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  Sommaire - Livres -  A - F -  L’Empire des étoiles 1 & 2
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"L’Empire des étoiles 1 & 2"
Alexis Aubenque

Editeur :
Fleuve Noir
 

"L’Empire des étoiles 1 & 2"
Alexis Aubenque



10/10

Un jour, Alexis s’est demandé si la possibilité d’engendrer un grand Space-Opera, que dis-je, une saga romanesque de Science-fantasy, était chose possible dans la langue de Molière ? Hésitant quand à la possibilité de susciter un réel engouement, il se mit à faire un rêve. Dans ce rêve, il rencontra la blonde sf et la rousse fantasy. Toutes deux lui offrirent le miracle d’un baiser dans lequel se cachait un secret. Ce secret était que pour donner un réel élan à une saga de Science-fantasy mâtinée de Space-Opera il fallait les hauteurs blondes d’une science-fiction aristocratique et les vertes demeures d’une terrestre comme la magique et populaire rousse. De ce secret naquit une histoire. Certes, au départ ce fut chose pénible. Alexis était habité de la même peur que ses contemporains. La sf se devait d’être sérieuse, compartimentée, scientiste si possible, alors que la fantasy était plutôt vue comme une diseuse de bonne aventure. Sitôt écoutées les bondieuseries racontées, le lecteur avait tôt fait de les oublier pour passer à autre chose. Or, Alexis avait subit une étrange transformation, les baisers de ces deux déesses des mots n’y étant pas pour rien. Et c’est ainsi que germa en lui l’idée d’un empire, de planètes, de couleurs, d’odeurs, de sons, de noms empruntés à diverses cultures et époques humaines, des langues primitives, des codes, des rites guerriers. Le tout forma un étrange " fix-up " dont Alexis ne sut s’il était bien nécessaire d’en faire un récit. Alors, tel Edgar Rice Burroughs lorsqu’il perdait son temps dans un atelier à caresser de ses yeux de rêveur le ciel au travers de sa fenêtre, Alexis fit de même, il regarda à la fenêtre de sa librairie où quelque fois il lui avait semblé croiser le regard de quelques êtres étranges vêtus comme des tribuns romains mais arborant des pisto-lasers ou parlant d’autres langues inconnues des hommes. Et c’est là que lui vint l’idée de la chiquenaude, cette pile qui fait la liaison entre les choses. Alexis se dit qu’il allait raconter son roman comme se raconte une histoire des Etats-unis, comme une immense fresque qui s’étendrait toujours plus loin dans ses frontières. Alexis allait faire son propre " Autant en emporte le vent " ou son " Nord et Sud ", mais à sa manière.
Et c’est ainsi que devait naître un ovni, une insulte même pour le bon récit de sf français, ce récit qui pour recevoir l’approbation de ses pairs, devait satisfaire à une tradition. Qu’en est il donc, à présent qu’Alexis va enfin se voir publier dès le 23 février ? Imposture ? Plagiat éhonté ? Echec romanesque parce que calqué sur les schémas narratifs trop éloignés du modèle français ?
Pourrions nous postuler pour un chef d’oeuvre ?

Certes oui !

Explication

Petite histoire d’un empire

En un empire lointain, regroupant des centaines de mondes différents, règne l’empereur Gabriel X. Nous sommes en une ère où les technologies épousent étrangement un certain archaïsme, du moins au regard des mondes que la sf a l’habitude de nous faire découvrir. Cette atrophie des sciences et techniques a été volontairement voulue par un cénacle dominant les mondes en un régime quasi féodal. Il demeure ainsi, éternel, et ne souffre pas de concurrence ou de coups d’Etat. Or, le prince Arkan, qui nourrit des ambitions aussi nouvelles que subversives, fomente de renverser le pouvoir et ainsi asseoir un règne d’un genre nouveau. Un jeune baron issu du monde d’Outremer se voit élu pour se marier à la fille de l’Empereur. Le prince Arkan veut agir vite, spolier l’empire de tous ses pouvoirs passés, enrayer la mécanique du monde connu qu’il croit injuste afin de rendre son nouveau monde possible. Dès lors, des personnages s’élèveront dans un gigantesque jeu d’échec où ne sera pas seulement mis en jeu un pouvoir mais le devenir de milliers de mondes. Le baron Herizo N’goya, le contrebandier Florentin, le duchesse Lakme Akour, Esteban de Mandragore, toute une série de personnages hauts en couleurs, vont se dresser face à ce chaos à venir, entre deux visions du pouvoir, et tenter de défaire les mannes d’un réseau complexe qui ne pourra qu’annihiler un univers entier reposant sur un ordre millénaire. De monde en monde, ces héros entameront une quête pleine de bruits et de fureur, nous embarquant pour des planètes où les splendeurs picturales d’un Burroughs côtoient de sombres complots et des combats spatiaux qui n’ont rien à envier aux combats navals de jadis.

Dans le second volume, un feu a été malheureusement allumé, et personne n’a pu stopper la redoutable machinerie du conflit. Les familles se sont déclarées la guerre. Profitant de la faiblesse de l’empire, la garde des régents fait oeuvre de plus en plus d’audace pour pénétrer le pouvoir et sauver à n’importe quel prix l’hégémonie Impériale. La duchesse Akour scellera une alliance avec le prince Arkan. Se joindra à eux toute une bande de contrebandiers de l’espace. Face à eux, l’Empire décide peu à peu d’ouvrir d’anciennes portes et d’user des sciences interdites que l’ancien pacte avait proscrit. Le feu de la rébellion s’étendra peu à peu, et de monde en monde on sentira comme le parfum d’une fin des temps, un cataclysme inévitable. La résistance s’organisera néanmoins, et l’aube d’un nouvel espoir sera tout de même permis, mais pour combien de temps ? Et à qui profitera réellement cette guerre qui semble embraser des centaines de mondes ?
L’étau se resserre peu à peu, mais le chemin balisé par la résistance ouvre peut-être des perspectives nouvelles et autoriser ainsi un espoir........

Brillante, flamboyante, ambitieuse, sans complexe, cette gigantesque hybridation entre Space-Opera et Science-fantasy est arrivée à un moment où on ne l’attendait plus. Car prendre le pari de faire comme Burroughs, Akers, et toute l’école de Hamilton, en évitant le pur plagiat, relève du génie, et Alexis Aubenque en est bourré. Patiemment, l’auteur nous brosse un Empire, avec ses planètes, son régime politique, ses coutumes et moeurs. Mais, et c’est là qu’Alexis domine toute la sf française d’un certain point de vue, il se permet de penser ces mondes avec des paysages, des couleurs, des ethnies, des rites, bref il s’attarde à creuser une saga pour en donner aux lecteurs une idée plus prégnante, plus réaliste aussi. Rythmant son récit entre des couleurs baroques, le dépaysement suscité jadis par les cycles planétaires du grand Edgard Rice Burroughs, et le souffle de l’épopée spatiale dans le style épuré d’un Edmond Hamilton, Alexis parvient enfin de permettre à la langue française de toucher ce " sense of wonder " qu’on croyait définitivement acquis aux américains et anglo-saxons. Il nous brosse un univers très familier. Pourquoi ? Parce qu’il le parsème d’architectures, de topos, des paysages empruntés à toutes les cultures et sociétés humaines passées. On sera interloqué de retrouver tous les styles architecturaux possibles mais également les costumes qui évoquent pêle-mêle Sumer, Babylone, l’empire Romain, bref cette manière du " fix-up " si admirablement utilisée par Burroughs pour son " Barsoom " ou Alan Burt Akers pour le gigantesque cycle de Scorpio (dont on a jamais eu une seule traduction du cycle comptant 50 volumes à présent, hormis une nouvelles étonnante dans la grande anthologie de la fantasy chez Omnibus) .
" Néantissement "des lieux pour en réinventer au moyen de nos civilisations passées les grandeurs, décadences mais aussi et surtout le sens de la splendeurs, tout cet ensemble tisse un vaste panorama, une toile de fond. Se faisant oeuvre picturale, la vision d’Alexis Aubenque nous offre ce que la sf française a toujours eu beaucoup de mal à réaliser : un regard qui ouvre au grandiose. Univers en expansion, la saga de Alexis Aubenque s’inscrit dans la plus pure tradition romanesque, une sorte de " Nord et sud " réinventé. Aux Etats-Unis, sa plume se serait très bien vendue, et en France, il semblerait qu’il soit le fondateur d’une saga fleuve à l’égale de La Compagnie des Glaces et autre Perry Rhodan. Oui, mais attention, Alexis ne fait pas dans la pacotille, il travaille à son univers avec la patience d’un peintre et le feu d’un éternel adolescent épris d’épique, de lyrisme, d’érotisme et de romantisme. En cela, il suit à la lettre le chemin de Howard dans ce pur épique qui fait appel au regard, loin des réflexions ronflantes ou métaphores pseudo intellectuelles. Trame fertile, univers riche, psychologie des personnages admirablement travaillée, puissance de l’intrigue, la geste de L’Empire des étoiles est à marquer d’une pierre blanche et fait de son auteur le digne héritier du grand Francis Carsac et un brillant élève de Burroughs. Il est à regretter qu’en France, cette saga ne se vende pas comme un policier. Car s’il est bon d’avoir les pieds sur terre, il est souvent fort dommageable de ne pas avoir la tête dans les étoiles, histoire de voir ce que c’est que cette soif des territoires inconnus qui ne cessent d’embraser les imaginations et qui ont donné un jour la merveille Star-Wars. Jamais plagiaire mais simplement passionné, Alexis Aubenque nous a simplement montré qu’on pouvait être fier de s’appuyer sur la langue de Molière tout en ayant la capacité de faire miroiter l’esprit d’un baroudeur et battre le coeur d’un marin sans avoir peur de tomber, comme notre littérature contemporaine semble s’en garder face à cette soi-disant invasion de l’imaginaire qui n’est en définitive qu’une autre expression de notre raison, conquérante et rêveuse. Oui, Alexis Aubenque a engendré d’un pur chef d’oeuvre, même s’il s’en trouvera toujours quelques uns pour dire que " c’est pas bien parce que ça ressemble ". Disons plutôt que " ça invente enfin une fresque n’ayant plus peur du pur épique et de ce romantisme si nécessaires pour toucher au coeur ". L’humanité dans ce cycle est un enjeu, quelque chose de jamais établi, quelque chose qu’on acquière pas définitivement, quelque chose qui n’est plus, enfin, le centre naïf d’un romanesque qui se voudrait être purement et stupidement scandé comme parole d’évangile du monde futur, ces utopies angéliques qui ne mènent nulle part et parfois en leurs terribles contraires. Cette saga nous conte simplement une légende inscrite dans les étoiles, mais où ce sont les personnages et les batailles qui vont décider des orientations d’un monde, en grand comme en petit, microcosme et macrocosme étant souvent reliés dans ces histoires si superbement racontées depuis Burroughs. Hybride et bigarré, l’univers d’Alexis est un éclatement éthnique, un cosmopolitisme éternellement remis en question par la geste, l’aventure, ainsi que les belles et opiniâtres entreprises individuelles pour sauver un millier de mondes. Un bel exemple d’universalisme et une puissante réflexion sur le monopole qui spolie les libertés ou les régule ?
Qu’attend on des changements ? Et si oui, jusqu’où sommes nous capables d’aller, quitte à faire basculer un équilibre ? Autant de questions qui peuvent ressortir de cette lecture, mais qui, génie de l’écriture d’Aubenque, ne sont en rien mobilisées ou défendues dans cette saga qui n’est qu’un hymne à l’aventure et au voyage, à ces guerres que tout gosse on s’inventait dans nos petites têtes blondes, brunes ou rousses pour oublier les guerres de notre monde, toujours absurdes, et les génocides barbares, ou le regard de ces enfants d’Ethiopie qu’on nommait anges pour excuser notre impuissance égoïste à les voir. Ces anges, on préférait les filmer mourir, ventres vides et yeux dans les étoiles, ces étoiles qui nous renvoyaient à notre incapacité au partage et à sauver ce qui vaut mieux que les intérêts des machines de masses. Jeunes, nous nous amusions à inventer ces édens perdus, où des guerres étaient menées et des batailles remportées. Cela nous permettait d’oublier un peu la médiocrité de nos contemporains. Vivre et laisser mourir ? Jusqu’à quel point pouvons nous laisser dire ça de nos jours ? Ça ne rapporte pas, ça ne rapporte plus....
Autant de réflexions qui me sont venues à l’esprit en lisant Aubenque, une lecture qui m’a rappelé simplement les lectures merveilleuses de mon enfance, vous savez, ce temps où on pouvait encore croire et penser sans qu’il ne se trouve une tête pour penser et croire à votre place, sans que vous ne soyez obligés de voir le monde tel qu’il doit être pour tout le monde ? Ces fresques aventureuses auront toujours de l’avenir parce qu’elles portent avec elles un espoir, à chacun de le trouver......
On ne peut que souhaiter à son cycle une longue vie prospère, et qu’Alexis continue à nous faire rêver longtemps, on en a bien besoin.....
Jetez vous donc dans cette lecture et partagez avec Alexis cette " Nostalgie du futur ".....

L’Empire des étoiles 1 & 2, Alexis Aubenque, Fleuve noir, 250 pages par volumes, 7 € par volume.





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