SF Mag
     
Directeur : Alain Pelosato
Sommaires des anciens Nos
  
       ABONNEMENT
Sfmag No122
118

11
F
é
v
RETOUR à L'ACCUEIL
BD   CINÉ   COUV.   DOSSIERS   DVD   E-BOOKS  
HORS SERIES    INTERVIEWS   JEUX   LIVRES  
NOUVELLES   TV   Zbis   sfm   CINÉ-VIDÉOS
Encyclopédie de l'Imaginaire, 18 000 articles
  Sommaire - Cinéma bis et culte -  Mondwest
Voir 103 livres sur le cinéma, romans, études, histoire, sociologie...

"Mondwest" de Michael Crichton


C’était en 1973. Un étrange petit film d’anticipation venait de sortir sur nos écrans : « Mondwest ». Il y était question d’androïdes dans un parc d’attraction d’un type nouveau où deux amis, parmi bien d’autres touristes, s’en allaient jouer aux cow-boys durant une folle semaine - mais on pouvait aussi y endosser l’armure d’un chevalier médiéval ou le péplum d’un patricien romain. Evidemment, dès le début, tout laissait craindre que leur séjour ne se terminât pas de façon aussi enchanteresse dans ce monde - rappelez-vous de la manchette publicitaire d’alors - où rien ne pouvait aller de « tarvers ». Sans l’imminence d’un crime ou d’une menace apocalyptique, y aurait-il jamais, au cinéma, une histoire capable de tenir le spectateur en haleine jusqu’au bout ? Deuxième film d’un réalisateur encore inconnu - Michael Crichton -, « Mondwest » n’avait pas, non plus, de stars à son générique, à l’exception de Yul Brynner dans un contre-emploi fort bien étudié. Ainsi chacun, ou presque, pouvait s’identifier aux deux grands nigauds campés par Richard Benjamin et James Brolin, entrer avec eux dans cet espace-temps aussi familier qu’inquiétant. Déjà, on sentait bien que « Mondwest » était différent des autres petites productions en provenance d’outre-Atlantique, illustrations d’une science dévoyée que l’on rangeait dans le registre fourre-tout du film-catastrophe. Plus crédible, plus intelligent, le concept dont il procédait n’avait pas fini de faire son chemin dans notre imaginaire collectif.
Près de quarante ans plus tard, son pouvoir de fascination, même à la télévision *, est demeuré intact. L’œuvre n’en a pas moins vieilli et l’esthétique cybernétique qui la sous-tend d’un bout à l’autre ne peut que nous apparaître datée, surtout dans les plans trop récurrents de la salle d’ordinateurs. De même, les nombreuses notations scientifiques qui émaillent les dialogues pourraient nous paraître pesantes si l’on oubliait qu’elles visent moins à rendre le spectateur plus intelligent qu’à le conditionner au contexte ludique où se déroule l’action. En cela, elles sont, elles aussi, savamment détournées. La question de l’intelligence artificielle, comme celle, conjointe, de la confusion mimétique entre humains et androïdes, semblent centrales dans « Mondwest » (Steven Spielberg s’en souviendra trente ans plus tard). Pourtant, même si elles invitent à la réflexion, elles n’en constituent pas, à mon avis, le paradigme principal. Celui-ci est, bien plutôt, à chercher dans le désir inextinguible de jouer qui emportent les deux amis trentenaires vers cette cité d’outre-enfance qu’est Délos. Une cité où tous les interdits sont momentanément levés, qui permet à chacun d’exprimer ses pulsions les plus folles, selon un principe de plaisir jamais abandonné. Elles culminent, bien sûr, dans des rituels agonistiques, les seuls qui permettent à un individu moyen de se sentir tout puissant (puisqu’il est prévu que le touriste ne soit jamais vaincu, ici). Il lui suffit, pour cela, d’entrer dans l’un des trois modèles proposés ; et le plus accessible - le plus vulgaire aussi - est encore celui du western, emblème de la culture de masse avec ses clichés qui ont façonnés les cerveaux enfantins, tant aux USA qu’en Europe. A sa façon, Michael Crichton nous offre ainsi la vision d’une fin de l’Histoire, monde culturellement pléthorique où des hommes sans futur n’ont plus, dès lors, qu’à rejouer indéfiniment les mythes de leur enfance, au risque d’y être aspirés.
Que le jeu soit la raison d’être de Délos ne signifie pas, pour autant, que la réalité n’ait pas droit de cité. Entre eux il y a même un continuum secret qui dynamite toutes les vieilles dichotomies. Loin de s’arrêter là où commence le jeu, la réalité est sans cesse nourrie par lui ; et, quelquefois, elle déborde à son tour dans le jeu. En ce sens, c’est le personnage de James Brolin - pour qui Délos et ses artefacts représentent tout ce qu’il y a de plus réel - qui a raison contre celui joué par Richard Benjamin qui doute de ce qu’il vit depuis son arrivée. La suite des choses va se charger de le dessiller. On peut même parler ici d’un excès de réalité comme Annie Le Brun, critique de la société post-moderne, le dénonce avec fermeté, réclamant, face à toujours plus d’objectivation, la part de l’imagination, fut-elle la plus sombre. Délos ou la mort programmée du fantasme. Nous n’avons fait, depuis, que nous rapprocher de ce monde hyper-rationalisé. Sans d’ailleurs cesser d’en scruter les failles.

Jacques LUCCHESI

* Puisqu’ ARTE a eu la bonne idée de le programmer dimanche 10 juillet 2011.

Mondwest : Fiche technique

Titre original : Westworld
Réalisation : Michael Crichton
Acteurs principaux :
Yul Brynner
Richard Benjamin
James Brolin
Scénario : Michael Crichton
Photographie : Gene Polito
Musique : Fred Karlin
Production : Paul Lazarus III
Société(s) de distribution : Metro-Goldwyn-Mayer
Pays d’origine : États-Unis
Durée : 88 min.
Sortie : 21 novembre 1973



Retour au sommaire des films bis et culte