10/10

Une Pontiac sans âge file sur une route sans fin. A son bord Stan Ternasky baroudeur sans mémoire guidé par la voix de sa radio, un mystérieux "Lord Gamma". L’enjeux de sa quête, Prill sa fiancée promise, qu’il ne pourra retrouver qu’au prix de l’élimination de ses clones qu’il recueillera à son bord à chaque relais constitués par les bunker bordant l’asphalte.

Road- movie sombre sur un monde en déliquescence, "Lord Gamma" est un voyage au bout de l’enfer sur la quête de l’identité (Stan aurait-il dormi des siècles durant sur la banquette arrière de cette Pontiac ?) ainsi qu’une quête des origines (le monde sur lequel il déambule serait-il la terre des siècles plus tard) .

Stan exécute les clones mais noue des rapports intimes avec elles. Le dernier tiers du roman apporte un rééquilibrage de la narration avec le dévoilement de l’identité de Lord Gamma, et au bout une révélation. Le roman de Michael Marrak est une totale réussite car il parvient parfaitement à doser les différents ingrédients nécessaires pour une bonne histoire. Les scènes d’actions sont parfaites (gun-fight avec "les Runners" sortent de cyber- arachnides qui bordent la route) et les réflexions métaphysiques sont de puissantes évocations sur la réalité, les origi-nes, et le devenir.

Au bout cette pensée qui est la trame de cette histoire quelque peu surréaliste : Une réalité virtuelle s’éle-vant à la toute puissance peut-elle faire office de Dieu ? La fin est une prise de conscience sur un devenir messianique et une place pour chaque personnage dans la mécanique divine de cet artefact divin, à la différence qu’aucun ne sait vraiment en quoi ils le seront. Réussite totale de la science-fiction Allemande et de la science-fiction mondiale, "Lord Gamma" annonce une voix nouvelle dans le genre, et une écriture qui renouvelle totalement les vieux poncifs pour nous fasciner.

La condition de ces clones révèle un peu plus cet abîme insondable qui sous-tend un récit à des kilomètres de la science-fiction classique et qui nous fait lointainement penser à "Au coeur des ténèbres" de Conrad. La langue est riche et l’intrigue très originale, car tout en se référent à Matrix elle en est totalement différenciée par son caractère intimiste et moins va-t-en-guerre.

Bemman, Esbasch, Marrak, il ne manque plus que Wolfgang Holhlbein pour combler un groupe d’auteurs qui comptent du simple fait qu’ils savent divertir tout en distillant de profondes méditations philosophico-métaphysiques.
Emmanuel Collot

Lord Gamma, Michael Marrak, Atalante, Traduit de l’Allemand par Claire Duval, 434 pages, 19,50 Euros