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Sommaire - Interviews -  Christophe Boelinger


"Christophe Boelinger" de David Lapetina


SF Mag : Comment en êtes-vous venu à la création de jeux ?

Christophe Boelinger : J’ai commencé très jeune, vers l’âge de 7/8 ans. J’ai énormément joué à beaucoup de jeux différents durant toute ma vie de joueur. J’ai aussi commencé à les collectionner. Mes tous premiers jeux étaient de simples jeux de lois, plus complets, améliorés. Puis dans ma période 12 / 16 ans, ce fut beaucoup de jeux dérivés des Wargames, sur grille hexagonale, avec des thèmes bizarres et variés. Pas des wargames historiques. Puis vinrent les jeux de rôle. Et là je créais toujours mes scénarios, je ne faisais quasiment jamais jouer des scénarios pré-construits. En parallèle je commençais à créer des jeux et des systèmes plus originaux, des boites plus abouties, en sortant de plus en plus des sentiers battus. Je pense que mon premier jeu réellement éditable c’était Alliance et celui-ci doit dater de la fin des années 80 (1988 ou 1989).

En fait je crois que me concernant, c’est plutôt quelque chose d’inné, un besoin. Quelque chose qui me vient naturellement et que j’ai besoin de faire pour me sentir bien. Un peu comme une drogue. Le fait d’avoir toujours tendance à vouloir traduire certains phénomènes de la vie, ou fictions en des jeux de société. Mon plus cruel ennemi restera toujours le temps, car j’ai tant d’idées et de projets à réaliser et chaque journée ne compte que 24 heures. Et même en limitant les heures de sommeil, ce n’est pas assez.

SF Mag : Quels jeux vous ont le plus marqués (Heroquest, SpaceHulk, ADD, ...) ?

C.B. : J’ai commencé par les jeux de plateaux (Risk, Monopoly, Richesses du monde, le jeu de l’énergie, PDG) et les classiques (Othello, échecs, et un peu tous les petits jeux de réflexion qui étaient présentés dans Jeux et Stratégie à l’époque. J&S a certainement été une très grande influence sur ma vie de joueur et de créateur.

Ensuite la grosse découverte et une énorme passion, fut les jeux de rôles. Avec toujours en parallèle des jeux comme Supergang, Full Metal Planète, formule dé, Civilisation, 1830, Dune, etc....). ADD a bouleversé ma vie de joueur, mon esprit d’improvisation, certainement développé encore plus ma fibre créatrice, et une certitude... m’a fait progresser de manière colossale en anglais ! Il faut savoir que j’ai passé mon oral de BAC sur le texte de préface de Dungeon Master Guide d’ADD. C’était le pied ! La meilleure épreuve du BAC et celle qui m’a permis de le décrocher sans devoir aller à l’oral. Et oui, créer des scénarios en cours, ça aide pas toujours pour les exams ! Mais bon j’étais quand même un élève sérieux, et bien classé, mais je me reposais parfois sur mes facilités et m’adonnait un peu trop à mes passions de joueur...

Ensuite vint mon entrée dans le monde des figurines. Elle se fit certes un peu grâce aux jeu de rôle car on utilisait des figurines. Mais pas besoin de tonnes de figs. Non c’est surtout grâce à Full Metal Planète et Space Hulk que j’ai eu envie de peindre des figurines. Ce sont deux jeux que j’ai énormément joué. Et j’ai une quantité impressionnante de scénars pour Space Hulk, et nombreux que je n’ai jamais eu le temps de tester et qui m’attendent impatiemment. Space Hulk reste toujours pour moi un bon jeu à aujourd’hui. Je rêve juste de me faire une version spatiale et futuriste d’un jeu dans la même veine, mais avec plus de contrôle, un peu comme dans DT. Peut-être que ce sera le Space Twister. Mais je ne crois pas, je pense qu’un jour viendra où je me plongerai à fond sur un gros jeu de figurines à la Aliens. En tout cas j’en rêve, j’ai déjà plein de notes à droite à gauche, des idées.... Comme d’hab, faut trouver le temps.
Donc premières peintures avec Space Hulk et 8 armées de FMP ! Et là, inévitablement je tombe dans tous les jeux à figurines de Games Workshop, sans exception. De Manowar (un de mes préférés) à Warhammer Battle et 40K, à Blood Bowl (j’adore) et Epic. Bref pendant 5 bonnes années, la plupart de mes économies filent chez Games Workshop !
Puis arriva Magic ! J’ai craqué dès ma première partie. Imaginez un jeu où vous créez votre Deck (paquet de cartes) en choisissant parmi des milliers de cartes. C’est le jeu le plus créatif (après des scénarios pour un JDR qui sont sans limites) à ma connaissance. Comment ne pouvais-je pas craquer sur Magic avec la fibre créatrice en moi qui appelait toujours au secours. Ben voilà, je suis devenu un énorme fan de Magic et je pratique toujours entre amis. Je n’ai jamais réellement apprécié l’ambiance des tournois Magic, ni la mentalité ultra-killer qui y règne chez certains. Mais je concède et comprends ces réactions vu les enjeux et l’espoir qu’y mettent certains.

Ensuite vers les années 95, j’étais parmi l’un des premiers dans le sud à ramener un colons de Katane et les premiers jeux allemands. Et depuis je découvre aussi et apprécie de plus en plus de jeux Allemands. Donc voilà, des jeux de rôles en passant par les Wargames, des jeux d’ambiances jusqu’aux figurines, des jeux de réflexions et des classiques aux jeux de plateaux, des jeux de cartes et des CCG aux jeux de lettres, des jeux allemands aux jeux délires, tout me plait et m’attire excepté les jeux de cartes traditionnels (valets, as, roi, dame).

SF Mag : Combien de temps avez-vous mis pour créer Dungeon Twister ?

C.B. : Une bonne vingtaine d’années d’accumulation d’idées, de gestation, de notes, d’envie, de rêve d’un jeu où l’on serait à la fois maire et joueur et avec un full control....
Les notes n’ont servi à rien et le déblocage s’est fait en une soirée. Entre l’idée initiale et le premier test sur le premier proto se sont écoulés exactement 24 heures. Ensuite, suivirent environ 2 ans de playtests à fond avec un très grand nombre de joueurs quand même, et très peu de choses ont changé entre le proto initial et la version finale éditée. Je parle bien entendu ici du jeu de base. Pour les extensions il en est tout autrement.

SF Mag : Où trouvez-vous votre inspiration ?

C.B. : Ca va dépendre de beaucoup de choses. Principalement de choses qui m’entourent, de situations qui m’attirent, me font rire ou m’émerveille et que j’aimerais traduire en jeu. De bibelots que je vois dans la vitrine d’un magasin de souvenir au ski (c’est le cas des figurines de chiens d’une vie de chien). D’un équilibre nécessaire entre le bien être du sport, de la montagne ou de la mer et l’envie créatrice qui en découle. C’est un équilibre que j’ai compris il y a pas mal de temps, et par exemple quand je pars au ski, c’est toujours avec des joueurs et avec mon matériel créatif et ma pochette de créations en cours. Je sais que quand je suis bien fatigué physiquement par un bonne journée de glisse. Je me sens bien, équilibré, et les idées viennent plus naturellement et plus facilement.

Le jeu des pêcheurs par exemple ce sont des figurines en bois de chalutier que j’ai trouvé superbes aux Saintes Maries de la mer, lors d’une session Kite-Surf. Et j’en ai acheté 5, car je savais qu’il y avait certainement un jeu super à réaliser avec ces bateaux et sur ce thème.

Certains objets anodins (j’en conserve des tonnes bien classés dans pleins de petites boites partout) peuvent aussi m’inspirer, les détourner de leur utilisation initiale pour les utiliser dans des jeux. Bref les sources d’inspirations ne manquent pas, mais je crois que la flamme principale provient d’un bien être et d’un équilibre qui dépendra des besoins de chacun.
Me concernant le sport y contribue.

SF Mag : Planifiez-vous longtemps à l’avance les extensions de vos jeux ?

C.B. : Alors là, pas du tout !
D’ailleurs Dungeon Twister est le seul jeu à extension que j’ai fait à ce jour. Donc je suppose que c’est de lui que vous voulez parler.
Voilà le détail de l’histoire concernant DT. Donc jeu de base v1 en 24h. Je n’avais aucun soucis pour motiver des gens en playtest sur ce jeu. En fait on devint très rapidement plus de deux dès la première semaine. Bilan, on avait envie de jouer à 4 ! Donc l’extension du jeu de base pour ¾ joueurs est née durant la première semaine de playtests sur DT.

Au même titre que mes playtesteurs, et même certainement plus, je prenais un réel plaisir à jouer et rejouer à DT. J’ai rapidement senti que j’avais mis le doigt sur LE jeu que je recherchais depuis si longtemps. Celui où l’on incarne à la fois le Maitre et le Joueur comme dans un jeu de rôle, car on connaît 50% des éléments mais pas les 50% restants. Bref, l’auteur avait pris au piège le joueur qui était en moi. Le joueur en moi se régalait à jouer le jeu, ainsi que l’ensemble des amis joueurs et playtesteurs. Et en face l’auteur était ravi de voir que tout le monde s’éclatait avec DT, y compris le joueur en moi. Comme en plus la base de DT était si solide et autorisait quasiment tous les délires imaginatifs (en restant dans le domaine du respectable), j’avais là un lego ludique pour faire tendre mon jeu toujours plus vers le jeu de rôle et les scénarios. Il me fallait donc un Monster Manual, un Player’s Handbook et des floor maps. Bref, aucune planification. A cette époque là, on ne songeait même pas que DT aurait le succès qu’il a eu. J’aurais déjà été suffisamment heureux que le jeu de base voit le jour. Donc toutes les extensions se sont enchaînées naturellement durant les deux ans de playtests avant la sortie officielle de DT. Croc me soulignait même qu’il ne fallait pas que je rêve, et que si la première extension voyait le jour, ce serait déjà bien. Il prenait un peu peur à me voir travailler non-stop sur le jeu et enchaîner les extensions. Mais bon, comme je l’ai dit, je les ait faites avant tout pour mon et notre plaisir (cercle de joueurs du sud je dirais) et peu m’importait que toutes voient le jour ou pas.

Donc à l’origine aucune planification ni plan commercial on va dire. Juste une passion à assouvir et pleins de potes à faire jouer (moi inclus).

Aujourd’hui, maintenant que le jeu est sorti et que les extensions s’enchaînent, je planifie les choses différemment. A chaque fois qu’une nouvelle extension est prévue, je la reprend bien avant, et on la reteste à fond, je la ré-équilibre, je change des salles, des caractéristiques de personnages, etc.... Bref à chaque fois je la retravaille et je l’affine pour qu’elle soit le plus équilibrée possible, agréable à jouer en stand alone et en full frontal, et aussi chasser toutes les petites combo de règles, afin que ces dernières soient le plus claires possibles et sans équivoque.
En clair, dès que j’ai envoyé le prototype définitif par exemple de l’Eau et le feu à Asmodée, et que désormais pour moi c’est rodé, carré, in the box... à partir de cet instant précis je passe en playtest à fond sur l’extension suivante, c’est à dire Puissance des Ténèbres (certes qui existe déjà, mais que je vais revisiter et régler de manière la plus optimale possible à nos yeux). En fait je joue plus sur proto que sur les versions définitives du jeu. Surtout en full frontal.

SF Mag : Quel sera le thème de votre prochain jeu : "Les pêcheurs" ?

C.B. : Je crois que la meilleure description serait de regarder le film « En pleine tempête » avec Georges Clooney (titre US : The perfect Storm). Ce n’est pas un film génial, mais il donne une très bonne idée du thème. Des pêcheurs prêts à risquer leur vie dans les tempêtes, les récifs, les orques épaulards, etc...
En terme de mécanisme c’est encore un OLNI (Objet Ludique Non Identifié) quelque part entre les jeux allemands pour la mécanique centrale (cartes), les jeux de figurines maritimes à la Manowar ou Pirates of the spanish main, les jeux d’enfoirés à la supergang (Ludodélire) et accrochez vous, le billard ! ou le carrom !
Bon voilà, bref un étrange objet ludique, mais qui pour l’instant n’est pas certain de sortir. En effet il devait sortir chez Tilsit et pour divers soucis, il n’a pas vu le jour.
Il est désormais dans les mains d’Asmodée et de Zoch... en attente de réponse. Donc de là à dire que c’est mon prochain jeu, j’en sais rien. Tout ce que je sais c’est qu’il a un peu plus de 3 ans maintenant, et que j’en ai un peu marre qu’il perde tant de temps chez chaque éditeur à chaque fois. En fait je l’avais déjà dans les mains avant même que Pirates of the spanish main sortent, et bien que ça ne soit pas les mêmes jeux, de par leur look ils se ressemblent quand même un peu. Et c’est dommage, car quand on a des jeux trop précurseurs ou trop bizarres, les éditeurs sont émerveillés mais au final ils n’osent pas prendre le risque car ils entrent en terrain inconnu. Et puis après vous voyez d’autres maisons d’édition sortir des jeux qui surfent sur les mêmes courants d’idées et qui font des cartons avec leur jeu, et là vous vous dites, « mince ! C’est dommage avec tout ce temps perdu à droite à gauche ».
Bon faut dire aussi que le plus souvent je n’ai qu’un proto de chacun de mes jeux, donc forcément je laisse quasiment l’exclusivité à un éditeur des fois pendant 6 mois, et parfois bien plus. Tilsit l’a eu depuis le tout début de la création mais bon, entre les hésitations et autres soucis de prod... Donc 6 mois par-ci, 6 mois par-là... et le temps passe et d’autres jeux pointent leur nez.

SF Mag : Comment éprouvez-vous le bon fonctionnement de vos jeux ? Est-ce grâce à l’expérience ou procédez-vous à des tests avec une équipe pilote ?

C.B. : Tout d’abord je pense qu’effectivement une vaste expérience ludique, tout seul, sur le papier reste le meilleur point de départ pour moi. Parfois quelques statistiques, simples, sur ordinateur et calculette.
Ca c’est pour la pré-phase, afin que le jeu ait le maximum de chances lors des premiers playtests de fonctionner correctement. Ensuite dès que le proto est au point, j’invite des amis et playtesteurs à venir jouer, ou je vais sur les salons, les soirées café-jeux, les ludothèques. Mais principalement j’ai une super équipe de joueurs et playtesteurs qui m’entourent sur la côte. Je joue depuis tellement longtemps et je n’ai pas changé de région, donc forcément je connais la plupart des joueurs du 06. En tout cas les gros joueurs.
Les playtests commencent d’ailleurs à sortir du 06, principalement grâce à DT, car les fans les plus mordus à DT participent désormais à certains playtests avec moi, notamment sur la version solo, où j’ai mis en place avec eu via le net un super playtest et crash test dispersé dans toute la France avec parmi les 10 meilleurs joueurs, en plus des playtesteurs locaux 06 et moi-même. Ca a d’ailleurs super bien marché et été très utile pour affiner et vérifier les règles. Ils ont d’ailleurs super bien participé et très bien géré le truc. Je dois le reconnaître et je les en félicite.

Et au fur et à mesures des playtests j’effectue les réglages nécessaires, plus ou moins importants, jusqu’à ce que tout le monde se fasse plaisir et que le jeu soit équilibré. Mais je crois que plus ou moins c’est ce que tout auteur de jeu doit ou devrait faire, non ?

Pour en savoir plus :

Le site officiel Dungeon Twister : http://www.dungeontwister.com/

Le site communautaire : http://www.dungeontwister.net

Asmodée : http://asmodee.com/

Propos recueillis par David Lapetina




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