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  Sommaire - Livres -  A - F -  Les chemins de Damas
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"Les chemins de Damas "
Pierre Bordage

Editeur :
Le Diable Vauvert
 

"Les chemins de Damas "
Pierre Bordage



9,5/10

L’archange Michel est mort assassiné et la guerre a cessé. l’Europe, ravagée par quinze ans de conflits avec les armées musulmanes, a presque régressé au niveau d’une nation du tiers-monde. Elle a dû accepter la main-mise de mouvements évangélistes et d’un libéralisme effréné qui a fait disparaître toute protection et couverture sociales. Ceux qui travaillent, au minimum dix heures par jour, peuvent espérer un toit et un cocon encore douillet. Mais le moindre accroc fait basculer dans l’exclusion, avec la recherche éperdue d’un abri, car une vague glaciaire s’est installée et rend la vie encore plus difficile.
C’est dans ce contexte qu’évolue Jemma Hourtin, cadre dynamique de la BioFis : « fleuron de l’industrie pharmaceutique mondiale localisée à Shanghai. » Divorcée, elle habite avec Manon, sa fille, dans une résidence, véritable forteresse au cœur de Paris. Manon disparaît, une nuit, sans laisser aucune trace. « Comme des milliers d’autres enfants avant elle », lui révèle une police défaillante incapable d’apporter une réponse. Jemma sombre dans l’hébétude, perd son emploi, tente de se suicider. C’est après l’effraction nocturne (Bravo la forteresse !) d’un commando de soldats du Christ-roi, qu’elle reçoit la visite de Luc Flamand. Cet ancien journaliste enquête sur les disparitions d’enfants. Il privilégie, parmi les deux pistes les plus plausibles, celle de l’existence d’une armée des enfants qui serait basée au Moyen-orient, une région devenue inaccessible aux européens.
Peu à peu, Jemma, qui a perdu tous ses repères, accepte l’idée de suivre Luc dans un voyage de l’autre coté du Front Est, vers la Turquie, la Syrie. Commence alors pour le couple que tout sépare, mais que des liens ténus unissent, un voyage hallucinant. Que trouveront-ils au bout du voyage ? ...si bout, il y a !

Pierre Bordage aurait-il lu des volumes de la Compagnie des glaces de G.-J. Arnaud, car il exprime les effets et fait ressentir le froid de superbe façon ? Il sait rendre palpable le climat glaciaire et, en ce mois de mai 2005 particulièrement frileux, ce roman n’a rien pour réchauffer. Rien du tout d’ailleurs ! car les perspectives esquissées sont déprimantes au possible. En effet, il n’est pas encourageant l’avenir selon Pierre Bordage. La société qu’il imagine est totalitaire, fermée, sans joie et sans espoir. La population est prise en otage par un système religieux venu des USA, qui s’installe à toutes les commandes et impose son intransigeance.
Pour nous faire découvrir toutes les facettes de la nouvelle Europe, l’auteur conçoit deux parcours, deux « voyages vers Damas », vers l’espoir d’une autre vie, voire d’une renaissance à travers une spiritualité renouvelée. Si le premier, initié par Jemma et Luc est évident, le second se révèle au cours du récit. Il est conçu comme une chaîne humaine, comme une succession de passages d’un relais invisible qui peu à peu rapproche les derniers maillons du but ultime. Pierre Bordage combine, ainsi, à travers des tranches de vie de personnages issus de différentes couches sociales, une galerie des types principaux d’individus qui composent une société et de leur adaptation à cette nouvelle civilisation livrée au chaos.
Pierre Bordage offre une fin largement ouverte, où chacun trouvera la solution qui convient le mieux à sa sensibilité. Par contre, je dois avouer que mes connaissances en matière religieuse ne sont sans doute pas suffisantes pour apprécier la conclusion de l’histoire à sa juste valeur. Et je reste un peu frustré, m’attendant à d’autres révélations.
L’auteur, pour le décor et l’environnement de ses héros, compile, assemble, coordonne nombre d’éléments forts qui marquent notre société actuelle. Est-il si « innocent » le choix de Manon comme prénom de l’enfant disparu ? Il utilise la peur ancestrale, viscérale de tous les parents : la disparition de l’enfant, l’enlèvement ou la mort. Il se pose en amplificateur de phénomènes de sociétés, se « contentant » de reprendre des situations existantes, d’évaluer, en regardant tout simplement le monde qui nous entoure, l’évolution probable, possible, logique. On sait que lorsque le cadre naturel est insuffisant pour satisfaire une demande de gens fortunés, la nature humaine fait en sorte de le combler. Il est facile, connaissant l’ignominie de l’homme, d’en tirer quelques prolongements qui de toutes façons, aujourd’hui commencent à exister. C’est, par exemple, le cas du prélèvement d’organes.
L’auteur réussit comme personne ces personnages d’humains avec toutes leurs faiblesses, ces personnages, qui cependant, peu à peu, iront au bout d’eux-mêmes, au bout de leur propre révélation, pour les yeux des autres, mais surtout pour leur propre regard.
Ce roman est le troisième volet de La Trilogie des prophéties. Celle-ci, initiée avec L’Évangile du serpent, une transposition moderne des Évangiles, comprend L’Ange de l’abîme, une description adaptée à notre époque de l’Apocalypse. Les Chemins de Damas est un livre magnifique, salutaire pour nous rappeler notre fragilité, la fragilité de notre situation, de ce qui nous entoure et nous ramener à une humilité qui nous fait souvent défaut.

Serge Perraud

Les chemins de Damas, Pierre Bordage, Le Diable Vauvert, mai 2005, 496 pages, 23 €





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