. Mais le personnage dans le jeu vidéo ne change pas. Mes personnages parce que j’ai le temps de le raconter leur psychologie évoluent en fonction de ce qu’ils ont vécu. Ce que je donne lire à mes lecteurs c’est le changement de ces gens- là en fonction de ce qu’ils font, de ce que d’autres leur font. Ce sont des réactions à des choses extérieures qui provoquent la transformation de personnage qui sont des êtres humains et pas des machines guerrières. Je trouve que c’est important de parler de la violence parce qu’on est dans une société violente et parce que l’univers culturel est hyper violent. Je trouve cela intéressant de le faire. J’espère l’avoir fait de façon un peu responsable. Je me demande quel est l’impact de cela ? Certaines fois j’ai été moi-même fasciné par certains de mes personnages. J’ai trouvé tellement cool que c’est mon éditrice qui me dit de faire attention à cette fascination. Une scène d’action est toujours sympathique à décrire. Quand elle marche bien on est content, mais elle a une fonction pour faire avancer le récit. Elle a un impact et donc cela doit être réfléchi.

Le réseau est-il au pluriel ?

Le (x) est une coquetterie au départ, mais cela a du sens quand même. On parle d’un réseau social et en même temps on parle de tas de gens qui sont en réseau les uns avec autres, via le réseau social. Il existe tout un tas d’autres réseaux et le roman lui-même se veut un réseau. Cela veut dire qu’il est écrit de façon réticulaire sous la forme d’un réseau. On suit à la même heure, le même jour la destinée de plusieurs personnages et on se rend compte que petit à petit ces univers se rejoignent ou s’éloignent. Je voulais que cette arborescence soit dans l’écriture, dans l’histoire et que petit à petit elles se dévoilent. Il y a un réseau qui est le « DreamKatcherBook », il y a le réseau qui est le bouquin « Réseau(x) et puis il y a les réseaux de chacun. On se trouve effectivement dans un livre qui est écrit de façon plurielle et qui j’espère est un peu singulier.

Les univers spécifiques peuvent-ils être adaptés ?

« Instinct » est un roman que beaucoup de personnes perçoivent comme très cinématographique et pourtant la scène d’ouverture du premier tome d’Instinct relate toute la prise de conscience de ce qui est en train de se passer par le personnage. Or elle repose exclusivement sur l’odorat et c’est un sens qui n’est pas cinématographique. J’aime bien que le lecteur ait l’impression de voir ce qui se passe. Est-ce que cela fait des bons films ? Je ne maîtrise pas du tout l’écriture des scénarios. Je suis un écrivain de dialogue. J’aimerais beaucoup travailler sur une adaptation d’un de mes romans, mais pour l’instant il n’en est pas question.

Pour en revenir à « Instinct » pouvez-vous nous parler du film « Ghost Dog La voie du samouraï » et de son influence sur l’équilibre psychique des homards ?

« Ghost Dog » a beaucoup d’influence, surtout le tome 2. Comme il a une grande importance pour mon personnage j’ai revu le film et j’ai constaté qu’il y avait une scène _ dont je ne me souvenais pas du tout _ où des chasseurs d’ours croisaient Ghost Dog. Cette coïncidence m’a intéressé puisque le personnage principal d’Instinct se transforme en ours. C’est un hasard qui ne doit rien d’autre qu’à une chouette coïncidence, mais qui me fait plaisir parce que c’est un hasard imprévu qui semble dire qu’on est dans la bonne direction et quand on écrit un bouquin on a besoin de petits signes comme ça. Ensuite le personnage de Shariff (qui se transforme en homard) devient samouraï dans le tome 2 d’Instinct parce qu’il me semble qu’un jeune homme empêché physiquement comme il l’est par le handicap dont il souffre va chercher à la fois dans l’action, et éventuellement dans la violence, mais aussi dans la sagesse quelque chose qui puisse le réconcilier avec l’existence : en l’occurrence la voie du samouraï. Ce qui m’intéressait dans « Ghost Dog » c’était les extraits de « La voie du samouraï » qu’on entend régulièrement et qui scandent le film. Ensuite le samouraï à capuche m’amuse beaucoup. C’est un mélange de choses extrêmement anciennes et de choses purement contemporaines. On trouve un peu parfois la même chose dans « Réseau(x) », un mélange d’une esthétique très ancienne, d’une morale très ancienne et d’un univers purement contemporain. Je trouve que ce mariage-là marche bien.

Dans « Réseau(x) » vous oscillez entre fantastique et explication rationnelle, avec l’hypothèse de rêve prémonitoire.

Les rêves prémonitoires sont un phénomène dont la réalité est discutée par certains scientifiques, dont la réalité est acceptée par d’autres, mais pour lequel il n’y a pas d’explication. Il semblerait d’après certains psychiatres qu’on puisse parfois dire que cela se produit, mais sans avoir d’explication satisfaisante autre que le hasard et moi je crois au hasard. Mais est-ce qu’il y a des explications rationnelles aux rêves prémonitoires de Sixie ? Je ne sais pas. Mais une chose est certaine : certaines prémonitions n’en sont pas, parce que d’autres jouent avec ses rêves et cela est avéré.

La série « Réseau(x) » doit comprendre combien de tomes ?

2 tomes. Je me suis donné une limite d’énergie personnelle. Chaque tome de « Réseau(x) » me prend un an, sachant que j’écris à temps plein. Donc je vais passer deux ans de ma vie avec ces personnages. « Instinct » a eu trois tomes parce que chaque tome me prenait moins de temps à écrire et puis j’aime bien qu’une histoire se termine sans forcément tirer tout ce qu’on aurait pu tirer de l’histoire, pour laisser chaque lecteur inventer éventuellement des suites et puis garder les quelques personnages vivants qui restent à la fin, leur garder la possibilité de destinées individuelles. J’aurais éventuellement pu rédiger un 4° tome, mais cela aurait peut-être été le roman de trop. Je préfère m’abstenir et laisser éventuellement une légère frustration plutôt que un ras-le-bol. Le 2° tome de « Réseau(x) sort dans un an.




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