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  Sommaire - Dossiers -  GERARDMER Fantastic’Arts 2005

"GERARDMER Fantastic’Arts 2005"

Stéphane Thiellement
 

12 ans de festival de Gerardmer, avec des hauts et des bas aussi. Bien entendu, je parle des palmarès. Démarrant en 1994 avec Walter Hill en président qui couronna un chef d’œuvre, Jiang-Hu (qui sort enfin en DVD, allez voir en rubrique vidéo, il est chroniqué) de Ronny Yu. Puis John Carpenter lui succéda, donnant le Grand prix au superbe Heavenly creatures de Peter Jackson, la troisième année ce fut Rutger Hauer et Le jour de la Bête, la quatrième année, Ken Russell et Scream, succès énorme qui fait du bien au Festival. On oublie Ted Kotcheff et Le loup-garou de Paris (présent aussi, Gattaca n’obtint que le prix du Jury, non mais, hein, il y a des baffes qui se perdent !), on se rétablit avec John Landis et Cube, très bon succès, l’étiquette Grand Prix Gerardmer Fantastic’Arts y aidant quand même. En 2000, Michael York couronne l’excellent Hypnose, succès commercial et critique. Et en 2001, le pire Grand Prix est donné par Roland Joffé à l’archi-nul Thomas est amoureux. Résultat : la pire carrière pour un film ayant obtenu un Grand Prix. 2002 rattrapera t’il le coup ? En partie, avec une très bonne sélection d’où émerge le magnifique L’échine du diable de Guillermo Del Toro qui repart avec un prix du Jury, Norman Jewison remettant le Grand Prix au très mauvais Fausto 5.0. Comment un tel palmarès fut-il possible, mystère, sachant qu’en plus, dans le jury il y avait Christophe Gans, connu pour se battre à fond quand il aime un film. Oui, ben là, hein... Après plusieurs tentatives pour venir, Wiliam friedkin arrive quand même à être président en 2003 et récompense un autre chef d’œuvre, Dark water. Et l’an passé, Paul Verhoeven fait craindre le pire avec un palmarès déconcertant (un Takeshi Miike quasiment non fantastique reçoit le Prix du jury pour l’insupportable Happiness of the Katakuris) mais se rattrape avec le Grand Prix pour un autre chef d’œuvre, 2 sœurs de Kim Jee-Woon. Bon, 2 années de suite avec un film asiatique, c’est vrai qu’on commençait à confondre Gerardmer avec un festival du Film Asiatique qui aurait migré de Deauville (si, si, c’est bientôt, là... et les USA, c’est pour Septembre, faut suivre un peu !) pour les Vosges. Arrive donc 2005, présidé par Barry Levinson et son jury de jeunes « stars » françaises (ce qui permet de se mettre à la page !), avec une sélection dominée par 3 excellents films, dont 2 se verront attribuer un prix ex-aequo du Jury, 1 bon film, 2 médiocres, 2 mauvais et 1 carrément nul. C’est celui-ci qui obtint le Grand Prix. Allez, c’est parti...

Avant d’attaquer le cinéma et la Compétition Officielle, un mot pour le Grand prix littéraire adjugé à l’excellent roman de Denis Bretin, Le mort homme (éditions du Masque). Une étrange histoire à travers les temps, en souvenir de la Grande Guerre, bouleversante, terrifiante, très bien écrite, une vraie découverte. O passe au 7ème Art en commençant par la compétition vidéo qui attire chaque année de plus en plus de monde. Présentés le plus souvent en vostf (vive le DVD), ce sont des inédits qui n’ont pas eu la chance d’avoir un distributeur salles et parfois, on crie vraiment à l’injustice quand on découvre ce que programment les distributeurs cinéma. On passe rapidement sur Hellraiser 6, encore plus mauvais que le précédent, Hellraiser Inferno (sorti récemment en vidéo, ne l’achetez pas, c’est une arnaque !), sur La mutante 3 parce que pas vu mais très fun paraît-il tout en étant tout de même un peu trop long et sur l’intriguant The locals car pas vu non plus mais dont on dit assez de bien (2 jeunes se retrouvent dans une région isolée australienne, sont témoins d’un meurtre et en voulant s’échapper, reviennent inlassablement au même endroit, au même moment) et qui sort en vidéo d’ici l’été. Et on arrive aux trois meilleurs sélectionnés 2005 : le prix vidéo inédit décerné par le public qui vote en sortant de la salle récompensa donc le coréen Into the mirror de Seong Ho-Kim, sur de mystérieux meurtres perpétrés dans un centre commercial et dont la solution se trouve de l’autre côté des miroirs. On évite enfin les fantômes avec les cheveux longs devant les yeux pour un fantastique plus original, desservi par contre par une enquête policière un peu « plan-plan ». Sœurs de glace de Matt Hastings est une série Z quand on parle de drague et de sexe, et une série B quand arrive tout ce qui touche à la nature « alien » (tentacules sortant du corps, par exemple) de ces étudiantes canon qui cherchent le mâle pour assouvir leur insatiable appétit. Enfin, le top du top, Shallow ground de Sheldon Wilson : dans les bois, un adolescent entièrement nu et recouvert de sang des pieds à la tête surgit dans le bureau du shérif. A partir de là, c’est un voyage en plein cauchemar, très efficace, dérangeant (l’omniprésence du sang, poisseux, tend à mettre mal à l’aise), à la révélation complètement barge. Film d’horreur et de terreur dont les rares faiblesses se situent au niveau de la réalisation, un peu faible par moments, et à une inutilité scénaristique (un trafic de drogue avec flics ripoux), Shallow ground laisse un souvenir aussi marquant que le sang qui baigne toute l’intrigue. Trouver un titre français adéquat devra obligatoirement inclure « sang » dedans (Sangoria ? Sanguinarium ? Souvenirs sanglants ? Sanglante vengeance ? Le sang de la mort ?).
On passe à la sélection officielle en commençant par les Séances Spéciales ou Avant-premières, c’est pareil. Pour une fois, commençons par le meilleur : Bubba Ho-Tep de Don Phantasm Coscarelli. Adapté d’une nouvelle signée Joe Lansdale, il s’agit d’un vrai film fantastique (refusé à Gerardmer il y 2 ans...) où Elvis n’est pas mort, c’est son sosie qui l’est, JFK est un noir, et tous 2 sont dans un hospice où une momie vient la nuit prendre les derniers souffles des pensionnaires. A la fois touchant, drôle (mais vraiment très drôle) et fantastique, Coscarelli signe ici le renouveau de sa carrière, qui végétait avec la saga des Phantasm. Succès surprise aux States, lancé de curieuse façon (état par état), emporté par la prestation d’un Bruce Campbell génial (et qui viendra en France lors de la sortie du film en Juin), Bubba Ho-Tep est un vrai petit bijou. Ce qui n’est pas le cas de Arahan de Ryoo Seung-Wan et son flic un peu niais devenant l’élu d’anciens chevaliers défendant le monde. L’humour fonctionne (oui, curieusement !...), mais le film demeure à un niveau trop bas (effets spéciaux ratés, photographie laide, arts martiaux du pauvre...) pour prétendre à plus. Sitôt vu, sitôt oublié. Traînant depuis quelques années dans les festivals, House of thousand corpses de Rob Zombie (non, non, c’est son vrai nom !) se veut dans le ton de Massacre à la tronçonneuse. Sauf que son ton très comédie noire et une réalisation sauvage de vidéo-clip nuit parfois au film qui ne trouve son vrai degré de dégénérescence horrifique que dans son final apocalyptique et cauchemardesque où on voit un chirurgien psychopathe engoncé dans un exo-squelette métallique, continuer ses expériences sadiques de trépanation et autres ablations d’organes sur des victimes encore vivantes, aidé par un géant masqué, une sorte de « Massacrator » totalement délirant. A noter que ce film était projeté lors d’une nuit « maison hantée » aux côtés de Amityville de Stuart Rosenberg et Hantises de Jan de Bont. Sans commentaires.
On passe donc à la compétition qui s’ouvrit avec Sky Captain et le monde de demain de Kevin Conran, ambitieux projet où les acteurs ont joué tout le temps devant des blue-screens, les décors étant créés par la suite en numérique. Une histoire complètement issue des serials des années 40 avec complot gigantesque contre la paix mondiale, savants fous et héros romanesque endiable (parfait Jude Law). Si le look rétro-futuriste séduit, si certaines séquences sont assez étonnantes, on regrette par contre un scénario simpliste surtout dans sa dernière partie (style « oh merde, on n’a plus de fric allez on se grouille de trouver un happy-end ! »), la présence d’une Gwyneth Paltrow pas du tout indispensable tellement elle devient mauvaise actrice et le manque d’âme des effets spéciaux, qui empêchent souvent l’adhésion au film. Et on entre dans la compétition non pas par le nul Grand prix (on le garde pour la fin) mais par les 2 mauvais. L’an passé, Marc Evans gagna le Prix Vidéo Inédit avec son médiocre My little eye. Il revient cette année avec Trauma où étude de la psychose d’un mari jaloux. Ca résume tout le film, d’un inintérêt prodigieux, accentué par une réalisation prétentieuse pour simuler le voyage dans le psyché dérangé d’un individu. Les mêmes défauts que My little eye, quelque part. Pour la seconde année consécutive, nos amis Québecquois amenèrent un film bien de chez eux (au niveau de l’accent surtout !) après l’hilarant Sur le seuil de l’an passé (et sa fin du monde liée au retour du Mâââââl !). Cette année, il s’agit de La peau blanche : un homme un peu coincé tombe amoureux d’une femme à la peau très blanche, et au comportement très mystérieux. Allez, un petit effort et vous aurez compris qu’il s’agit soit d’un vampire, soit d’une goule (c’est ça, bravo !). Et comme rien ne rattrape le film, au look très téléfilm sur tous les plans, La peau blanche ne risque pas de nous révéler le renouveau du cinéma de nos cousins de là-bas. A un degré un tout petit plus élevé, on trouve l’espagnol Hypnos de David Carreras sur une jeune médecin (la magnifique Cristina Brondo, dont chaque apparition réveilla tout mâle endormi, alors quand elle va prendre sa douche, là, je ne vous dis pas comment qu’on était attentif !) qui prend ses fonctions dans un hôpital psychiatrique abritant de lourds secrets, dont un lui étant intimement lié. Le défaut du film, c’est de ne pas faire du Fantastique de genre mais du réalisme torturé à la Alejandro Amenabar, le talent en moins. Notre coréen du moment s’appelle Incantations de Ahn Byung-Ki, raconte la vengeance d’une étudiante brûlée vive sur les pensionnaires actuelles de son lycée. Rien de nouveau, même si Incantations se laisse voir. Malheureusement, tous les poncifs de l’épouvante asiatique du moment sont dans ce film, à savoir en premier lieu les cheveux noirs longs devant le visage laissant apparaître un œil grand ouvert. Ras le bol. Le jour où on verra un fantôme asiatique d’une fille chauve et portant des lunettes noires, on criera peut-être au chef d’œuvre devant tant d’originalité ! On reste en Asie avec Ab-normal beauty de Oxyde Pang, un des deux frères responsables de The eye, qui prouve lorsqu’il n’y en a qu’un sur deux qui réalise, c’est bien meilleur. Une étudiante découvre qu’en photographiant les moments précédant la mort, son inspiration artistique devient plus riche, au point de donner une totale originalité esthétique à ses œuvres. Jusqu’au jour où elle reçoit des vidéos de meurtres commis autour d’elle. Film d’horreur, réflexion sur le mal de vivre d’une certaine jeunesse, Ab-normal beauty varie entre fascination et agacement, mais ne laisse pas du tout indifférent. Sa grande force repose sur un personnage central très bien étudié. Et on se fout pas mal de savoir qui est le tueur. On passe aux excellents films. Tout d’abord, la surprise de la cuvée 2005 : un nouveau Takeshi Miike, le cinéaste nippon le plus rapide du monde quant à sa vitesse pour faire un film, le plus fou et pas le plus doué. Dans ses œuvres qui firent sa renommée, il y a Audition et sa célèbre séquence de pur sadisme du pied coupé qui fit de Miike une star (alors que franchement, il n’y a pas de quoi casser 3 pattes à un canard avec le reste !), la trilogie Dead or alive, plein de films à l’humour décalé réalisés avec les pieds, un Prix du Jury à Gerardmer 2004 (présidé par Verhoeven...) à une insupportable comédie musicale débile où surgissent à un moment donné des zombies (d’où sa sélection, ça ne tient pas à grand chose, hein !), The happiness of the Katakuris (ça ne sortira jamais un tel ovni !), plein d’autres films du même acabit, bref Miike, personnellement, j’avais tiré une croix dessus. Et puis arrive ce One missed call (La mort en ligne, en vf) que certains comparent à un Ring version portable. Ben voyons, en tout cas, c’est largement mieux. Si ! Chaque fois qu’un portable sonne avec une certaine musique, son correspondant entend ses derniers cris avant de mourir. Et l’appel vient du futur. A partir de ce concept fou, Miike livre un thriller horrifique à la réalisation classique (à croire qu’il s’est shooté au Valium ! Incroyable !) mais ô combien efficace. Le suspense va crescendo jusqu’à une révélation véritablement sordide, un poil trop alambiqué sur les dernières minutes mais qui a le mérite de ménager véritablement la tension jusqu’au bout. C’est simple, si vous n’aimez pas Miike, ni Ring version nippone, hé bien La mort en ligne sera celui que vous adorerez et garderez plus tard en DVD : le chef d’œuvre de Takeshi Miike. L’événement de ce douzième Festival fut sans nul doute Saw de James Wan, film d’horreur pure sur un tueur jouant avec ses victimes comme un chat avec une souris, en les forçant à commettre l’innommable pour rester en vie. Ainsi, deux hommes sont dans une pièce, un cadavre entre eux et l’un doit tuer l’autre pour pouvoir sortir libre. Et tout le film est construit sur cette base de jeu cruel et sadique, à tiroirs, aux révélations surprenantes, surtout pour l’ultime, qui place le spectateur dans une étrange position de voyeur et de complice. Tout n’est pas parfait, en détaillant bien, on trouvera des bourdes scénaristiques mais en mélangeant ainsi quelque part Usual suspects à Seven, on obtient Saw, qui réveilla sans nul conteste le Festival de sa léthargie. Et qui aurait dû avoir le Grand Prix, il eût été amplement mérité, et c’était le film qui aurait fait du bien à la renommée de Fantastic’Arts, comme Scream en son temps. Enfin, l’autre surprise de taille vint de Belgique, pays qui à l’instar de l’Espagne, surprend dans le cinéma de genre. En policier, il y eut l’an passé l’excellent La mémoire du tueur. En horreur, il y a aujourd’hui Calvaire de Fabrice Du Welz : un artiste itinérant échoue un soir en pleine cambrousse paumée. Il est recueilli par un ancien aubergiste qui le nourrit et l’héberge. Le matin, il se rend compte qu’il est devenu prisonnier de cet homme qui voit en lui le retour de sa femme qui l’a quitté. Et en même temps, tous les villageois semblent partager ce sentiment. A partir de là, l’horreur va surgir sous ses formes les plus viles et bestiales, les plus primales aussi. C’est simple, c’est un voyage au bout de l’enfer auquel Fabrice Du Welz nous convie. Vous vous souvenez de Délivrance ? Bon, ben Calvaire en est la version actuelle, située en Belgique, avec des hommes qui se font faire une fellation par un veau ( !), qui violent un voyageur égaré après l’avoir travesti en femme, qui le crucifient, etc... Plus on avance, plus on est sous le choc de ce qu’on voit. En même temps, Calvaire est un film sur l’amour et les sentiments perdus qui amènent à cette situation complètement abominable, le film s’achevant sur un aveu d’amour. C’est ce qui donne à Calvaire sa force, prouvant que ce n’est pas un simple spectacle de voyeurisme pervers comme beaucoup risquent de le cataloguer. Et il reste un film, le Grand prix, belge aussi mais à l’exact opposé de Calvaire. Trouble de Harry Cleven voit Benoit Magimel découvrir lors du décès de sa mère qu’il a un jumeau, qu’il rencontre donc pour la première fois à la lecture du testament. A partir de là, sa vie devient un enfer, son frère voulant-il vraiment prendre sa place auprès de sa femme et de son fils ? Et quel est ce terrible secret d’enfance qu’il a enfoui au plus profond de lui-même, hein ? Psychologie de bazar, réalisé comme un parfait téléfilm de France 2, au suspense téléphoné à l’extrême (au cas où on ne comprendrais pas, on nous montre par de judicieux détails le pourquoi du comment), Trouble met très en colère. Non pas parce qu’il n’avait qu’une place très limitée dans la sélection (mais ça, ça devient courant...) mais parce qu’il traite un sujet sans s’y référer (une petite réunion de jumeaux du monde pour nous montrer les liens qui les unissent, quelque chose qui ne se ressent jamais entre les 2 Magimel), même sur un plan cinématographique. A savoir qu’avant de faire mieux sur le sujet qu’un Dead ringers, ce n’est pas demain la veille. Mais là où cela devient carrément nul et quelque part honteux, c’est quand les sentiments d’un enfant de 8 ans avec son père sont balayés en 3 minutes. Et il faut y croire ! Ca résume toute la finesse psychologique d’un mauvais suspense, qui comble de tout, se voit décerné un Grand Prix. Si le film avait été digne de son scénario, même en n’étant pas Fantastique, on aurait pu dire qu’il méritait une telle récompense. Alors que là, on reste atterré par un tel choix...

Voilà, vous savez tout de ce 12ème Festival du Film Fantastique de Gerardmer Fantastic’Arts. L’essentiel de ces films sortira dans le courant du semestre. On reparlera de Calvaire avec l’interview du réalisateur, lors de sa sortie. Et avec tout ce que vous avez lu, à vous de faire votre propre sélection, sans oublier les Inédits Vidéo, bien sûr. Concernant le Festival en lui-même, on espère comme chaque année que le prochain sera meilleur, avec plus d’invités liés au genre, mais ça c’est une autre histoire.

St. THIELLEMENT


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