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  Sommaire - Livres -  S - Z -  Suleyman
Voir 103 livres sur le cinéma, romans, études, histoire, sociologie...


"Suleyman"
Simon Sanahujas

Editeur :
Rivière Blanche
 

"Suleyman"
Simon Sanahujas



8/10

Un jour, un homme passa la porte derrière laquelle se cachait l’autre aurore sublime et laissa un rêve à son fils. Jeune homme encore insouciant des rites de passages, il arpenta longtemps des routes sinueuses en barde insoumis, écouteur des musiques primitives que les Dieux en haut des montagnes sans sommets lui jetaient avec mépris et rires féroces. Puis, un jour où il fut à songer à l’amour perdu, lui vint à l’esprit l’idée d’un monde et d’un nom. Il ne le savais pas, mais la voix étrange qui lui avait dit " écris ", cette voix saisie entre veille et sommeil, c’était la même Walkyrie qui lui avait épelé un jour " souviens toi que tu as aimé " . Alors, Simon, c’était son nom dans ce monde, se décida à écrire des histoires, car dans ses rêves éveillés il voyait les paysages et il entendait les histoires et chants anciens qui sécrétaient si bien ce " dit " auquel il décida de s’abreuver à jamais, comme à la mamelle de la louve indienne de l’ancienne Amérique, celle-là qu’on ne voit jamais, celle-là qui indique les voies interdites et les passages secrets de la création. Et c’est ainsi qu’un jour, une nuit, sous les vastes portiques nimbés de brumes rouge, un nom naquit à ses lèvres, " Suleyman " .

Histoire de Pulps

Suleyman nous conte l’histoire d’une jeune lyonnaise, Zoé, ayant fini des études d’histoire médiévale et qui, quelque part en 1999, se met à rédiger son histoire.
" Tout a commencé lors d’une promenade dans le Parc de la tête d’or "...<BR>
Subtilement, mais avec l’efficacité d’un écrivain qui se serait échappé des années 20/30 du défunt 20eme siècle, Simon Sanahujas enchaîne des péripéties autour de rencontres soudaines, entre cette jeune femme et des personnages issus d’univers parallèles qui, visiblement, ne lui veulent pas que du bien. En devoir de quitter le Parc avant la fermeture des portes, Zoé surprend au détour d’un bosquet un groupe d’individus dont les us vestimentaires n’appartiennent pas à notre monde. Découverte par les étrangers, Zoé entamera une fuite désespérée pour finir par croiser la route d’un guerrier rompu à tous les combats. Accompagné par un étrange cavalier aux yeux rouges comme l’enfer, Suleyman entraînera cette aventurière bien malgré elle dans une geste guerrière qui lui fera fouler des paysages, perspectives et espaces inconnus de l’humanité encore si peu éveillée aux voyages. Surtout quand on parlera à Zoé de " multivers " , un artefact qui implique un système complexe de portes, des passages entre des univers qui peuvent diverger à l’infini.
Alors, la belle Zoé aux boucles d’or entamera à son tour une odyssée de la métamorphose qui ouvrira les portes de sa conscience humaine limitée pour la propulser dans des tribulations guerrières où races extraterrestres, architectures secrètes et mondes de fantasy empruntés au Almuric de Howard ainsi qu’au Barsoom de Burroughs feront d’elle la conteuse d’une histoire dont elle est une protagoniste. Aux côtés de Suleyman le guerrier voyageur des plans et de son acolyte, Mercenaire le champion, Zoé devra combattre les manigances de l’infâme Monsieur Yargast et du Saâris Zangetoy. L’enjeu n’est ni plus ni moins d’éviter la destruction du Multivers et la fin du Conseil de Schamsralia, ce qui, par contamination, implique une fin du monde plus globale, l’univers n’étant qu’une succession de cercles dont la base est commune. Et l’effritement du terreau commun qui sous-tend le Multivers auquel appartient irrémédiablement la Terre provoquera la fin de tout.

De la conflagration à la reconquête ou les processus de pertes/acquisitions du " Multivers " de Simon Sanahujas.

Narration fluide, style épuré des lourdeurs modernes et des fioritures du " tout magique " de la fantasy moderne, annotations temporelles et de lieux en tête de chaque chapitre pour relativiser toute fixité et installer un univers a-temporel, la prose de Sanahujas revient aux sources du récit d’aventure, quelque part entre l’immédiateté des histoires courtes de l’ère des pulps et le souffle des space opera si chers à Hamilton (Capitaine Futur) et ses consorts. Aux pulps, Simon emprunte le récit Howardien, la sur-nature s’incarnant aussi au travers de personnages portant en eux la même rage de vivre que celle de tuer. La violence est là, immédiate, sans concession. Elle justifie un parcours qu’on ne fait pas qu’accomplir que magiquement mais mobilisant le corps et l’esprit. Suleyman emprunte son nom à Saladin et quelques autres guerriers musulmans du passé, de ces justes mais intrépides guerriers. En cela, l’auteur est parfaitement fidèle à la profession de foi de Howard, la protohistoire. Oui mais, il faut parler avec Sanahujas d’une protohistoire dynamisée par un ton résolument moderne que sous-tend une théorie parfaitement soutenable d’un point de vue scientifique. Quand à la texture même de l’histoire, tout se fait par le processus de l’accumulation pour pallier à celui de l’abandon, du chaos. Suleyman apparaît comme un guide, un guerrier, Mercenaire étant son alter ego qui infuse la fureur nécessaire pour accomplir cette geste spatio-temporelle. Avec ce récit, il faut évoquer un univers à étages, des histoires qui ne sont pas la nôtre et qui peuvent se déliter à l’infini en diverses voies et cheminements différents. On pense au " Almuric " de Howard par cette verve géographique, cette soif d’en découdre avec un monde qui est aussi un territoire à arpenter et à découvrir, un climat, des lois, règles, et une commune mesure, celle de l’aventure. Le processus guerrier s’aligne sur celui de l’ethnologue ainsi que sur celui de l’anthropologue sans pour autant devenir un manuel de savant (Vance n’est jamais très loin, notamment son cycle de Tschaï) . L’auteur en reste cependant à la facture de l’exploration, de la confrontation et de la sauvegarde. Sous cette trilogie thématique romanesque il nous brosse ainsi une histoire extrêmement attachante et belle. Tout est question de se ré-approprier ce que l’on a jamais perdu, et peut-être est-ce là l’une des clef secrètes de l’univers fictif de Sanahujas, mais ce est pas la seule.
L’auteur s’amuse et il ose se faire peintre comme un Burroughs ou une Brackett. Ainsi, en croisant des mondes inconnus dans ces univers parallèles, Zoé se fera aussi un regard caressant des paysages et des société post médiévales dont les ornements et décors divers invitent aux même déambulations esthétiques que jadis, cette époque où des empires romains se voyaient croiser les chantres des perversions de Babylonne pour nous édifier des paysages faits de couleurs et nuances, de costumes et glaives côtoyant lasers et princesses au yeux renfermant des soleils et univers, constellations amoureuses au travers desquelles les héros se complaisaient dans des exploits physiques et héroïques, le tout étant au fond que ce soit dans les yeux d’une princesse belle à en mourir. Et il n’en mourraient jamais, car le héros de la Science-fantasy ou des premiers Space-Opera n’était pas encore touchés par le même pathos, celui de la mortalité. A trop vouloir sauver l’univers et gagner l’amour, ces héros avaient fini par disparaître sous les pas de la nouvelles sf plus subversive et donc souvent plus réaliste. Remercions l’auteur de nous avoir témoigné de sa superbe pour nous montrer que la sf est capable encore de nous faire rêver comme jadis su le faire Burroughs. Ajoutons à cela une réévaluation du rôle de la femme comme d’un facteur autonome, capable de prendre des décisions, aptes à des réflexions cinglantes et Sanahujas se démarque subtilement de la sf conventionnelle de jadis qui avait trop souvent tendance à faire de celle-ci plus un objet qu’un sujet. Nous avons ainsi un roman d’aventure qui, tout en s’inscrivant dans le modernisme, redonne ses lettres de noblesses à un genre qu’on pensait à tort disparu avec les révolutions qui n’en furent jamais vraiment, ceci pour nous poser encore et une fois le rapport le plus fondamental du genre : une femme et deux hommes comme des regards qui se fuient et se rejoignent, et dans la geste guerrière, des corps qui se cherchent pour édifier un nouveau corpus du légendaire sans la facture du religieux mais au moyen d’individualités autonomes et libres de toute attache ou dettes. L’une des plus belles surprises de la sf française et la naissance, si j’ose dire, d’un futur talent de demain, qui n’a que 26 ans. Autant dire que même si nous n’avons pas tous l’éternité pour nous dire libres, nous avons l’immédiateté pour vite passer mais dans un vent du renouveau, de fureur et de douce folie, ce que l’écriture montre à certains qui finissent par comprendre son message secret. Croisez le donc un jour, ce jeune homme, et je vous garantie que vous pourrez vous dire que c’était bien, que ce moment comptait à côté de beaucoup d’autres de peu d’intérêt. Ivre de vie, fureur de vivre, il est comme moi, vous et tous ces autres qui aspirent tant à devenir sans se rendre compte qu’il suffit d’écouter parfois le silence, ce silence sécrété même par les musiques les plus violentes ouvrant le monde et les univers comme celle d’un " Blue Ôyster Cult ". Alors peut-être qu’avec lui déciderez vous comme le fit Prêvert jadis, d’écrire les mots simples et irréfléchis, faux et vrais, les mots qu’on ne voit jamais s’inscrire sur un tableau noir : " J’écris ton nom, liberté " . J’y ajouterai " de cette liberté longtemps disputée sur les lèvres de la muse interdite, sur les lèvres de celles que j’ai volé et les corps que j’ai enflammé pour finir par demeurer dans les bras de celle qui restera pour m’aimer " . Car tout n’est-il pas question d’amour au final, de ces amours avec lesquels nous courrons les bras en avant, blessés au côté, oubliés mais en demande de toujours plus, ce toujours plus qui effraie autant, qui effraie comme le fait d’écrire, tout simplement...
Ce qui manque à ce livre ? Deux cent ou 300 pages de plus, des pages pour mieux nous perdre et ainsi nous retrouver. Merci à lui et peu importe la fin des temps, si ce n’est pour avoir le plaisir de la mettre en scène plutôt que de la voir afficher par les fous et haineux de la vie. Une grande leçon que ce livre, à vous de la deviner, entre deux baiser, deux bières inconnues volées à des tonneaux, ou quelques galettes de mots qui nourrissent si bien les pauvres que nous sommes, ces fous qui pensent toujours accumuler sans se rendre compte qu’ils meurent nus. Mais certains seront toujours non pas riche, mais moins nus, du moins dans l’idée du dépassement de notre mortalité et du sens que nous y appliquons. cela voudrait-il donc dire qu’il n’y a rien ? Pourra vous dire la petite voix effrayée se réveillant parfois en vous.... Nullement ! Simplement boire la vie comme un une chope sans fond en sachant bien que tôt ou tard nous chavirerons comme ces lointains navires arpentant les mers sans bouts, mais toucherons peut-être quelque port lointain et inconnus pour ouvrir une autre histoire qu’on espère plus douce à chaque fois...
Ah oui, j’oubliais de vous dire de ma bouche de barbare futile. La couverture, comme dans beaucoup d’histoires d’amitié, est l’oeuvre d’un certain Christophe Fernandez, Nantais, homme d’honneur et fier escrimeur devant l’éternel. Il lui en a fait don, sans exiger d’argent, sauf le verre célèbre d’une amitié consentit et voulue, une amitié faite de rires et de délires, de vins et de souvenirs de lits sans fonds, baignés des parfums de belles à aimer. Là haut, le Dieu sans nom te salue de sa chope et veille au grain sacré...
Après Suleyman, relisez donc " Princess Bride " de William Goldman, et vous comprendrez peut-être quel est le combat le plus vrai et le plus beau d’une vie, simple et pourtant fondamental. Alors peut-être que vous commencerez à partager et perdre votre temps d’une autre manière, en travaillant pour l’incertain mais avec la certitude qu’il peut y avoir de beaux lendemains, même après la vie. Et pourtant, cela ne pourra se faire sans que vous ne bannissiez un jour vos vieilles reliques pour ne croire qu’en la vie, aussi brève soit-elle et quelque soit ce vers quoi elle vous mènera. Essayez donc et vous tremblerez, vous serez seul, vous direz vous, mais vous gagnerez votre satiété, car vos amis ne seront pas qu’invisibles, ils seront à la fois de chair et d’esprit, ils vous attendrons après et vous accompagnerons pendant, des univers parallèles que je viens de déduire des probabilités inventées par le livre de Simon Sanahujas.......

Emmanuel Collot

Suleyman, Simon Sanahujas, Couverture de Christophe Fernandez, Rivière Blanche, 200 pages, 17 €.





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