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Sommaire - BD -  Kull Le royaume des chimères


"Kull Le royaume des chimères " de Nelson/Conrad/Villarubia/Benedetti


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Parlons à présent des choses qui font très plaisir. Après les nouvelles aventures de Conan issues de la main des nouveaux maîtres du comic américain, et qui rendirent compte d’une nouvelle typologie du barbare plus moderne, voici que le scénariste Avril Arad et le dessinateur Will Conrad nous servent ce Kull sous des couleurs extraordinaires de José Villarrubia. Il est une première chose à faire remarquer dans le dessin de comics, c’est que le travail du responsable des couleurs est tout aussi important que celui qui gère le dessin tout comme celui du scénariste, sans parler du lettrage d’Allesandro Benedetti qui lui doit rendre compte à la fois de clarté visuelle comme parfois de rendus particulièrement significatifs pour le genre qu’il arbore. Après la version toute en finesse de Roy Thomas et des dessinateurs de la Marvel dans les années 70/80 aux traits plus léchés, il y a plus de vingt ans de cela, voilà donc que la donne de Kull est relancée au même titre que celle de Red Sonja et Solomon Kane. Tout a été repensé ici, car même si Kull est souvent considéré par les spécialistes comme un prototype du Conan de Howard il répond avant toute chose à un univers précédant de près de 20000 ans celui de ce dernier. Kull est un survivant de la mythique Atlantide qui s’est emparé par la guerre du très puissant royaume de Valusie. A peine arrivé sur un trône bien convoité celui-ci doit faire face à des dissensions multiples quand ce ne sont pas les relations avec les peuplades Pictes des îles avoisinantes qui posent problème. Paradoxalement, c’est justement de cette peuplade insoumise que lui viendra une aide inespérée. En effet, le royaume de Kull vacille sous un complot ourdi par les hommes-serpents mais le souverain ne se doute encore de rien quand un certain Picte du nom de Brule le lui révèle lors d’une nuit rouge sang. Et la réalité dépasse la fiction. Les hommes-serpents infiltrent le royaume en changeant leur apparence contre celle de ceux qu’ils tuent par traîtrise. Ainsi en va-t-il de l’antique guerre que mènent les serpents aux hommes, depuis toujours sans doute. Kull, un moment rétif aux conseils de ce Picte des îles rebelles finira par se ranger à une cause qui implique la survie même de l’espère humaine. Entre compromis avec les vassaux corrompus de ce royaume qu’il vient de conquérir et rixes contre les « complotistes », qui eux sont bien humains, Kull finira par débarrasser provisoirement son fief de cette engeance infernale, dans un carnage de sang et de magie. Car seuls les quelques mots magiques appris de Brule permettent de dévoiler les serpents qui se dissimulent sous les visages humains. Autant dire que le roi a tout à gagner à se faire un ami d’un peuple historiquement adversaire de Valusie. Le début d’une longue amitié guerrière, peut-être l’une des plus belles de la littérature de genre et le témoin d’une profonde avancée raciale de Howard sur ses contemporains dans cette Amérique du début du vingtième siècle au racisme presque institutionnel. Chose fort peu souvent soulevée par les spécialistes, d’ailleurs...
Rarement un comics n’avait été fidèle à ce point au récit originel, tout y est ls décors flamboyants et baroques à souhaits, les antagonismes sauvages, les querelles et complots politiques, les combats à la cinétique parfaite, bref une somme de Sword and Sorcery. Seul petit bémol, certains dialogues trop modernes et vulgaires qui vont assez mal dans la bouche de ce roi barbare jadis inventé par Howard. Est-ce du au scénariste ou à la traduction, fort mal rémunérée en France ? Peut-être un peu des deux. Le fait est que certaines réflexions de la part du roi barbare font trop contraste quand on a lu le texte original, pour ne pas dire qu’elles choquent vraiment par leur anachronisme. Même si ce comics n’égalera jamais dans sa qualité picturale le mythique « Carnage, chroniques du temps où Kull était roi », du très regretté John Bolton, depuis retourné au dessin de vampires gothiques des plus discutables, et œuvre phare de ces trente dernières années, ce premier volet d’une série de comics fait sensation et dépasse même en qualité graphique la série Conan parue il y a peu. De même que pour la saga Red Sonja, les scenaristes, encreurs, dessinateurs et coloristes de Kull sont parvenus à une refondation totale de l’un des plus vieux mythe des comics. Cette harmonie générale donne un clinquant nouveau à une œuvre longtemps passée sous silence. Et en relisant cette histoire sauvage et belle les lecteurs prendront peut-être conscience de ce retard déplorable. Les critiques à l’encontre de cette publications seront toujours les mêmes que celles faites sur les séries Red Sonja et Conan. Alors que Dark Horse continue à se faire publier en kiosque au Etats-Unis sous des couvertures originales tout à fait remarquables (voir en fin de volume) et de façon morcelée pour le plus grand plaisir des fans, en France il semblerait qu’on ait opté pour une publication des récits complets (des intégrales en somme, vieille habitude d’encyclopédiste) sous une couverture unique, même si elle est fort réussie. Grossière et mal découpée, l’édition française prive de fait les lecteurs d’un réel plaisir de collectionneur. Surtout quand on sait qu’aux Etats-Unis sortent parfois quatre couvertures différentes pour un même numéro, suprême plaisir de bibliophile interdit en France. Encore un écueil regrettable de la part d’une édition française ayant prit le parti d’une compilation là où une véritable œuvre d’art attendait de faire mieux parler d’elle sur les étales plus excitants des kiosques à journaux. Et au regard de la galerie de couvertures originales offertes en fin de volume on mesure l’immensité de cette erreur éditoriale qui ne fait rien pour améliorer le quotidien de la vente des comics en France. De fait, ce prix affiché de 22 Euros pour une saga qui se serait mieux vendue à 3.50 euros l’unité en kiosque sous des couvertures nettement plus alléchantes, demeure l’écueil le plus inadmissible pour un jeune lecteur ayant peu de moyens pour s’offrir ses rêves sur papier glacé. Bref, cette compilation aurait été mieux acceptée si elle avait fait suite à une publication au préalable dans les kiosques sous la forme des luxueux et plus abordables fascicules que nous ne pouvons lire que dans la langue anglaise. Les ventes s’en seraient probablement senties et ce gros volume aurait été en quelque sorte une consécration éditoriale. Etrange inversion des tactiques de vente en France...
Mais ne boudons pas notre plaisir, pour ceux qui en ont les moyens cette parution est probablement la plus belle à ce jour concernant l’œuvre de Howard. Et hormis l’illustre et indéboulonnable John Bolton elle constitue la plus aboutie à tous les niveaux de sa conception. Une véritable œuvre d’art et un serial populaire qui fera date dans le genre. Encore bravo !

Emmanuel Collot

Kull, Le royaume des chimères, Nelson/Conrad/Villarubia/Benedetti, Panini Comics, traduit de l’américain par Geneviève Coulomb, 22 Euros.




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