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Sommaire - Interviews -  Yves Sente & André Juillard auteurs du « Serment des cinq lords » dernière aventure de Blake & Mortimer


"Yves Sente & André Juillard auteurs du « Serment des cinq lords » dernière aventure de Blake & Mortimer " de Damien Dhondt


Comment a été prise la décision de relancer la série Blake & Mortimer tout en conservant leurs aventures passées ?

Y.S. Lorsque les Éditions Dargaud ont décidé de relancer la série il a été décidé de faire preuve de nouveauté. L’expérience a été tentée par Claude Benoît et Van Hamme avec "L’affaire Francis Blake".

Pourquoi existe-t-il une alternance entre les différents auteurs succédant à Edgar P. Jacobs ?

Y.S. Au début je ne pense pas qu’il s’agissait d’alterner. Van Hamme et Benoît devaient faire trois albums. Or cela prend énormément de temps à réaliser et l’éditeur comme le public souhaitaient un rythme plus soutenu. Il ne fallait pas seulement aller plus vite, mais donner à chacun le temps qu’il faut pour faire les choses. C’est un travail minutieux, de longue haleine et ceux qu’ils le font ont déjà d’autres carrières de l’autre côté. On ne pouvait pas tout laisser tomber pour Blake & Mortimer. Avoir deux équipes cela permettait à chacun d’être enthousiaste, de prendre le temps qu’il faut, tout en continuant sa carrière.

Dans "Le Serment des cinq lords" vous poursuivez la présentation de la biographie des personnages que vous aviez débuté dans "Les Sarcophages du 6° continent" en relatant leurs aventures en Inde durant leur jeunesse.

André Julliard : Est-ce que raconter les vies des personnages étrangers dans cet univers ça manquait ? Non. mais j’ai relu l’autobiographie de Jacobs "L’Opéra de papier" (1) et j’ai découvert qu’il avait écrit une biographie assez précise de chacun de ses personnages : Blake, Mortimer & Orlik ( ce dernier personnage mystérieux a un passé assez flou). Mais Blake et Mortimer ont un parcours. On sait où ils ont fait leurs études. On sait où ils sont nés (en Inde pour Mortimer).
Blake a étudié à Eaton, puis à Oxford. Ensuite il est entré dans la RAF. Ces éléments me semblent intéressants pour donner un peu plus d’assises aux personnages.

La différence de votre travail par rapport à l’oeuvre de Jacobs c’est l’importance donnée au capitaine Blake qui était pour le moins effacé dans l’oeuvre originale.

A. J. Pas toujours moi j’ai beaucoup regretté que "Le Sanctuaire du Gondwana" se passe en Afrique où Blake est complètement absent. Personnellement je trouve que si on regarde l’oeuvre de Jacobs on remarque qu’il existe des albums où Blake est pratiquement absent. Visiblement pour Jacobs le personnage c’est Mortimer. Mais pour nous fans de la première heure l’un ne va pas sans l’autre. J’aurais voulu qu’ils oeuvrent tous les deux ensemble. Mais le scénariste ne l’entend pas de cette oreille. Il n’en démord pas quand Blake est absent, il n’est pas là.

Y. S. Ce n’est pas très facile avec deux héros qui sont sur un pied d’égalité. En BD en général il y a un héros et un faire-valoir : Astérix & Obélix, Tintin & Haddock. Quand les deux héros sont sur un plan d’égalité ce n’est pas simple de leur donner à chacun un rôle d’importance égale. Dans cet album on arrive à équilibrer les choses. Mais on a toujours tendance à ce qu’il y ait un personnage qui mène l’enquête et que l’autre soit en retrait. Ici on se trouve peut-être dans une situation où chacun de son côté est en train d’agir.

L’action se situe dans les années 50.

Y.S. Oui, juste après "La Marque jaune"

A. J. En ce qui me concerne je ne pouvais pas imaginer que les aventures de Blake & Mortimer se situent autrement que dans les années 50. Je suis nostalgique des lectures de mon enfance. L’esthétique des personnages, des costumes, des voitures tout l’environnement visuel je trouve cela séduisant. J’ai lu beaucoup de romans d’espionnage à une époque. Il y a quelques années on m’avait proposé de réaliser le 2° tome des "3 Formules du professeur Sato". Je n’aimais pas le scénario et les aventures de Blake & Mortimer dans les années 80 ne correspondaient pas à ma vision.

D’ailleurs dans cet album les avions de chasse japonais sont des F 104 Starfighter qui sont entrés en service dans les années 60.

Y. S. Jacobs avait tout fait en temps réel. Les Toyotas étaient celles des années 80.

Chronologiquement Blake & Mortimer évoluent-ils dans une uchronie ?

Y.S. Pourquoi ?

L’invasion asiatique a-t-elle bien eu lieu dans "Le Secret de l’Espadon" ?

Y.S. "Le Secret de l’Espadon" est une uchronie, mais pas ce récit.

Dans "Le Serment des cinq lords" il est précisé que le professeur Mortimer a inventé l’Espadon. Cet appareil n’aurait donc pas servi dans un conflit.

Y.S. On reste cohérent avec ce qui a été fait avant. Mais ce récit n’est pas une uchronie dans le sens on ne réinvente pas l’Histoire.

Mais si les deux héros se rendent à Paris constateront-ils que la tour Eiffel a bien été détruite par Jacobs ?

Y.S. Non, mais il l’a reconstruit lui-même sans "S.O.S. Météores" et dans "L’Affaire du collier". Je crois que pour Jacobs ces trois cases où on voit Rome, Paris et Londres détruites sont des "erreurs de jeunesse". Après il a fait comme si cela n’avait pas eu lieu.

A..J. Il est vrai que ces deux albums sont assez durs à situer. Il vaut mieux ne pas trop s’attarder là-dessus.

Y.S. C’est pour cela que le sergent Mac évoque la dernière guerre. Je ne voulais pas faire de faute de français en écrivant Seconde ou Deuxième Guerre mondiale ( si on écrit la Deuxième, cela signifie qu’il y en a eu une Troisième).

L’utilisation du personnage de Lawrence d’Arabie est-elle causée par l’intérêt romantique et historique de ce personnage ?

Y.S. C’est un personnage qui me fascine. C’est à la fois un intellectuel pur, une sorte d’ascète philosophe et un homme d’action. Les gens qui réunissent ces trois personnalités à taux égal dans l’Histoire sont extrêmement rares et c’est un personnage qui me fascine comme beaucoup de gens. Gamin j’ai été attiré par le film de David Lean. Mais quand on lit la biographie de ce personnage on découvre que tout ce qu’il a vécu avant les quatre années de guerre est tout aussi fascinant et ce qu’il a vécu après est tout aussi dingue. C’est une vie folle, du début à la fin. C’est un personnage éminemment romantique. Il n’est jamais tombé dans la vie "facile" en devenant père ou grand-père. Il est resté en dehors de tout en cela. Il est vraiment atypique

A.J. Il a même rejeté sa célébrité.

Y.S. Il est devenu célèbre malgré lui. C’était une star en Angleterre après 14-18 du fait d’un Américain Thomas Lowell qui a inventé le terme "Prince d’Arabie". Lawrence aimait cela et en même temps cela le gênait. Il n’était pas fait pour être un "people". D’ailleurs il a fini par fuir dans l’anonymat. Il s’est réengagé dans l’armée sous un faux nom et comme simple soldat. C’est un personnage fascinant. Comme je voulais parler de Blake et comme il était mentionné dans sa biographie qu’il avait travaillé pour le MI-5 les biographies des deux personnages collaient bien ensemble. C’est ainsi que j’ai provoqué leur rencontre. Pour cela j’ai utilisé le personnage historique de Vernon Kell le directeur du MI5.

Qui fut renvoyé par Winston Churchill en 1940 pour cause d’incompétence.

Y.S. On va laisser à Winston la responsabilité de ses actes. Kell n’a pas été si incompétent. S’il a engagé Blake il n’a pas fait que des bêtises.

Le capitaine Blake est actuellement le responsable du MI-5.

Y.S. Selon sa biographie établie par Jacobs il était colonel. Mais tout le monde continue à l’appeler "capitaine Blake".

Une autre anomalie temporelle concerne la véritable version des "Sept Piliers de la sagesse" qui doit être révélée après la mort de Blake. Or à notre époque ce dernier doit être devenu centenaire depuis de nombreuses années.

Y.S. C’est donc qu’apparemment personne n’a retrouvé le document qui est caché à la fin de l’album. Soit Blake n’a pas laissé de testament ou bien quelqu’un a dérobé le manuscrit. Peut-être tout cela sera-t-il révélé un jour ?
Le premier manuscrit a été perdu en gare de Reading. C’est cette authentique anecdote qui m’a lancé dans le scénario. Lawrence avait de grandes ambitions littéraires et n’avait jamais rien écrit de sa vie. Il possède un style lourd, un peu ampoulé, mais c’est très bien écrit. Pressé par ses nouveaux amis londoniens il écrit 1000 feuillets et part montrer cela à un écrivain. Il doit changer de train à la gare de Reading et lui-même raconte que lorsqu’il monte dans le train il s’aperçoit que le manuscrit qui comporte des milliers de noms arabes de lieux et de gens a disparu. Ceci est l’histoire officielle. Mais moi, je pars du principe que ce n’est pas un oubli. Ce n’est pas possible, de même pour sa mort qui est officiellement accidentelle. À l’époque des témoins ont mentionné qu’il y avait sur place d’autres gens, d’autres véhicules. Le seul témoin qui a vu cette voiture est un militaire qui était en congé ce jour-là et qui s’est suicidé l’année d’après. Cela ne veut pas dire que notre histoire est vraie, mais l’Histoire avec un grand "H" a laissé des blancs dans la vie de Lawrence et notre récit s’engouffre dans ces points d’interrogation.

La série XIII présente une autre innovation chronologique. Avant le texte de Van Hamme se déroulait apparemment dans les années 80. Or ici on ne parle plus de la "guerre en Asie" ( le mot "Vietnam" n’a jamais été mentionné), mais en Afghanistan. Votre scénario a-t-il réactualisé la série ?

Y.S. C’est comme dans la plupart des séries de BD. Entre les premières et les dernières aventures de Tintin il y a une quarantaine d’années qui se déroulent. Pourtant Tintin n’a pas 60 ans. C’est en 1929 qu’il naît et en 1976 il se balade avec le sigle de paix sur son casque. C’est le propre de la BD. Spirou est né en 38 et les voitures qu’il emprunte sont celles d’aujourd’hui. Les personnages de BD ne vieillissent pas. C’est leur chance, sauf quand ils sont dans un contexte historiquement défini. Ces contradictions n’apparaissent pas. Pour la plupart des lecteurs les contradictions n’apparaissent pas. "Le Serment des cinq lords" se déroule dans les années 50 alors que dans "Les 3 Formules du professeur Sato" on est déjà dans les années 80. Ce n’est pas le propos. Le propos c’est l’aventure elle-même, ce que vit le personnage, les rapports entre les personnages, l’émotion qu’on a en lisant. C’est ça le propos. On ne passe pas notre temps avec les calendriers en train de se demander si tout cela tiend la route. Ce n’est pas ce qu’attend le lecteur de notre part.

Dans le tome 20 de XIII est enfin mentionné l’ADN. L’identité réelle de XIII aurait pu être établie depuis longtemps en comparant son ADN avec celui de Sean Mullway qui affirme être son père biologique.

A.J. Je pense qu’un scénariste comme Van Hamme y aurait pensé avec une erreur de transfert d’éprouvettes.

Y.S. XIII a vécu ses aventures alors qu’internet et le téléphone portable n’existaient pas.

Quels seront vos prochains album ?

Y.S. La prochaine aventure de Blake et Mortimer sera un album de Jean Dufaux et Antoine Aubin celui qui a dessiné le tome 2 de "La Malédiction des trente deniers". Je reprendrais la série après. Le scénario murit lentement. Il traitera de la science-fiction, de l’archéologie, de la chasse au trésor. Ce sera très anglais en tout cas. En outre je poursuis les aventures de Thorgal.

A.J. Quant à moi je repars dans l’Histoire au XVII° siècle avec "Les Sept vies de l’Épervier", avec grand plaisir d’ailleurs. Globalement je préfère dessiner des chevaux que des voitures.

Certains s’étonnent de l’existence de trois séries de Thorgal.

Y.S. Je ne comprends pas pourquoi ils ne comprennent pas. Il existe deux séries parallèles qui expliquent ce qui arrive aux autres personnages quand Thorgal est parti ailleurs. Ce sont des séries indépendantes qui répondent à cette attente du public, de savoir ce qui survient à Louve, Kriss et Aaricia. Cela permet au lecteur d’obtenir des nouvelles des personnages tous les ans, plutôt que tous les deux ou trois ans. Aujourd’hui il faut bien se rendre compte qu’on se trouve face à un public qui dispose de sa série télévisée à un rythme rapide, toutes les semaines, si ce n’est pas tous les jours. Grace à la vente des coffrets il peut même regarder toute une saison en un week-end. Nous dans l’artisanat de la BD on offre au lecteur une heure de satisfaction par an. On est complètement dépassé, ce qui explique l’utilisation d’équipes pour Blake & Mortimer et Thorgal. Quand on fait un one-shoot dans la BD ce n’est pas grave. C’est comme écrire un roman, personne ne l’attend. Mais quand on fait de la série on s’engage, on fait tout pour que les gens accrochent. Après la moindre des choses est de ne pas se plaindre parceque les gens veulent retrouver ce héros régulièrement. Ce serait assez illogique. Or c’est un réseau d’artisanat. Tout est fait à la main et donc à un certain moment on n’a pas d’autre choix que de doubler ou tripler les équipes. Dans "Plus belle la vie" ils sont sept scénaristes avec chacun une partie des personnages. C’est une machine incroyable, un boulot de fou, mais très très rigoureux. Nous on est deux. Il n’y a pas d’autre choix en bande-dessinée si on veut être plus régulièrement présent auprès du public.

(1) éd. Gallimard, 1996

Lire la chronique de la BD :
http://www.sfmag.net/article.php3?id_article=10144




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