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Sommaire - Interviews -  Amélie Nothomb


"Amélie Nothomb" de Par Damien Dhondt


D.D. : Comment êtes vous entrée dans le monde de l’écriture ?

A.N. : Jamais je n’aurais pensé à montrer mes livres à qui que ce soit s’il n’y avait pas eu le colossal échec japonais. Quand j’ai quitté cette entreprise japonaise j’avais vingt-trois ans et je me suis dit "Bon, et maintenant que tu as tout raté. Que vas-tu faire ? Tu n’es pas bonne à rien. Comment vas-tu gagner ta vie ?" Considérant que je n’avais rien à perdre j’ai tenté cette chose ridicule qui consiste à vouloir vivre de sa plume et ça a marché. J’avais déjà écrit auparavant mais pas du tout dans le but d’être publié ni même d’être lu. J’écrivais parce que j’avais besoin d’écrire. Je n’ai jamais écrit autre chose que des romans, mais ce n’était pas du tout destiné à être publié et ils ne le seront jamais. "Hygiène de l’Assassin" est mon premier roman publié et c’est le 11° écrit. En ce moment je suis en train d’écrire le 38°. Nombre d’entre eux n’ont pas été montrés et ne le seront pas. Deux mois après d’avoir fini d’écrire le livre je le reprends. Je le relis et c’est à ce moment que je le comprends. A ce moment je me pose la question de savoir s’il est destiné à quelqu’un ou seulement à moi. Je tiens à faire ce choix toute seule et jusqu’à présent je ne crois pas m’être trop trompé.

D.D. : Est-ce qu’on peut espérer... ?

A.N. : Non. On peut espérer d’autres livres mais ceux qui ne sont pas destinés à la publication et ne le seront pas. Ils ne sont pas si monstrueux qu’on ne peut pas les montrer mais j’ai l’impression qu’il n’y a rien à partager en eux, qu’ils ne s’adressent à personne. De plus je vois que certains de mes manuscrits sont ratés, mais ce sont mes enfants, si on voit qu’on a fait un enfant nul est-ce qu’on va le jeter ? Il m’est impossible de détruire mes manuscrits parce que se sont tous mes enfants et on ne peut pas détruire ses enfants. Pourtant je ne voudrais à aucun prix qu’ils soient publiés, jamais ! Donc je suis allé voir un notaire en lui expliquant que je voulais, par clause testamentaire, que ces manuscrits ne soient jamais publiés. Il m’a dit "Tout ce que vous voulez mademoiselle mais cinquante ans après votre mort vous perdez de toute façon tous les droits sur ce que vous avez écrit". On peut se dire que 50 ans après ma mort plus personne ne se souviendra de moi. Donc cela n’a aucune importance. Mais dans l’éventualité où quelques tordus se souviennent encore de moi et que ces oeuvres innombrables tombent dans le domaine public cela me fait dresser les cheveux sur la tête. D’où le problème métaphysique, technique et juridique que je pose à tout le monde et j’attends les suggestions : comment faire pour ne pas détruire les manuscrits et cependant pour les rendre inaccessibles ? J’ai déjà eut quelques suggestions brillantes comme suivre l’exemple des Egyptiens et me faire embaumer avec mes écrits. J’en attends encore d’autres.

D.D : Comment vos oeuvres parviennent-elles à maturité ?

A.N. : Cela prouve bien que c’est un accouchement tout à coup je vois qu’il est sorti tout entier et c’est vrai que cela fait une drôle d’impression. On se sent vide et angoissé mais heureusement je retombe enceinte tout de suite.

D.D. : S’agit-il de premiers jets ?

A.N. : Il y a énormément de ratures dans mon cerveau, mais très peu sur le papier. J’écris sur des cahiers d’écolier au bic. Trois mois c’est l’accouchement proprement dit et je ne compte pas dans ces trois mois, les mois de lutte avec mon éditeur pour diverses virgules et autres histoires.

D.D. : Et une fois arrivé à la publication ?

A.N. : C’est une angoisse considérable. Mais c’est aussi merveilleux car on ne sait jamais comment un livre va être reçu par ses lecteurs et c’est très bien car cela prouve que ce ne sera jamais un business. Si on pouvait savoir ce que le lecteur allait aimer on pourrait faire des produits marketing mais c’est impossible parce que personne ne sait ce que le lecteur va aimer.

D.D. : Dans "La métaphysique des tubes" nous apprenons que vous avez la particularité d’être née à l’état de Dieu mais d’avoir été considérée comme un légume.

A.N. : Je pense comme les Japonais que jusqu’à l’âge de trois ans on est un Dieu. La plupart des Japonais sont logés à cette enseigne parce que les tous petits enfants japonais sont traités comme des dieux et à trois ans on quitte cet état de divinité parce qu’on entre en maternelle et les maternelles japonaises je les ai faites. Je suis restée au Japon jusqu’à mes cinq ans. Ce n’est pas rigolo du tout. C’est terrible. On est déjà sélectionné. On est mis à l’épreuve et les enfants s’en rendent compte. Ils savent déjà que les enjeux sont terriblement importants et que c’est vraiment fini de rigoler. C’est vraiment dur de les traiter comme ça. Ceci dit faut-il remettre en cause les trois premières années ? C’est plutôt la suite qu’il faudrait remettre en cause. Le Dieu que j’étais ne voulait pas parler, aussi on me croyait un légume. Mes parents avaient fait preuve de beaucoup de philosophie. Ils avaient consulté un médecin qui leur a dit "mais c’est très grave, cela ne va pas du tout, il faut la mettre à l’hôpital". Mes parents ont réagi avec beaucoup de nonchalance en se disant somme toute que les légumes aussi avaient le droit d’exister. Ils avaient déjà deux enfants normaux et un troisième inerte cela ne les dérangeait pas. C’était reposant. C’était un spectacle agréable et finalement ils n’ont rien fait du tout et il semblerait qu’ils aient eu raison parce que je ne sais pas ce qui se serait passé si les médecins s’étaient penchés sur mon cas. Finalement je me suis réveillé et donc je crois qu’ils ont eut raison. Cela pourrait être un des enseignements du livre : qu’il ne faut pas comparer son enfant aux autres, chaque enfant a son rythme, s’il se réveille à deux ans cela n’est pas plus grave.

D.D. : Vous avez un souvenir assez net de votre état de Dieu.

A.N. : Le souvenir est authentique. Si d’autres pouvaient se souvenir ils se souviendraient de choses miraculeuses comme apprendre à lire et qu’on apprend tout seul à et âge là. Je ne pense pas qu’ils s’en souviennent. J’espère que ce livre va permette aux autres de s’en souvenir. Mon dernier livre est plus particulièrement un travail de définition du monde, plus précisément dans le cas de petit martien, puisque je pense que l’on naît à l’état de petit martien qui doit mettre un nom sur les choses. C’est un travail de première définition du monde. Mes livres sont un prolongement de l’enfance. C’est un moyen de trouver enfin le réel. On quitte le domaine de la métaphysique pour entrer dans le domaine de la physique. A partir de deux ans et demi cela ne me paraît pas impossible de se souvenir. A travers les discussions que j’ai pu avoir avec d’autres je me suis rendu compte que j’étais loin d’être la seule. Avant je ne me souviens pas de grand chose, mais à partir de deux ans et demi cela ne me paraît pas incroyable. C’est plus de l’ordre de l’impression que celui du souvenir. En descendant le plus possible dans mon sous-marin je ne peux prétendre avoir trouvé des souvenirs sur l’état de Dieu ou de légume, mais quand même une impression. J’ai essayé de la mettre en mots. Maintenant allez savoir ce qui dans des impressions si reculées relève du fantasme pur ou de la réalité.

D.D. : Dans ce livre vous choisissez de mourir.

A.N. : Cela me parait une attitude tout à fait compréhensible de la part d’un tout petit enfant. Je suis sur qu’il doit y en avoir. Ils ne sont pas répertoriés parce que les petits enfants n’ont pas les moyens d’exprimer qu’ils sont en train de se suicider mais je suis sur que ce doit être assez fréquent. Le tout petit est près de la mort, parce que si on est d’accord pour dire qu’on va vers la mort on doit être d’accord pour dire qu’on en vient. Le petit enfant est aussi en situation de choix. Il n’est pas encore sur qu’il ait accepté de vivre, donc je comprends qu’à un moment il aborde la possibilité de refuser de continuer.

D.D. : On a l’impression que vous avez une fascination pour le plaisir et l’horreur.

A.N. : Quand on est dégoûté par quelque chose on ne comprend pas et du coup on regarde encore plus. De là il y a peut-être une forme de plaisir à ça. Ceci dit dans mes livres le plaisir ne vient pas de la même chose qui dégoûte. Le plaisir vient de la contemplation de la beauté ou alors des chocolats. Il n’y a pas de confusion entre les deux. Ces sensations se confondent rarement.

D.D. : Vous sentez-vous toujours Japonaise ?

A.N. : Le Japon m’a bien fait comprendre que je n’étais pas japonaise. Dans "Stupeur et tremblements" je relate mon retour au Japon et ma tentative de devenir Japonaise. Donc j’ai fini par comprendre que je n’étais pas japonaise et cependant j’ai compris que je n’avais pas de nationalité.

D.D. : Mais aux dernières nouvelles vous êtes Belge.

A.N. : Oui, ce qui est peut-être une manière de ne pas avoir de nationalité. Mais ce qui est certain c’est que je vois où reste le Japon en moi et je vois qu’il occupe encore pas mal de terrain. De tous les pays c’est celui qui m’a le plus imprégné. C’est le Japon qui m’a appris qu’il existait une différence sexuelle et que cette différence posait problème à pas mal de gens, pas à moi.

D.D. : Savez vous si Fubuki Mori a lu votre livre ?

A.N. : Il est à craindre qu’elle ait eut accès à mon livre et qu’elle l’a lu. Je ne veux pas le savoir. C’est un cas où je suis tout à fait Japonaise. Je suis restée une petite employée qui crève de trouille de l’opinion de mon ancien supérieur. Ce qui est certain c’est que cela ne va pas lui plaire. Mais ce n’est pas du tout un livre contre elle.

D.D. : Y a t-il eu une réaction japonaise à la parution de "Stupeurs et tremblements" ?

A.N. : Il est en train de paraître au Japon. Mais avant même d’être traduit, il a provoqué énormément de réaction au Japon et cela c’est un excellent côté des Japonais. Contrairement aux autres Asiatiques ils s’intéressent profondément à ce qu’on pense d’eux. Les Japonais sont curieux dans l’absolu, mais aussi curieux de l’image qu’ils renvoient. Alors bien évidement le livre n’a pas fait plaisir à tous les Japonais, mais cependant il a fait plaisir à certains. C’est évident que c’est un livre qui n’a pas fait plaisir aux chefs d’entreprise japonais. Mais beaucoup de petits employés et surtout de petites employées m’ont écrit des lettres extrêmement chaleureuses.

D.D. : Pensez-vous que ce livre va changer la mentalité japonaise ? .

A.N. : C’est impossible. Il faudrait que je sois démesurément ambitieuse et prétentieuse pour imaginer que mon livre va changer quoi que ce soit à la mentalité japonaise. C’est déjà bien que cela les mette au courant de ce qu’un étranger peut penser d’eux, mais delà à les faire changer je ne crois pas.

D.D. : Dans "La métaphysique des tubes" vous décrivez un personnage qui garde une rancune féroce pour l’Occident à l’égard des Blancs, des Américains, qui non seulement la conserve depuis la guerre mais l’exprime. Est-ce que c’est quelque chose qui existe encore vraiment au Japon ?

A.N. : C’est certain que beaucoup de Japonais âgés peuvent avoir cette attitude. Des Japonais qui ont connu l’humiliation de la défaite de 45 et en particulier les bombes atomiques. On peut comprendre qu’ils les aient très mal digérées mais ceci dit avec les jeunes Japonais c’est un problème que je n’ai jamais eu, même si on sent les rapports ne sont pas si simples, mais cette espèce de haine de l’étranger je ne l’ai rencontré que chez les Japonais âgés.

D.D. : Comment avez vous vécu le passage de déité à celui d’obscure employée ?

A.N. : Oui passer de Dieu à Dame Pipi c’est vrai que c’est vraiment le grand écart. Je pense que je l’ai vécu de la seule façon possible, c’est à dire avec humour. Quand on est un Dieu et qu’on se rend compte qu’on ne l’est vraiment pas du tout, de moins en moins, il n’y a pas trente-six solutions, soit on se suicide ou bien on devient autiste, soit on se dit que mieux veut en rire, je crois que j’ai choisi la deuxième solution.

D.D. : On s’aperçoit que les Japonais n’aident pas ceux qui sont en danger.

A.N. : Ce serait contracter une dette beaucoup trop grande vis à vis de vous donc si on prend leur point de vue, pourquoi leur donner tort ? C’est vrai que c’est une façon jusqu’au-boutiste de respecter le destin mais pourquoi pas ?

D.D. : Comment trouvez-vous les noms et prénoms de vos personnages qui sont souvent assez originaux ?

A.N. : Dans le dernier cas c’était très facile il suffisait de prendre ceux de la réalité, mais dans d’autres cas où on effet on trouve des prénoms assez remarquables, j’ai chez moi des encyclopédies du XIX° siècle dans lesquelles on trouve des listes de saints à n’en plus finir. Ces saints qui ont des noms formidables et je trouve qu’il faut illustrer certains de ces saints en racontant leur vie.

D.D. : Votre oeuvre pourrait laisser apparaître une certaine fascination pour les monstres.

A.N. : Nous avons tous un monstre en nous mais nous n’avons pas le courage de le montrer.

D.D. : Je pense en particulier à votre héros d’"Attentat".

A.N. : C’est le personnage le plus laid du monde. C’est vrai que je suis allé très loin dans la laideur. Dans les autres romans je pense avoir atténué certaines réalités. Ceci dit le monde est bizarre. Si vous saviez les lettres que je reçois. Personne n’est normal et c’est formidable. Si je me mettais à écrire les histoires de mes lecteurs j’aurais de sacrés livres devant moi mais jusqu’à présent je respecte leurs secrets et je vais continuer.

D.D. : Que pensez-vous de l’adaptation cinématographique de "L’Hygiène de l’assassin" ?

A.N. : Oh là là ! Heureusement personne n’a vu ce film. La toute première fois que j’ai vu ce film c’était en avant-première j’ai pleuré et la deuxième fois que je l’ai vu, deux semaines plus tard, j’ai rigolé. Voilà tout est dit.

D.D. : Il paraît que les droits d’auteur des "Catalinaires " auraient été achetés.

A.N. : Les droits ont été achetés en 96 par Pierre Grannier Deferre qui chaque année me confirme qu’il va le faire. J’attends toujours.

D.D. : Quelle a été la réaction de vos proches pour vos romans autobiographiques ?

A.N. : Souvent beaucoup d’étonnement, parce que les plus proches _ le père, la mère, la sœur, le frère _ ont appris beaucoup de choses sur quelque chose qu’ils croyaient connaître. Par exemple ils n’étaient pas au courant pour la tentative de suicide. Je précise que parmi mes neuf romans publiés six ne sont absolument pas autobiographiques mais même pour ceux qui sont autobiographiques je parle de roman car c’est ce dont il s’agit à partir du moment où le travail d’écriture l’emporte sur mes faits qui sont racontés. Avec l’argument de la réalité on pourrait aller très loin. Céline n’aurait pas écrit beaucoup de romans.

D.D. : Ecrivez-vous des nouvelles ?

A.N. : J’en ai écris très peu de toute façon je remarque que les choses dont je tombe enceinte ont toutes à peu près le même format entre 150 ou 200 pages et cela m’est difficile de tomber enceinte d’autres formats.

D.D. : Certains vous ont reproché de faire trop de dialogue.

A.N. : Cela me parait aussi curieux que si on reprochait à un soprano de chanter soprano. Je ne vois pas en quoi un dialogue est un reproche, c’est un registre c’est tout. Le dialogue s’inscrit dans une très très longue tradition cela a commencé avec Platon. Est-ce qu’on a reproché à Platon d’avoir écrit trop de dialogues ?

D.D. : Croyez-vous que votre oeuvre se retrouvera un jour comme sujet dans le milieu scolaire ?

A.N. : Cela a déjà commencé et j’espère que les élèves ne m’en voudront pas. Je dois dire qu’être sur la liste du Goncourt m’a fait très plaisir. Mais on ne sait jamais très bien pourquoi on y est, tandis que si on est sur la liste du Goncourt des Lycéens une chose est certaine c’est qu’on n’y est pas suite à une combine ou à un snobisme. Moi ce qui me fait peur c’est de dégoûter ces malheureux élèves qui auraient des raisons de m’en vouloir. Mais c’est le destin d’un livre d’être disséqué.

D.D. : Après avoir été Dieu qu’elle effet cela vous fait d’être aussi connue ?

A.N. : C’est très curieux. Je n’aurais jamais imaginé qu’une chose pareille arrive. Elle est arrivée et ce n’est pas une catastrophe. Il y a des côtés très agréables et très émouvants d’autant plus qu’avant ce succès j’étais quelqu’un de terriblement solitaire et qui en souffrait. Être dans la situation inverse cela fait du bien, en même temps il y a des côtés angoissants mais il y a plus d’avantages que de désavantages. Je ne pense pas que cela m’ait changé, cela a changé des choses comme mon niveau de vie mais intérieurement cela ne m’a pas changé du tout.

D.D. : Du fait de votre succès vous vous retrouvez souvent devant les caméras de la télévision.

A.N. : C’est assez inégal. Quand j’ai vu Laurent Ruquier je me suis dit "oh il est sympa je vais y aller", mais on se serait cru sur TF1. Si j’avais pu savoir à l’avance que cela serait comme ça je n’y serais jamais allé. C’était d’un niveau pitoyable, avec du sensationnel et du mauvais goût. Je me suis montré le plus polie possible_je suis extrêmement japonaise_ mais ma façon d’être extrêmement polie avec eux était de souligner combien ils étaient impolis. La télévision est à chaque fois une épreuve. L’émission de Pivot était très bien mais je ne vous raconte pas l’état d’angoisse dans lequel on arrive chez Pivot parce que c’est une telle institution qu’on a l’impression de passer au tribunal. Je ne sais pas si cela s’est vu mais au moment où j’ai senti que cela aller être mon tour de parler mon cœur s’est mis à battre si fort que j’ai vraiment cru que j’allais y passer.

D.D. : Quelle est la genèse du roman "Péplum" ?

A.N. : Cela a commencé comme dans le livre, à savoir un réveil chirurgical post-anesthésique et dans l’état où j’étais entre sommeil et éveil je me suis mis à penser à Pompéi et à me dire que ce qui est arrivé à Pompéi n’était pas possible.

D.D. : Dans ce livre de science-fiction vous écrivez que vous n’écrivez pas de livre de science-fiction.

A.N. : Je pense que c’est une parodie de livre de science-fiction, mais c’est une manière comme une autre de faire partie de la science-fiction.

D.D. : Est-il vrai que, comme vous l’avez écrit dans ce livre, votre éditeur vous pousse à écrire des biographies historiques et de la science-fiction ?

A.N. : Jamais de la vie, mais on a le droit de se moquer de son éditeur. C’est même un devoir.

D.D. : Comment vous est venue l’idée des "accumulateurs orgastiques" ?(1)

A.N. : C’est venu tout seul, en réfléchissant gravement aux problèmes de l’énergie je me suis dit qu’il y avait peut-être là des déperditions.

D.D. : Vous traitez souvent de la beauté et de la laideur. Dans "Péplum" les laids ne peuvent faire partie de l’Oligarchie. Vous êtes préoccupé par l’esthétisme, la beauté.

A.N. : C’est aussi une façon d’être Japonaise. Ceci dit est-il nécessaire d’être Japonaise pour se préoccuper de ces questions ? La beauté est une chose tellement importante qu du coup on s’y intéresse beaucoup ainsi qu’à la laideur qui est son pendant. Madame Bernardin, je l’ai vu apparaître en écrivant "Les Catalinaires". Je connaissais mon histoire et pourtant je n’avais pas vu que le voisin était marié. J’écrivais et tout à coup j’ai vu surgir madame Bernardin qui était une sacrée explication quand on sait que le voisin est marié et quand on voit avec quoi il est marié.

D.D. : Pourquoi avoir supprimé le Sud ?

A.N. : Il est clair que ce n’était pas ma volonté, mais j’ai bien l’impression que c’est ce que nous sommes en train de faire. Alors mon XXVI° s. n’est finalement qu’une caricature que notre fin de XX° s, parce que nous sommes réellement en train de tuer le Sud.

D.D. : Dans le roman s’agit-il d’un anéantissement ou d’une fermeture totale des frontières ?

A.N. : Un anéantissement pur et simple.

D.D. : Cela n’aurait pas été une solution plus simple de faire un nouveau rideau de fer ?

A.N. : Mais là, c’est la solution du XXVI° s., donc on détruit purement et simplement.

D.D. : Dans "Péplum" vous avez également supprimé tous les membres de l’Académie Française ?

A.N. : Oh pas par méchanceté profonde, par facétie ? Peut-être parce que je m’interrogeais encore quant à leur utilité, mais depuis qu’ils m’ont donné un prix... Ils n’ont pas été rancuniers comme vous avez pu vous en apercevoir (2).

D.D. : Quelles sont les différences entre le Ponant et le Levant ? S’agit-il de civilisations différentes ?

A.N. : Oui, mais il y a moyen de se parler. Si vous lisez "Stupeur et tremblements" vous verrez que ce n’est pas toujours facile (3). Mais c’est possible.

D.D. : Etes vous épileptique comme l’affirme votre interlocuteur ?

A.N. : Non, mais sait-on jamais.

D.D. : Etes vous réellement d’une crédulité maladive ?

A.N. : Ca c’est vrai. Je crois absolument tout ce qu’on me raconte parce que rien ne me paraît invraisemblable. La réalité me parait tellement invraisemblable que quand on me raconte des choses folles je ne les trouve pas plus invraisemblable et je les crois.

D.D. : Donc "Péplum" a très bien pu se produire réellement.

A.N. : Mais cela c’est produit réellement bien sur.

D.D. : Pourriez vous me parler de la glande bizarre qui est dans le cerveau des adultes ?

A.N. : Quand on quitte l’enfance on sent qu’on perd quelque chose en même temps que quelque chose pousse dans le cerveau. C’est peut-être de la culpabilité.

D.D. : "Péplum" est le cas le plus évident de l’utilisation par vous du dialogue. Est-ce une "technique d’acharnement" ?

A.N. : C’est une technique de torture qui est utile, mais pas seulement. C’est encore une des meilleures façons de communiquer les informations.

D.D. : J’ai constaté que votre enlèvement avait eu lieu le 8 mai 1995, qui est le cinquantième anniversaire d’un célèbre évènement.

A.N. : Ce n’est pas tout à fait une coïncidence. Du côté du génocide ils ont aussi été assez fort de ce côté là.

D.D. : Est-ce vous qui avez déclenché la 3° guerre mondiale dans le ghetto ? (4)

A.N. : Ah non, je suis innocente. Ce n’est pas ma faute. Je n’étais qu’un modeste soldat.

D.D. : Et la déclaration de guerre aux Népalais ?

A.N. : Non, pour les Népalais ce n’était vraiment pas moi. Je suis innocente. J’étais la plus jeune de l’armée.

D.D. : Quelle est votre base culturelle dans le domaine de la science-fiction ?

A.N. : Je dirais Philip K. Dick.

D.D. : L’un des plus difficilement compréhensible.

A.N. : Oui, mais le plus admirable, surtout quand il parle d’intelligence artificielle. C’est quand même très fascinant.

D.D. : Lequel de ses romans en particulier ?

A.N. : "Blade Runner" plus que les autres.

D.D. : Quel est votre avis sur le film que l’on a tiré du roman ?

A.N. : Je sais bien qu’il était fâché par le film. Mais j’ai trouvé que c’était un film génial. Bon il y a certainement de grandes différences, mais j’ai bien aimé à égalité les deux.

D.D. : Allez vous écrire d’autres livres de science-fiction ?

A.N. : Je n’en ai aucune idée. Sait-on jamais ce dont on va tomber enceinte, mais pourquoi pas ?

(1) : Dans le XVI° s. que visita Amélie Nothomb les femmes douées de sens civique se font implanter un accumulateur où sont accumulés les flux énergétiques résultant d’une certaine activité physique. Une solution comme une autre à la crise de l’énergie.

(2) : L’Académie française décerna à "Stupeur et tremblements" le grand prix du roman de l’Académie Française

(3) : La modeste employée Amélie Nothomb y reçut d’un de ses supérieurs nippons l’ordre d’oublier sa connaissance de la langue japonaise.

(4):cf. "Le Sabotage amoureux" où est relaté le conflit qui opposa les enfants des diplomates confinés dans un ghetto au sein même de la ville de Pékin




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