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  Sommaire - Livres -  A - F -  Il Libro dell’Impero
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"Il Libro dell’Impero "
Adalberto Cersosimo

Editeur :
 

"Il Libro dell’Impero "
Adalberto Cersosimo



Je suis allé récemment en Italie, sur la côte toscane, et, non loin de la mer, sous une grande tente blanche, un vendeur de livres d’occasion semblait m’attendre. J’ai trouvé là des romans italiens de fantasy - épopées en prose imitées des Anglo-Saxons -, et parmi ceux-ci, un avait l’air particulièrement intéressant : Il Libro dell’Impero, d’Adalberto Cersosimo, duquel je n’avais jamais entendu parler, et dont c’est l’unique livre : il est connu surtout pour sa participation aux revues de science-fiction italiennes - comme Lovecraft, de son vivant, n’était connu que pour ses récits parus dans Weird Tales. La comparaison n’est pas usurpée, car j’ai acheté puis lu ce livre, et il m’a paru sublime.
Je dois dire d’abord que grâce à lui j’ai retrouvé pleinement cette belle langue italienne que j’avais délaissée depuis de nombreuses années - après avoir lu, surtout I Promessi Sposi, de Manzoni, un livre que j’adore. Elle a une cohérence sublime : esthétiquement pure, elle a pu italianiser les latinismes que le français a laissés tels quels, en les mêlant avec les mots transformés naturellement depuis l’Antiquité - créant ainsi les incohérences remarquées par exemple par le philologue Walter von Wartburg...
Adalberto Cersimo s’en est en tout cas rendu digne par un beau style, travaillé, médité. Son livre se situe dans un empire décadent, qui ressemble simplement à l’empire romain d’Occident à l’époque médiévale, mais qui pourrait aussi être situé dans le futur : des allusions sont faites à un fabuleux passé dans lequel on reconnaît des techniques n’appartenant en principe qu’à un lointain avenir : le voyage interstellaire, par exemple, ou la maîtrise du temps et de l’espace, ou bien les mutations génétiques donnant des pouvoirs psychiques. Cependant, cet empire est dominé par des gens qui cherchent à faire disparaître complètement le souvenir de cette technologie afin de garder seuls le pouvoir. En effet, de l’espace, arrivent régulièrement des hommes descendus de ceux qui ont colonisé jadis les autres planètes et qui ont en eux une forme d’immortalité, pouvant comme les dieux de l’Olympe boire un nectar qui la leur assure, une sorte de drogue, d’élixir de jouvence. Ils vivent cachés parmi les hommes pour leur faire reprendre le chemin normal de l’Évolution, mais ils sont pourchassés par les dirigeants de l’Empire. Ils s’affrontent d’ailleurs aussi entre eux, comme les Magiciens du Seigneur des anneaux, car certains, lassés d’être pourchassés brutalement, se mettent du côté du mal et cherchent à détruire l’humanité.
Mais on ne découvre ce fond mythologique que peu à peu : il apparaît dans les récits avec simplicité et naturel, le point de vue étant toujours celui d’hommes ordinaires de cette époque, pour qui ces réalités sont un mystère.
Cersosimo suggère que le monde dont il parle peut aussi être notre passé. On se souvient par exemple que des rois étrusques étaient réputés maîtriser la foudre - c’est-à-dire l’électricité - par Tite-Live ; et que des allusions à des êtres qui pouvaient aller dans les étoiles se trouvent dans les mythologies : les héros volontiers accèdent aux cercles célestes ! Cersosimo interprète la chose dans un sens matériel.
Mais pas bassement matériel, car son style s’appuie sur le sentiment moral : aux étoiles sont bien liées les valeurs les plus élevées de la Civilisation, qui sur Terre se sont perdues.
En outre, le livre peint la nature d’une façon belle et vibrante, et d’autant plus touchante pour moi qu’il s’agit souvent de montagnes : Cersosimo est piémontais d’origine, et ses paysages ressemblent souvent à la vallée de Suse. Je la connais un peu, et elle est magnifique. De surcroît, elle est voisine de la Maurienne.
Peut-être qu’il voit les choses d’une façon un peu sombre : il y a souvent des horreurs, dans ses histoires, et il est possible que cela ait joué un rôle dans son manque de reconnaissance. Mais il existe un récit sur un jardin figé dans le temps que je trouve sublime : alors Cersosimo parle d’un gardien du Temps et de l’Espace qui a des yeux de rubis pailletés d’or et qui se tient devant une sorte de musée cosmique ; un élu est invité à le rejoindre et à devenir un de ces missionnaires qui vont répandre la lumière sur Terre. Il remonte le temps pour donner la paix intérieure à une femme qui lui a fait du mal parce qu’elle l’avait cru coupable d’un crime que nul en réalité n’avait commis : il se rend sur son lit de mort, tel un fantôme... Le lieu dans lequel s’ouvre la porte du Temps est fabuleux, plein de couleurs et de points lumineux. Le gardien extraterrestre est d’un sublime achevé.
Adalberto Cersosimo a déclaré qu’il avait d’autres récits du même univers à publier ; ils ne l’ont pas encore été. Puissent-ils l’être bientôt ! Car il a réellement créé une mythologie, un monde qui franchit le seuil des apparences ; je le comparerais volontiers à Ursula Le Guin, l’auteur deTerremer.

Rémi Mogenet





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