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"Ruptures"
Alain Le Bussy

Editeur :
Eons Ailleurs
 

"Ruptures"
Alain Le Bussy



10/10

Les romans s’accumulent, les séries se conjuguent et ce sorcier de le Bussy poursuit ses équipées romanesques sans s’y perdre, c’est rare, sans radoter, c’est mieux, avec toujours ce "sense of wonder" si typique et si différent de celui de ses confrères anglo-saxons, c’est Belge. Or, que rajouter encore à ce monument de la Sf européenne, voir de littérature d’évasion tout court, si ce n’est qu’il se bonifie comme du bon vin, à moins que ce ne soit ces vins jeunes qu’on a parfois la chance de découvrir et de savourer. La narration d’Alain le Bussy est novatrice mais en même temps constante, sans déperdition et pourtant regorgeant d’inventions, bref il y a une totalité de style qui confine à un infini d’un langage qui aime mettre en scène non pas seulement des situations et des lieux mais aussi des personnages qui vont s’y interconnecter, s’y confondre même, les éléments fixes des paysages de le Bussy semblant entretenir avec le vivant qui les habite d’étranges relations romanesques. Mais, paradoxe des paradoxes, il y a également comme un autre langage chez cet auteur à la diatribe tapageuse, cette espèce de "speculative form" où ne sont pas seulement en jeux des "mondes possibles" mais aussi des "devenirs en suspend" , des "devenirs" qui toujours demeurent au-dessus d’une histoire, comme si quelque Dieu scénique retiendrait son souffle, comme si deux personnages mêlés, engagés dans une histoire attendaient un dénouement que le temps suspendu du roman et le temps perdu de la vie réelle s’amuseraient un temps à en dissimuler les derniers retranchements et cet étrange rebondissement qui se perd, pour faire gagner bien autre chose, mais quoi ? Là semble bien perdurer l’énigme Bussyenne et ce n’est pas ce dernier opus qui en démentira cette trame toujours à quelque pas devant le lecteur......

"Ruptures" prend son départ comme un roman de la perte, de la fuite, du refuge, un roman qui nous conte un destin qui fut celui de ces familles de la seconde guerre mondiale qui cherchaient à fuir la marche de l’infâme, chercher le refuge inespéré, trouver le seuil bienveillant. Le récit, remarquablement introduit par la prose doucereuse de le Bussy, nous conte l’histoire de l’une de ces familles mais en un futur divergeant, un futur dont on a du mal au début à se saisir des véritables données, tant du point de vue des tenants et aboutissants que des conséquences sur le relationnel entre les hommes et entre les hommes et les techniques. Une famille fuit à bord de leur véhicule dans une Europe qui pourrait être celle du conflit Yougoslave. Sauf qu’en ce temps, en cette uchronie bien caractéristique, c’est d’une Europe dominée par un Napoléon 1er qu’il faut parler. L’Empire Français règne en maître sur une Europe ayant perdue tous ses repères tant frontaliers que linguistiques. Séparé de sa femme et de ses enfants, enlevés par d’étranges libellules volantes faites d’acier, Freddy ne sait pas encore que la recherche des siens va le mener bien plus loin que cette guerre perpétuelle. Sa route le mènera, bien au-delà de la géographie de son monde, et son voyage se fera rencontres avec des individus issus d’autres époques. et donc des uchronies, dystopies et utopies qui s’y attachent traditionnellement comme dans tout bon vieux récit de paradoxes temporels.

Le monologue Bussyen ou les entretiens infinis sur le lien, l’appartenance.

Alain le Bussy est brillant parce qu’il excelle dans cet art de mêler quête intimiste et ces "affluents romanesques" qui n’ont plus d’autres noms que "l’aventure Bussyenne". L’auteur nous brosse des lignes de temps, des individualités réunies à la fois par une histoire (une guerre, les suites de la grande catastrophe) et par des liens (une tribu, un groupe, une famille) , ceci pour les amener à faire des rencontres, et à travers ces rencontres éprouver leur propre rapport au monde prégnant, au monde du vivant. Que ce soit avec les curieux "Hens", des remugles préhistoriques de notre plus ancien passé, ou bien avec d’autres personnages atypiques et dotés d’une certaine verve, le Bussy nous accompagne dans une aventure pleine de rebondissement et d’insouciance. Ainsi, les monologues qui parsèment la quête de Freddy sont autant d’apartés sentimentales sans mièvrerie, mais avec une certaine justesse dans les mots, toujours justes agencés comme il faut pour aboutir par ce cheminement vers l’inconnu, à l’accession d’une nouvelle dimension pour le personnage. La fin, toute en bonhomie et en optimisme est une dénotation très anglaise, mêlant humour, dérision et préposé à l’aventure, tout simplement. Il y a du Verne et du Wells chez le Bussy, on l’a déjà dit, mais le tout articulé par une voix goguenarde et insolente, belle et enthousiaste, autant ambitieuse que bucolique. C’est là la marque des grands prosateurs Belges.

Pierre Gévart
Comment les choses se sont vraiment passées
10/10

Et comment donc une fois de plus tenter de parler de la prose de Pierre Gévart sans être pris de la tentation de dire merci ? Comment toucher les mots qui se dessinent avec tant de précision une époque de désespoir sans craindre d’en révéler cette mélodie juste ? Ouvrant ce drame sur une introduction lovecraftienne pleine de retenue qui confine au sublime, nouvelle sur le temps et l’espoir fou d’en enrayer les génocides qui le font si mal avancer, l’auteur nous invite à l’une de ces histoires secrètes. A mesure que la mécanique terrible avance, celle du génocide, un plan d’une incroyable audace naît au coeur même des intellectuels. Et si Einstein avait été capable de construire une machine à remonter le temps, croyez vous qu’il aurait été possible d’en avorter l’un de ses plus terribles processus ? Réponse de poète, réponse plein d’espoir, Pierre Gévart fait comme Matheson dans ces instants qu’il met à contribution pour traduire l’ineffable de l’imaginaire salvateur face à l’inéluctable de la mécanique historique. L’écriture pour échapper au néant, le pouvoir de l’écriture pour sauver ce qui reste encore à sauver. Gévart comme bon nombre d’écrivains nous montre que la littérature peut même échapper aux monstres et à leurs actes ignobles. Pierre Gévart nous révèle combien l’écrit est un peu comme le dit, il est de l’ordre de l’éther. En cela, l’hitlérisme a totalement échoué dans ses prétentions globalisantes. Si l’humanité a survécu après l’holocauste n’est ce pas dû quelque part à ces mains anonymes ou connues, ces têtes qui ont quand même réussi à continuer à penser, conceptualiser pour écrire, écrire au-dessus du gouffre du passé, écrire pour repeupler l’abîme qui nous lorgnait de ses abysses ????
Pour cela oui, nous avons tous survécu avec ces "autres" qu’on accusait de différence, ces "autres" qui étaient nous même. Cette nouvelle, une fois achevée, laisse en nous une trace qui se fait lumière, un chemin qui éclaire nos lendemains de ténèbres et d’incertitudes. Elle ne combat pas la réel mais sauve l’esprit de la marque que les maudits ont voulu imprimer au fer blanc sur le front de l’humanité...
Quand à la couverture de Michel Borderie elle est tout simplement superbe, aérienne, illustrant avec autant de justesse ces deux textes qui touchent à l’essentiel. Michel Borderie est un grand dont le trait est probablement à l’heure actuelle l’un des plus remarquables en France si ce n’est en Europe........

Ruptures, Alain le Bussy, Comment les choses ce sont vraiment passées, Pierre Gévart, Eons Ailleurs, 214 pages, 15.70 €.





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