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Scénario : Terence Winter, d’après le livre de Jordan Belfort
Avec : Leonardo DiCaprio, Jonah Hill, Matthew McConaughey, Rob Reiner, Margot Robbie, Jean Dujardin.
Distribué par Metropolitan Filmexport
179 mn - Sortie le 25 Décembre 2013 - Note : 10/10
Scorsese - DiCaprio. Leur cinquième collaboration, après « Gangs of New-York », « Aviator », « Les infiltrés » et « Shutter island ». Et pour ce projet complètement fou - parce qu’il l’est ! -, DiCaprio endosse une nouvelle fois la casquette de producteur. Ce qui explique peut-être aussi la grande marge de libertés octroyée au film pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. A savoir, rien ne sera caché, que ce soit drogue ou sexe ou immoralité sous toutes ses formes pour livrer ce qu’il est convenu de pouvoir nommer le premier vrai film sur un des pires fléaux du vingtième siècle : les scandales financiers qui se chiffrèrent à plusieurs milliards de dollars, au point de menacer l’économie d’un pays, voire de pays, voire mondiale.
New-York, fin des années 80. Frais émoulu d’une grande école, Jordan Belfort intègre le milieu des traders. Coaché par les meilleurs, il affine un talent inné en lui, celui de vendre n’importe quoi à n’importe qui sans se soucier d’honnêteté car ce qui compte, c’est ce qu’il gagne. Sa société s’écroulant, Jordan intègre une entité « provinciale » qui s’attaque aux petites actions. Jordan va carrément briller dans le domaine, au point de faire fructifier la boite pour la transformer en une major du milieu, la cotant en bourse, multipliant par milliers voir millions les chiffres d’affaires, osant tout et n’importe quoi, voulant plus, encore plus, toujours plus. Et ne s’interdisant plus rien. L’égoïsme, la cupidité, la démesure vont lui faire toucher les folies les plus inaccessibles tel Icare voulant s’approcher du soleil, avant que la chute ne le précipite plus bas qu’il ne le fut jamais...
Moins connu que d’autres qu’on ne citera pas, Jordan Belfort fut donc une des figures emblématiques de ce nouveau monde des traders, qui jonglèrent avec les milliards de dollars au détriment d’autres, et qui dans ce cas présent, n’étaient pas des multimillionnaires mais des petites gens. Un portrait sans concessions, tiré de l’autobiographie de l’intéressé - aujourd’hui condamné à rembourser plus de cent millions de dollars en n’exerçant plus aucun métier financier - , porté au cinéma par un Martin Scorsese complètement maitre de son sujet, donnant au film des allures de « Casino » modernes où la mégalomanie n’est plus l’apanage des maffiosi mais des traders, nouveaux gangsters de la finance. Maintenant, entre les mains de producteurs frileux ou de grands studios soucieux de préserver une certaine image, un tel scénario aurait été aseptisé au possible, rendant le film simplement intéressant mais surtout assez rapidement imbuvable. On est loin de cette crainte ici, car tout est permis, tout est montré, et les talents d’écriture et de mise en scène font que les pires travers ne choquent même plus, ils sont aussi naturels que de respirer. Ainsi, l’omniprésence de la drogue devient commune, normale, basique. Quant au sexe, autre pilier du pouvoir de ces arnaqueurs sans scrupules mais aussi limités dans leur intelligence - comment ne pas se rendre compte au bout d’un moment qu’ils ont largement de quoi profiter de tout et qu’à force de toujours vouloir aller plus loin, ils courent à leur perte... - , il prend des dimensions également normales dans ces existences, faisant de la description de ce milieu une version moderne de Sodome et Gomorrhe. Mais tout ceci sans porter aucun jugement moralisateur, non, DiCaprio producteur et même Scorsese, étant loin de tout réduire à un tel message. La force du « Loup de Wall Street », c’est simplement d’être le témoin d’une époque, de montrer simplement ce qui se vivait dans ces domaines financiers. Une tranche de vie, extrême, (auto)destructrice, à travers le portrait d’un homme monumentalement doué mais qui s’est laissé griser par tant de pouvoirs. Et de constater qu’avec un tel matériau, le duo Scorsese - DiCaprio a simplement fait le nouveau « Wall Street », et certainement le meilleur film sur le sujet, voir le seul chef-d’œuvre, car le génie d’un acteur portant tout sur ses épaules - et cela fait maintenant quelques films que DiCaprio ne prouve plus son talent, mais qu’il le conforte avec une puissance indéniable - associé au génie d’un cinéaste arrivant à transcender une telle histoire pour nous impliquer à fond dedans et nous faire partager l’euphorie, la folie, la démesure d’une époque et d’un milieu qui à priori n’ont rien de sensationnel si on n’y adhère pas, avec une telle maestria, ça s’appelle bien un chef-d‘œuvre.
Stéphane THIELLEMENT
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