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  Sommaire - Dossiers -  La Compagnie des Glaces par Serge Perraud -  Rencontre avec Philippe Bonifay, le chef d’orchestre

"Rencontre avec Philippe Bonifay, le chef d’orchestre"


Rencontre avec Philippe Bonifay, le chef d’orchestre

Comment avez-vous connu La Compagnie des Glaces ?

C’est Bruno Kalanek, l’organisateur du festival d’Audincourt, lors d’une rencontre en 1999 qui m’a dit : « Tiens, lis ce roman, je suis sûr que cela va te plaire. Cela pourrait être bien pour une adaptation BD. »

Vous n’étiez donc pas un lecteur de SF ?

C’est un genre que je n’apprécie pas particulièrement. Toutefois, j’en lis. J’avais aimé Hypérion de Dan Simmons, des cycles de cette ampleur. Mais je ne suis pas ce qu’on peut appeler un amateur. Mais La Compagnie, ce n’est pas tout à fait de la SF.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans « La Compagnie » ?

C’est une œuvre qui sort de l’ordinaire. L’imaginaire de l’auteur en fait un monde univers sans fin, lui donne un souffle, une puissance, un coté surdimensionné. Ce qui m’a enthousiasmé c’est la multitude des personnages, chacun avec sa personnalité, ses qualités et ses défauts, un profil psychologique intéressant à travailler.

Et alors ?

Très vite, j’ai téléphoné à l’auteur pour lui demander son avis et un accord de principe. J’ai pris contact avec le Fleuve Noir, l’éditeur de La Compagnie pour négocier une option sur les droits d’adaptation. Ces problèmes réglés, il fallait présenter le projet à des éditeurs de BD.

Comment les éditeurs de BD ont-ils perçu le projet ?

D’abord, je ne pouvais pas me présenter avec simplement les romans de G.-J. Arnaud sous le bras. Il fallait préparer un dossier, avoir des éléments, des esquisses. J’en ai parlé à Christian Rossi avec qui je travaille depuis vingt ans, qui est bon en tout, en dessins, analyse, réflexion... Il a défini les principaux personnages. Quelques jeunes dessinateurs que je connaissais ou qui sont venus suite à mes annonces se sont attaqués aux décors... Stéphane Knecht a réalisé quelques planches. Avec cette base j’ai rencontré, G.-J. Arnaud qui m’a donné immédiatement son accord, et trois éditeurs : Delcourt, Glénat et Dargaud Bénélux, en la personne de François Pernaud son directeur général. Ce dernier m’a signifié clairement son accord et début juillet 2001, la machine était lancée.

Quel programme avez-vous défini ?

Il fallait réaliser un premier album pour noël qui servirait de test auprès de Dargaud. Si ce premier tome était accepté, cela représenterait trois albums par an, pour commencer avec l’objectif d’en faire une centaine. On part sur la base de deux BD par roman. Mais, il y a des passages moins « intéressants », des paragraphes sur les transports, par exemple, d’autres parties qui sont moins visuelles. Cela fera cent albums BD.

Sortir trois albums par an ?

Mon objectif est même d’en faire quatre, un par trimestre, ce qui me parait être un bon rythme et correspond à la méthode de travail. De plus, il est nécessaire d’avoir des albums d’avance. Il faut que l’on puisse faire des breaks de temps à autre, sinon... De plus, il y aura des histoires en parallèle. Georges (Arnaud) envoie ses personnages à l’autre bout de son univers, les fait disparaître quelques années. On prévoit, pour que le lecteur puisse se repérer, en quatrième de couverture, un schéma avec des petits trains qui permettront de situer les albums dans une chronologie.

Comment assurer une telle cadence ?

Avec une équipe composée de douze personnes ! Il faut, en effet, une organisation qui rompe avec le fonctionnement de la BD classique : un album par an en moyenne. Il a fallu se rapprocher des méthodes de travail du dessin animé et se repartir les tâches, chacun se spécialisant.
Je travaille sur le scénario avec Anne Boisnay. Christian Rossi assure les roughs, (le découpage graphique page par page) deux dessinateurs pour les décors, deux autres pour les personnages, d’autres pour les recherches graphiques, pour les animaux... Une personne réalise les planches numériques à partir des dessins. Deux coloristes sur ordinateurs utilisent les indications laissées par l’auteur. (Quand il y en a)

Pour cela nous avons crée Jotim Editions, un studio virtuel, car, en fait, nous sommes dispersés dans toute la France.

Comment avez-vous constitué votre équipe ?

Bodoï a fait un gros travail de suivi du projet « Compagnie » dans ses pages. J’y ai passé des messages pour inciter ceux qui étaient intéressés à me contacter. J’ai également fait de l’information dans des forum BD. Tout s’est fait par Internet, déjà ! Et puis, j’ai moi-même contacté un certain nombre de personnes que je connaissais et dont j’apprécie particulièrement le talent : Christian Rossi, par exemple.

Quelles sont vos méthodes de travail ?

Chacun travaille chez soi et nous échangeons tout par Internet. Nous créons, dessin après dessin, une banque de données accessible à tous les membres de l’équipe. Ainsi, selon ses besoins, chacun peut chercher dans la base, les images nécessaires, celles-ci étant traitées en plongée, en contre plongée, en neutre. Mais tout repasse par Christian Rossi qui a la mission d’assurer la cohérence, de veiller à ce qu’il n’y ait pas de distorsions, d’écarts, d’erreurs.
On défriche, on essuie des plâtres, car c’est la première fois au monde que l’on travaille en BD de cette manière. On innove, on essaie de résoudre les problèmes au fur et à mesure. L’ordinateur est devenu un outil professionnel peu cher que nombre de dessinateurs commencent à intégrer. Son utilisation sera de plus en plus fréquente. Mais cela pose d’autres difficultés. Il faut, par exemple, des matériels identiques de façon à avoir le même rendu, la même image et colorisation.

N’est-ce pas difficile à coordonner ?

Oh si ! Très difficile. Encore plus que je ne le pensais. Mais le projet est enthousiasmant. Il me faut travailler sur trois ou quatre albums à la fois. Il faut suivre les recherches pour commencer les scénarios, étoffer les roughs, suivre le travail des dessinateurs, la mise en couleurs de celui qui est en phase de finalisation.

Le premier tome devait sortir en avril 2003. Pourquoi ce report en septembre ?

Ce projet ne peut se faire qu’avec de jeunes auteurs pas encore installés dans leur travail, avec un planning de commandes à respecter. Il faut une grande disponibilité. Ces jeunes auteurs peuvent avoir des « faiblesses ». J’avais donc prévenu, compte-tenu également de la méthode de travail, qu’il faudrait sans doute réinvestir dans le premier album. « Non, non, on verra. » m’avait-on répondu.
Un mois avant de sortir le tome un, lors d’une réunion, il a été décidé de reporter la publication d’avril en septembre et de recommencer les personnages principaux. Il est vrai qu’il y avait un certain déséquilibre. Jérôme Lereculey a donc été recruté pour cela. Mais, voyant que la date de sortie était reportée, chacun a voulu reprendre la partie des dessins dont il était responsable, ce qui fait qu’une part importante de l’album est revue et améliorée.

Qui est le Philippe Bonifay hors Compagnie ?

Cela fait vingt ans que je fais des scenarii de BD. J’ai démarré avec Rossi, justement, sur Les Chariots de Thespis. J’ai travaillé avec Terpant sur trois séries : Le Passage de la saison morte chez Glénat, Messara chez Dargaud et actuellement on est sur une série qui s’appelle Pirates chez Casterman. Sinon, j’ai fait un one-shot qui s’appelle Les Ados du béton avec Fontaine. J’ai fait Zoo chez Dupuis, avec Frank et avec Falque, Jane chez Casterman.

Comment envisagez-vous l’avenir du projet ?

Le projet va s’étaler sur 25 ans, à raison de quatre albums par an. J’ai 43 ans. Cela risque d’être un peu court ! Ce qui est important, c’est de lancer le projet. Et puis tout peut arriver, y compris de se lasser. L’essentiel est que le projet soit viable, que des gens soient formés pour prendre le relais sur les mêmes rails et dans le même esprit. Ce studio virtuel offre la possibilité à de jeunes auteurs de venir travailler dans le groupe, avec des auteurs confirmés, de se mettre le pied à l’étrier. La Compagnie des Glaces doit servir aussi aux jeunes. De toute façon, l’équipe changera. Rossi ne fera sans doute pas l’ensemble des roughs. Je souhaite qu’il finisse le premier cycle, mais après, il en aura peut-être assez et voudra qu’on le remplace.

Quelle est la journée-type de Philippe Bonifay ?

Comme tous les auteurs qui travaillent à la maison, le rythme du travail est lié à la vie familiale. Mais en général, c’est vers 7h30 que je commence le petit déjeuner. Puis après la lecture du courrier Internet je dresse le plan de travail de la journée. Je commence à bosser sur des domaines pas trop liés au « scénario ». Je préfère réserver ce travail pour l’après-midi ou la nuit. Donc dix mille choses à faire, à traiter dans l’urgence. Je termine, selon les périodes, vers minuit, mais il m’arrive de me coucher à trois heures du matin.


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