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Sommaire - Interviews -  Laurent Genefort


"Laurent Genefort" de Par Serge Perraud


Laurent Genefort a 36 ans et il écrit depuis plus de quinze ans. Il a débuté sa carrière avec un livre-hommage à Serge Brussolo en 1988. Sa bibliographie est riche de plus de trente-cinq romans et de nombreuses nouvelles.

Il mène de front le développement de trois univers très personnels : des space-opera ultra technologiques voisinent avec, une fantasy débridée digne des meilleurs contes de mille et une nuits, et un monde énorme qu’il construit dans une sphère de Dyson. Il a su conquérir une place spécifique dans le paysage de la SF française.

Ces raisons désignent Laurent Genefort comme l’auteur idéal pour faire la transition, être en quelque sorte « La Porte de Vangk » entre les auteurs « installés », reconnus et les auteurs en devenir.

I) Votre statut « d’ancien » !

SP : Des auteurs, jeunes ou moins jeunes, sollicitent-ils votre avis ? Votre caution (littéraire) ?

LG : Cela m’est arrivé à quelques reprises, non en tant qu’« ancien », mais en tant que professionnel de l’écriture. Je me considère moi-même encore comme un jeune auteur. Il me reste beaucoup à apprendre.

SP : Avec toute la modestie qui vous caractérise, ne pensez-vous pas être l’initiateur d’un courant, d’une école en SF ?

LG : Avec toute la modestie qui me caractérise : non ! Personne ne se réclame de mon écriture et c’est tant mieux. C’est une situation que je détesterais. Mais cela n’arrive pas beaucoup en SF, il suffit de discuter avec les auteurs, comme Roland Wagner ou Dunyach : ils ont tous une personnalité très affirmée et n’ont aucun besoin de se référer à une quelconque école ou à un quelconque gourou.

SP : Vous même, avez-vous été influencé par un ou des auteurs ?

LG : Au début, cela m’est arrivé avec Serge Brussolo. Dans les années 1980, c’était une voix extrêmement novatrice dans le paysage de la SF où la plupart des textes intéressants se situaient dans la jeune mouvance cyberpunk. Dans mes premiers romans on sent clairement son influence. Mais je n’ai jamais eu le sentiment de faire du « sous-Brussolo » car mes romans étaient des space operas classiques, aux antipodes de ce que faisait Serge.

SP : Votre premier roman a été publié en 1988. Avec le recul, y-a-t-il des livres que vous auriez écrits différemment ?

LG : Ah, si c’était à refaire... J’aurais écrit tous mes livres différemment ! Mon seul regret est peut-être d’avoir publié Le Monde blanc, mon deuxième et pire ouvrage. Mis à part ce bémol, l’expérience Fleuve Noir a été enrichissante. Cela a été une école d’efficacité : on devait produire des romans prêts à être publiés avec un minimum de travail éditorial. Il fallait être rapide et efficace. Aujourd’hui, je ne suis sans doute plus capable d’écrire avec autant de fougue que je l’ai fait à cette époque, sur un tel rythme ; mes romans sont plus réfléchis, plus structurés - et plus épais !

SP : Le monde de l’édition SF de 2003 est-il très différent de celui de 1988 ?

LG : Oui, à tous les niveaux. En fait, le déclin qui touchait déjà la SF en 1988 ne s’est jamais vraiment inversé, même avec l’« effet An 2000 » où l’on a beaucoup parlé de SF et où beaucoup de collections ont vu le jour... mais où les lecteurs n’ont pas suivi. Depuis 1988, de l’eau a coulé sous les ponts. D’abord, la fantasy a aujourd’hui envahi le rayon SF et, si on enlève les novellisations (Star wars et autres), le nombre de titres de SF et de collections a fortement chuté. Mais il s’est aussi passé des choses très intéressantes : les anthologies initiées par Serge Lehman chez Fleuve Noir, l’apparition d’auteurs comme Dantec ou Houellebecq dans la littérature générale... Encore une fois, l’avenir n’est pas écrit !

SP : Est-ce un mieux pour les auteurs ?

LG : La disparition des collections « canoniques » a sonné le glas d’un certain confort dans lequel pouvaient se complaire des auteurs dans mon genre ! D’un autre côté, cela m’a forcé à sortir de ma coquille... Il y a une plus grande précarité aujourd’hui. Cela dit, tous les directeurs de collection auxquels j’ai eu à faire jusqu’à présent faisaient leur possible pour soutenir leurs auteurs. J’espère qu’ils en auront toujours les moyens, car la politique des groupes éditoriaux dirigés par des financiers, avec leurs économies de bout de chandelle et leurs absurdes objectifs annuels, est vraiment préoccupante. J’ai vu ce que cela a donné il y a quelques années chez Fleuve Noir, qui n’est plus qu’une coquille vide exploitant des licences ; je reste attentif à ce qui se produit chez J’ai lu.

SP : Trouvez-vous une grande différence de ton entre la SF des années 1980 et celle d’aujourd’hui ?

LG : Une énorme différence. Pour moi, la SF des années 1980 était moribonde. Depuis, il s’est passé plein de choses extrêmement intéressantes : la maturation du cyberpunk, l’émergence du steampunk, le renouvellement « par le haut » du space opera et de la hard science... Vraiment, on vit une époque formidable au niveau créatif avec des auteurs comme Greg Egan, Iain Banks, Stephenson, Baxter... Ce qui me fait regretter d’autant plus le manque d’audience de la SF, le désintérêt du public.

SP : La SF doit-elle rester une littérature de délassement ou inclure des messages politiques ?

LG : J’ai la naïveté de penser qu’il doit être possible de faire les deux en même temps ! Ayerdhal y parvient peut-être le mieux... mais il est peut-être une exception : un auteur comme Harry Harrison, par exemple, qui arrivait parfaitement à inclure un message fort dans ses récits d’aventure, n’a jamais marché en France. Plaisir et intelligence ne sont peut-être pas jugés compatibles ?

SP : Avez-vous, dans les nouveaux venus à l’édition, des auteurs qui ont retenu votre attention ?

LG : D’abord, la SF n’est plus une quasi exclusivité américaine. Regardez « Akira » ou « Ghost in the shell » : pour ce qui est de la modernité, l’Occident n’a de leçon à donner à personne. Pour la première fois depuis le début de son histoire, la SF est peut-être en train de devenir réellement un mouvement mondial.

En ce qui concerne la France, je suis réellement impressionné par certains textes dans le domaine de la nouvelle, ceux de Serge Lehman ou Jean-Claude Dunyach pour ne citer qu’eux. Concernant le roman, il est plus dur de rivaliser avec les grands auteurs anglo-saxons, spécialement en ce qui concerne la hard science. Mais je ne désespère pas de trouver un jour un Gregory Benford français...

II) Votre œuvre SF

SP : À côté du space opera « hard » vous animez une série de fantasy au ton plus léger. L’écriture des aventures d’Alaet est-elle une récréation ?

LG : C’est exactement cela : chaque aventure d’Alaet est écrite comme une respiration entre deux romans de SF, lesquels requièrent plus de préparation. Alaet agglomère plusieurs de mes figures préférées de la fantasy et du folklore : Sinbad le marin, le Souricier gris, Cugel l’astucieux... C’est un personnage que je suis avec un immense plaisir.

SP : Comment passez-vous de l’univers ultra technologique des Vangks à la fantaisie débridée de celui d’Alaet ?

LG : Cela ne pose aucune difficulté car mes univers SF et fantasy ne débordent pas l’un sur l’autre. Le versant fantasy de mon écriture est purement narratif : le plaisir que j’y prends est de nature différente de la SF, où c’est le plaisir de la spéculation intellectuelle et de la création d’univers qui sert de moteur.

SP : Si, entre les trois univers que vous animez vous ne deviez en conserver qu’un, lequel retiendriez-vous ?

LG : Je n’en sacrifierais aucun car ils me sont tous indispensables. Ces trois univers sont en expansion, chacun de leur côté. En ce qui concerne Omale, tout reste à faire, j’ai l’impression de n’avoir écrit que des prologues ; il y a un vertige à imaginer tout ce qu’il reste à écrire...

SP : Pour quel public les aventures d’Alaet étaient-elles conçues initialement : adultes, jeunesse ?

LG : Les premières aventures d’Alaet, je les ai écrites à l’âge de vingt ans ; c’était un recueil de nouvelles dont la plupart sont parues par la suite dans des anthologies et des magazines. Ensuite, j’ai fait paraître deux romans adultes chez Hachette, dans une collection mort-née. Finalement, j’ai eu l’opportunité de créer une série jeunesse, et je me suis dit tout naturellement qu’il me fallait donner une jeunesse à Alaet. J’ai été contacté récemment par une maison d’éditions pour en faire une série BD. C’est à l’étude pour 2005. Voilà où nous en sommes...

SP : Avec Omale, est-ce la création physique de ce monde ou les relations entre ces races qui vous intéressent le plus ?

LG : Les deux sont aussi importants pour moi. La sphère de Dyson symbolise ce qui fait la marque des livres-univers : la vastitude et l’exotisme du monde, son caractère artificiel avec les contraintes de vraisemblance qui en découlent... bref, un endroit propice à l’aventure et à la spéculation échevelée... Et qui offre une place suffisante pour développer les relations entre Humains et extra-Humains.

SP : Y-a-t-il des domaines de SF, ou d’autres que vous auriez envie d’explorer ?

LG : Oui. Cela fait quelques années qu’un projet d’uchronie mûrit. J’espère pouvoir le mener à bien un jour prochain...
L’essentiel de ma production relève du space opera ; j’aimerais écrire une histoire située dans un futur à court terme, pour changer.

III) La Mécanique du Talion

SP : La Mécanique du Talion, pourquoi ce titre ?

LG : Un bon titre doit faire sens et être harmonieux. Parfois, cela vient tout seul, parfois il faut des mois. Ici, le titre définitif a été trouvé après que le roman a été achevé. J’avais d’abord proposé « Mécanique de la vengeance » et « Contempler l’abîme » ; c’est finalement « La Mécanique du Talion » qui a été retenu par l’Atalante.

SP : Pourquoi abordez-vous la vengeance par l’intérieur, avec un héros qui ne vit que pour cela ?

LG : J’ai voulu créer dès le départ un personnage classique, que l’on pourrait trouver dans un roman de Jack Vance par exemple, puis le faire évoluer dans mon univers. J’ai conçu le roman comme une spirale ascendante ; au début, on accompagne un personnage qui poursuit une vengeance privée, et progressivement l’enjeu s’élargit, s’élargit, jusqu’à un complot qui englobe le futur de l’humanité.

Le space opera est un genre populaire qui se prête bien aux personnages excessifs ; ils s’y déplacent avec aisance, sans se cogner aux murs. Il y a quelques années, j’ai imaginé un autre personnage excessif à sa manière : Axelkhan, dans le roman Les Opéras de l’espace. J’en avais retiré un tel plaisir d’écriture que j’ai voulu le renouveler avec Valrin dans La Mécanique du Talion.

SP : La haine peut-elle transformer aussi radicalement une personne ?

LG : Comme je vous l’ai expliqué précédemment, Valrin appartient à une tradition de héros populaires maudits. Cela dit, le cas de Valrin n’est pas aberrant. Les exemples de changement radical de personnalité abondent dans les archives criminelles.

SP : N’avez-vous pas l’impression d’avoir réduit Valrin à une simple expression ?

LG : Exactement. C’est pourquoi l’autre personnage clé du roman, Xavier, prend de plus en plus d’importance au fur et à mesure du récit. Lui est au contraire motivé par l’amour. Le récit mené par Valrin seul aurait été trop sombre, trop désespéré... Mais au fond, tous les deux, qu’ils soient motivés par l’amour ou par la haine, sont amenés à prendre des décisions parfois immorales. S’il y a une lecture morale, elle est que si on sépare le but des moyens, le résultat final est toujours le même : la justification des pires atrocités. Évidemment, j’en parle a posteriori. Ma préoccupation première était que le personnage évolue tout en restant cohérent avec lui-même. À la base, Valrin incarnait une question politique : quand survient un drame collectif, que peuvent faire les victimes, vers qui (ou quoi) se tourner lorsque aucune instance ne peut leur rendre justice ?

SP : Le roman se clôt sur une fin assez ouverte. Pensez-vous lui donner une suite ?

LG : J’ai dans l’idée de suivre le périple du Notos, le vaisseau des Pèlerins dans lequel se trouve Jana à la fin du roman. Voir ce qui pourrait se nicher derrière la Porte Noire. Mais ce n’est pas pour tout de suite car j’ai de nombreux projets en cours.

SP : Vous semez la mort avec ardeur dans votre roman. Est-ce facile de tuer ainsi des personnages ?

LG : Tant que mes personnages ne viendront pas me tirer par les pieds quand je dors, je continuerai à disposer d’eux comme je l’entends ! C’est vrai que je dépeins un univers violent et cynique. Ou disons, aussi violent que le nôtre ; simplement, l’échelle est différente. Le space opera est d’abord un facteur amplificateur, tout y est plus grand, plus contrasté. Y compris les côtés sombres de la réalité. Mais tout n’est pas noir, loin de là.

SP : Je reste sur ma faim dans la connaissance des Vangks. Pouvez-vous nous en dire plus ?

LG : Certainement pas ! Et mes prochains livres pour l’Atalante alors ?

SP : Vous adaptez les humains aux conditions de vie extrême. Les mutations organiques vous fascinent-elles ?

LG : Je n’irais pas jusqu’à parler de fascination. Mais je ne pourrais pas prétendre faire du space opera moderne si je faisais abstraction des problèmes biologiques rencontrés par les protagonistes vivant dans l’espace ou dans des environnements exotiques. Question de vraisemblance.

SP : Dans votre univers, seules les multimondiales imposent leurs lois. Est-ce un parti pris romanesque ?

LG : C’est un parti-pris romanesque depuis que j’ai commencé à écrire, en 1988... Et c’est le reflet de la réalité. Souvenez-vous simplement du coup d’État de Pinochet ; peu après le putsch, les mines de cuivre nationalisées par Salvador Allende ont été restituées par la junte militaire aux firmes américaines qui en étaient propriétaires... ou voyez les massacres perpétrés en ce moment au Congo pour le contrôle des mines de diamant. La politique internationale est menée par et pour des intérêts économiques. Dans le futur que je décris, cette réalité est seulement plus tangible.

SP : Vous abordez une théorie physique assez nouvelle, celle relative au Multivers. Qu’en est-il ?

LG : La théorie du multivers n’est pas si neuve que cela. J’essaie d’être novateur dans ses applications dans le cadre de mon univers, en lui donnant une forme mathématique par exemple. Mais je ne voudrais pas déflorer ici le roman.

SP : Et, pour clore, quels sont vos projets ?

LG : J’achève en ce moment le troisième volet de mon cycle d’Omale, à paraître chez J’ai lu Millénaires en mars prochain. D’autre part, un deuxième grand format des aventures d’Alaet est prévu pour mai 2004. J’ai d’autres projets SF, en BD cette fois : l’adaptation en un album d’une de mes nouvelles, « T’ien Keou », paraîtra chez Soleil en mars 2004, sous la plume électronique de Jean-Michel Ponzio. Et une autre série est prévue chez cet éditeur.




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