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Sommaire - Interviews -  JONATHAN DESCY


"JONATHAN DESCY " de Fred Pizzoferrato


AUTEUR DE ASYLUM JOE

As We Embrace The Dark Side By Side
I Pour My Soul to Those Eyes Full Of Fire
(Cradle of Filth, Black Goddess Rises)

Rencontre avec Jonathan Descy, journaliste et jeune écrivain montois (Belgique) qui vient de publier son premier roman, "Asylum Joe" aux éditions Amalthé.
Une œuvre sombre inspirée par l’univers du Heavy Metal.

1. Pouvez-vous résumer l’histoire pour les lecteurs de SFMag ?

L’histoire est extrêmement dure à résumer. En fait, la narration est déjà en quelque sorte un résumé. Je vais à chaque fois à l’essentiel. Pour chaque chapitre, on peut parler de chronique. Ils sont à chaque fois un moment choisi, un instantané de la vie et de l’aventure des quatre personnages principaux. Richard est un jeune homme qui s’embête cruellement dans sa vie, au point d’en arriver à tout mépriser, détester. Parallèlement, Caroline voit sa vie s’écrouler. Jerry, écologiste, ne supporte rien et ne fait preuve d’aucune pitié envers la race humaine. Charly, par contre, est pris de violentes crises de schizophrénie qui lui font commettre l’irréparable. Par un jeu de circonstances extraordinaires, les quatre jeunes gens finiront par se rencontrer et mettre sur pied un projet machiavélique... Mais Richard est à présent hanté dans ses cauchemars par une créature qui s’autoproclame l’Archange et apparaît sous les traits d’une jeune fille...

2. Quels sont les différents thèmes abordés ?

Le livre a été conçu pour être choquant. Pour repousser les limites de l’acceptable. D’abord, la haine de la race humaine. Bien entendu, les quatre héros sont humains mais cela se caractérise plutôt par la haine de l’autre, de ceux qui ne pensent pas comme eux. Quand leur âme est torturée, quand ils se sentent malheureux, ils voudraient que tout le monde puisse mourir. Que les autres puissent souffrir autant qu’ils souffrent. Il s’agit de montrer comment la barrière peut-être mince entre l’anticipation, le rêve et le passage à l’acte. Qui n’a jamais rêvé ou pensé qu’il tuait son pire ennemi ? Le fait d’y avoir songé fait donc de vous des assassins ? En théorie, oui. Les vrais meurtriers se caractérisent pour la loi par le passage à l’acte. Et les militaires ? Ceux-ci tuent et sont dans certaines circonstances des héros. Tout ceci est relatif. Et peu logique. Mes personnages sont des psychopathes, ils ne sont plus maîtres de leurs pensées et les laissent prendre le dessus sur leur existence. Mais au fil du temps ils s’améliorent et deviennent "bons".

3. Comment est née l’histoire ?

Elle a mis 4 années à mûrir. Lorsque j’ai écrit la première ligne sur le bloc de papier, je logeais à Liège (Belgique) dans le cadre de mes études de géologie à l’université. J’étais donc à 200 kilomètres de tous mes points de repères et rien ne se passait comme prévu. Passionné par-dessus tout de minéralogie et de paléontologie, j’avais déjà buté en 1ère année sur les matières générales que sont la physique et les maths. J’étais tellement insuffisant dans ces branches que même l’année suivante, je sentais que je n’avais pas la possibilité de réussir ces études. S’ajoutais à ça tout un lot de déceptions : amour, solitude, déracinement, perte de but dans la vie. Plusieurs fois, j’ai eu cette envie de suicide. J’errais dans un parc sur les bords de la Meuse, comme Caroline. Quand j’ai décidé de stopper mes études, il a fallu me reconstruire. Que savais-je faire d’autre ? Dans ce cheminement, le Heavy Metal m’a aidé à me trouver, il m’a inspiré, m’a aidé à voir la vie autrement. Et à prendre la plume pour décrire tout ce que je ressens à son écoute...

4. Pourquoi avoir associé chaque chapitre avec une citation issue de la discographie Metal ?

Ce que je décris dans mon livre, c’est du Metal, c’est l’univers dans lequel on s’envole quand on l’écoute. Un album de Nevermore s’intitule « Ennemies of reality » et nous sommes les ennemis de la réalité. Nous nous évadons de ce monde pour errer psychologiquement vers un autre, où rien n’est mensonge. C’est la censure qui tue notre monde mais peu de gens s’en rendent compte. Tout n’est qu’apparence ! J’aurais pu décrire directement la vie d’un groupe de rock mais qu’y a-t-il de transcendant là-dedans ? Ca n’intéresse personne et ça ne fait que décrire un gagne-pain. La vie quoi. C’est trop triste ! D’un autre côté, l’occasion était trop belle de montrer la richesse des paroles issues des groupes Metal. Quand le rap se borne à décrier une situation politique, sociale, le rock et le Metal explorent des domaines plus philosophiques liés à la mort, à notre rôle sur terre, etc.

5. Vous avez sélectionné les paroles d’une dizaine de groupes. Qu’est-ce qui a orienté votre choix ?

Marilyn Manson fut pour moi le précurseur, celui qui est parvenu à m’entraîner dans le monde du Metal. L’avantage est que je ne me suis pas limité à sa seule personne. Il y a pléthore d’artistes aussi intéressant que lui mais il faut faire l’effort d’aller dans leur direction. Manson avait l’avantage d’être le plus médiatisé et quand on ne connaît rien, c’est comme ça que ça commence. Manson, c’est du Metal essentiellement Gothique qui m’a énormément inspiré. Brian Warner a toujours éprouvé des difficultés à faire passer un message autrement que via ses chansons. Son livre n’est finalement qu’une biographie peu passionnante. Personnellement, je suis nul pour concevoir des chansons et des musiques. Voilà pourquoi j’ai choisi l’écriture de romans. Pour peut-être tâcher d’exprimer ce qu’il n’est jamais parvenu à faire passer. Il se peut toutefois que je sois victime de la même malédiction. C’est un risque à prendre. Mon rêve serait qu’il se retrouve un jour devant mon roman et qu’il se dise : « C’est mon histoire. Comme je le comprends ».

6. Et en ce qui concerne les neuf autres ?

Type O Negative joue sur la tristesse malsaine sans tabou et écouter cette musique m’aide à me ressourcer. Là aussi, j’ai l’impression que quelqu’un d’autre ressent les mêmes sentiments. Ce qui me conforte d’autant plus et me rassure. Moonspell est toujours aussi noir mais dans des tons chauds, méditerranéens. Et il s’y dégage un mysticisme plus qu’envoûtant. Korn m’a donné l’idée des adolescents sanglants, tapis dans l’ombre, déchirés par la vie. Ayreon est le plus calme d’entre-eux. Atmosphérique, spatial, c’est plutôt du rock progressif additionné de synthés. Il me met en contact avec le mystère du cosmos intersidéral. Rhapsody représente le côté épique de l’histoire, chevaleresque. Therion parle beaucoup des religions minoritaires mais aussi d’égyptologie, tout en ayant ce côté sectaire intéressant. Nine Inch Nails, par contre, se révèle être torturé mais complémentaire à la carrière de Manson. Tout ce que l’Antéchrist n’a pas fait, Trent Reznor le crée. Filter est nostalgique mais rageur et Richard Patrick fut qualifié de fou hurlant. Pour terminer, Cradle Of Filth est le Gothisme incarné et génère une imagerie et une mythologie dark très forte et pas toujours aisée à comprendre.

7. Comment arrive t’on à se faire publier aujourd’hui ?

En Belgique, c’est impossible. Et de toutes façons on a pas très envie parce que généralement on tombe sur de toutes petites maisons d’édition perdues au fond des bois. On veut s’y rendre mais on se dit que ce n’est pas la peine d’aller jusqu’au bout car on arrive devant un endroit perdu. Ou alors on va quand même jusqu’au bout et le type qui vous reçoit vous dit qu’il n’édite plus, qu’il a fait faillite. J’ai commencé à démarcher auprès d’Albin Michel mais je me suis rendu compte qu’ils n’ont même pas ouvert mon manuscrit, il n’y a pas de pliure, rien, donc ils ne l’ont même pas ouvert avant de le renvoyer. J’ai aussi essayé Laffont, Grasset, Flammarion, Gallimard, etc. Je ne connaissais pas les éditeurs spécialisés dans le fantastique, donc je n’ai pas démarché auprès d’eux.
Ensuite je suis tombé sur une maison d’édition de Nantes, Amalthée, qui recherchait des jeunes auteurs et souhaitait publier de la littérature de genre. Le comité de lecture a été ému et a souhaité me publier. De plus ils pensaient que c’était à la mode, par son côté sombre. Je n’ai pas écrit dans cette optique mais tant mieux si c’est à la mode actuellement.

8. Quels sont vos influences littéraires ?

On peut citer Bernard Werber, Stephen King, San Antonio, Simenon, Barjavel, Lanteric. Mais dans ma vie je n’ai lu qu’une centaine de romans, je suis davantage un amateur de musique. Cependant tous les romans que j’ai lus m’ont profondément imprégné, au point que j’étais capable ensuite d’écrire dans le style de ces auteurs, sans pour autant les plagier évidemment. Mais à mes influences littéraires s’ajoute surtout le Heavy Metal. J’écoute les CD de mes groupes favoris en marchant ou dans les transports en commun. Comme je n’ai pas de voiture et que je prends souvent le train pour mon métier (journaliste) j’écoute du Metal en me déplaçant, car la musique te donne une certaine envie de bouger, surtout le Speed Metal. Pas des MP3 ni tout ça, les vrais albums car je tiens à soutenir ces groupes qui ont du mal à vivre de leur musique.
Je ne suis pas trop influencé par les jeux de rôle, je ne suis pas vraiment dans cet univers. Ni dans l’Heroic Fantasy classique non plus. A la limite je pense que les Livres dont vous êtes le Héros ou les jeux vidéo sont même supérieur à la plupart des récits de fantasy car les auteurs envisagent les différentes possibilités, les développements, etc. Mon roman commence plutôt comme un récit de mœurs, il présente différents personnages qui doute (d’où le titre) et ne savent pas où aller. L’aspect fantastique intervient lorsqu’ils sont contactés par une entité supérieure mais ce Dieu n’a pas forcément de bonnes intentions. C’est la différence avec les récits de Bien contre le Mal commun à la Fantasy car ici il s’agit davantage d’une lutte entre le Mal et le Mal. Le problème de la Fantasy c’est justement de présenter toujours le même schéma manichéen, alors que je souhaitais développer un univers différent. Je suis le premier à être lassé de la faiblesse des scénarios de films par exemple alors je désirais rédiger un scénario parfait. Certains pourront dire qu’au point de vue littéraire ce ne l’est pas mais j’espère qu’au niveau de l’intrigue ça l’est car le récit est tentaculaire, avec beaucoup d’allusions qui parfois ne trouveront leur plein sens que dans les épisodes suivants.

9. Justement que peux-tu dire de la suite ?

Je suis au deuxième chapitre de cette suite. Mais je sais où je vais, l’intrigue de la trilogie est déjà tracée. J’en ai parlé à des personnes proches et plusieurs tomes sont déjà prévus. Mon esprit fonctionne plus vite que ma capacité d’écrire mais j’ai déjà commencé à réfléchir au-delà car l’univers imaginé est vaste et je pense même déjà à un quatrième tome. De toutes façons, d’ici un an et demi environ, le tome 2 devrait sortir. "Les Enfants du Doute" n’est que le prélude. Il y a peut-être un peu de Fantasy dans ce que j’écris mais il y a beaucoup d’autres choses. Mon souhait c’est que ce soit le roman que Marilyn Manson aurait pu écrire et mon rêve serait qu’il le lise un jour et soit ému par mon personnage, Asylum Joe, qui apparaîtra dans la suite.

10. Et aux niveaux du cinéma, quels ont été vos influences ?

Matrix, The Crow aussi avec la musique de Nine Inch Nails, Le Seigneur des Anneaux, même si je n’écris pas vraiment dans ce style. Et les films d’horreur comme Freddy, dont je suis un grand fan. J’aime également certains manga, comme Gunnm, les Chevaliers du Zodiaque et Dragon Ball, même si à la fin le scénario disparaît et ne laisse qu’une surenchère de combats. J’ajouterais également le manga Fantasy Fly qui existe en 40 volumes et qui est excellent. Je n’accroche pas vraiment à Ghost in the Shell ou Akira par exemple, mais je pense me mettre à Battle Royale, dont le scénario me parait excellent.

11. Quels conseils donnerez-vous aux débutants ?

J’ai tendance à ne pas donner de conseils et je suis quelqu’un de jaloux, alors je leur dirais de faire quelque chose de différent. Je me suis rendu compte que pas mal de gens écrivent et ça casse un peu mon business (rire), dans la rentrée littéraire il y a plus de 600 romans qui sont sortis, donc je suis un peu perdu au milieu de tout ça. D’autant que ce sont toujours des mêmes dont on parle : Nothomb, Houellebeck, Dantec, Werber. Je dirais donc aux jeunes auteurs d’être le plus original possible et de ne pas essayer de copier ce qui marche. Je pense être le premier à avoir écrit un "metal-roman". J’axe tout là-dessus, il y aura toujours des références et des citations metal en tête de chapitre. D’ailleurs il existe des groupes que j’ai laissé de côté et qui mérite aussi d’être cités comme Edguy, Nevermore, Demons & Wizards, etc. Il est autorisé par le copyright de reprendre ainsi des citations, à condition que l’on précise bien d’où ça vient. Ce serait de toutes manières bien malheureux qu’ils viennent me réclamer quelque chose alors que je leur fais de la pub.

12. Que peux tu nous dire de la religion, un élément important de ton oeuvre ?

Je suis d’éducation catholique mais au fil du temps je suis devenu agnostique. Cependant j’aime énormément les religions, que ce soit l’hindouisme, pour lequel je me suis beaucoup documenté, où les religions scandinaves. C’est peut-être l’influence du black metal, j’ai aussi un symbole runique autour du cou, j’ai même tiré les runes durant une période. Mais je ne suis pas sataniste, même si je m’intéresse par exemple à ce qu’a écrit Anton LaVey, dont se réclame également Marilyn Manson. J’aime aussi la pensée de Nietzsche, ce qui touche au nihilisme, ainsi que les religions minoritaires. Une autre de mes références est d’ailleurs le manga Gunnm, qui mélange combats, parcours initiatique à la Candide, philosophie nietzschéenne et existentialisme hérité de Sartre.

13. Dans quelles conditions écris-tu ?

Je profite généralement d’avoir un jour de libre et je me mets devant mon ordinateur pour écrire un chapitre. Je sais ce que je dois dire et j’écris assez vite. Mes personnages ont pris vie et on investit mon existence, au point qu’ils sont à présent quasi indépendants de moi et j’ai l’impression que l’histoire se déroule d’elle-même. Je prévois des schémas, les flash-back, mais devant l’ordi je me mets à écrire et je rédige un chapitre (soit environ 5 à 10 pages) assez rapidement, en quelques heures. Il faut avouer que mon métier de journaliste m’aide beaucoup dans cette étape de rédaction.

Propos recueillis à Mons le jour d’Halloween 2005 par Fred Pizzoferrato




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