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"L’héritage des anciens"
Mitchell Graham

Editeur :
Editions du Rocher
 

"L’héritage des anciens"
Mitchell Graham



9/10

Cela fait trois longues années que Matthieu Lewin n’a pas donné de ses nouvelles. Tous le croient mort, terrassé par la princesse du Nyngary. Celle-ci s’est appropriée l’anneau doré que Matthieu avait en sa possession, l’un des cinq anneaux de pouvoir que Karas Duren convoite pour la conquête du pouvoir. Accompagné de sa fiancée Lara, de frère Thomas et de son fidèle ami Colin Miller, Matthieu refait son apparition en un monde d’intrigues et de combats sanguinaires.
Mais beaucoup de choses ont changé durant son absence. Les forces en présences ont été bouleversées, une armée se lève, ameutée des profonds souterrains du monde. A leur tête, l’infâme reine Shakira qui a scellé une alliance avec le terrible Karas Duren, maître de l’Alor Satar. Shakira est détentrice d’un autre anneau du pouvoir sur les cinq existants. Bien plus que Karas Duren, cette reine ne poursuit qu’un dessein, celui de détruire l’humanité toute entière en la faisant replonger dans un nouvel âge de chaos. Pris dans les filets d’un terrible dilemme, Matthieu est arrivé à l’heure des grands choix. Tout s’effrite, tout lui échappe, et il sait qu’il ne pourra sauver le monde sans une alliance qu’il réprouve peut-être mais qui paraît inévitable. Se profile alors pour lui le moment où il va devoir malgré lui faire alliance avec son ancienne ennemi, celle qui a voulu le tuer, Teanna d’Elso.

Mitchell Graham s’inscrit avec ce cycle dans une saga épique de haute volée. Contrairement à ce que pourraient évoquer les cinq anneaux, cette histoire a très peu de points communs avec le monument Tolkien. Au regard de sa thématique, l’oeuvre de Mitchell Graham se rapprocherait plus du livre de Pierre Boulle, " La planète des singes " ou " Le règne du gorille " par Sprague de Camp. Par une écriture fine et juste dans ses effets, l’auteur nous dresse une curieuse société où survit un proto-christianisme. Les sociétés mises en avant sont une conflagration des diverses sociétés humaines prises à certaines époques. Que ce soit l’Italie Vénitienne, l’Egypte ancienne, Sumer, les Celtes, l’auteur fait des emprunts multiples qu’il mélange avec des anglicismes pour donner un vaste univers dont les personnages sont dotés de noms divers, miroirs de nos passés. Les combats navals, les intrigues de cours très moyen-âge, le tout entremêlés dans un réseau complexe de pouvoirs tournant autour des mythiques anneaux, donne une intrigue tout à fait originale. Enfin, avoir bâti son univers sur un après apocalypse nucléaire confère une certaine fraîcheur au récit qui ne sera pas sans déplaire aux lecteurs à la recherche d’intrigues plus novatrices. Roman de fantasy médiévale plus que simple Tolkinerie de service, il semblerait que le succès énorme qu’a rencontré cette trilogie, fasse montre d’un réel renouvellement de la trame devenue par trop classique dans le genre. L’histoire nous reste familière, comme si, malgré les cataclysmes et catastrophes, l’humanité pourra toujours retrouver un second souffle et rebondir. Quelque part entre le roman feuilleton cher à Dumas ou Féval et un manichéisme plus subtile qu’il n’y paraît, cette chronique d’un moyen-âge renaissant sur les cendres de notre modernité instille l’idée d’un éternel recommencement d’une histoire qui ne cesse de mettre en scène sa genèse et sa sortie des ténèbres. Brillante et belle, la plume de Graham renonce aux fioritures pour tisser les rapports simples entre des personnages porteurs de la même entropie que ce monde sans réelle histoire passée, ce monde qui a oublié le cataclysme pour se penser à partir de mythes. Ainsi, " Shakira ", dont l’étymologie arabe signifie " femme pleine de grâce ", est ici mise en scène en son contraire, une reine du mal. Quand au christianisme discret qui transperce derrière l’intrigue, il nous signifie l’idée de la survie du culte sans pour autant nous faire l’outrage d’un dogme imposé à tous. Bien sûr, avec subtilité, l’auteur nous brosse une religion recommençant elle aussi ses propres erreurs et ses brutalités. Pas de complaisance donc, mais une belle mise en perspective des jeux de pouvoir en un monde issu d’un cataclysme et qui pourtant répète sa longue maturation. Les personnages sont entiers, vivants, et l’auteur s’est attaché avant tout à nous les rendre terriblement fidèles à eux-même et à leurs engagements, comme l’amitié, la loyauté, avec en toile de fond l’idée simple et belle : l’espérance. Une très belle fantasy médiévale sur l’idée de rédemption et de salut qui contraste avec une fantasy qui se finit un peu trop souvent sur un monde sauvé plutôt que sur les sentiments particuliers qui traversent les personnages une fois l’aventure achevée. Bien loin de toute assimilation facile à l’oeuvre de Tolkien, La saga romanesque de Mitchell Graham se situe plus dans la lignée du livre de Pierre Boulle, " La planète des singes " ou celui de Sprague de Camp, " Le règne du gorille ", par cette société reconstruite sur un cataclysme passé et dont la société réinvente le souvenir hypostasié par un légendaire que sous-tend l’entre-deux d’une écriture spiritualiste. Le verbe proto-protestant d’un Richard Cowper se retrouve admirablement dans cette écriture simple et dépouillée, et qui plus est, sans la facture idéologique et rébarbative qui menace souvent ce genre d’écriture. D’autres pourront même y drainer quelques idées puisées, volontairement ou non, à la mystique chrétienne, cette espérance plus que tout. Encore une perspective possible sur une écriture faussement mièvre, sans partis pris ni prosélytisme. Une lecture étonnante qui peut s’éprouver à divers âges.
A signaler qu’encore une fois, l’illustration de couverture de Julien Delval est de toute beauté, peut-être l’une des plus belles de cette année 2006.
Impeccable traduction de Marie-Claude Elsen qui arrive à contenter même les lecteurs de la langue originale. Il fallait le signaler encore une fois, les traducteurs en France font souvent preuve d’un véritable travail de réécriture. On ne les remerciera jamais assez pour leur contribution remarquable aux genres de l’imaginaire.

L’héritage des anciens, Mitchell Graham, Editions du Rocher, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Claude Elsen, couverture par Julien Delval, 444 pages, 18.90 €.





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