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  Sommaire - Livres -  A - F -  Les loups de la pleine lune
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"Les loups de la pleine lune "
Edouard Brasey

Editeur :
Le Pré Aux Clercs
 

"Les loups de la pleine lune "
Edouard Brasey


Oeuvre matricielle, chef-d’oeuvre du fantastique, ce court roman est à marquer d’une pierre blanche, tant d’un simple point de vue narratif avec sa langue chargée, sonore et colorée, que par l’originalité de cette histoire lovée à la fois dans nos mystérieuses campagnes parallèles que dans notre conscience moderne du couple Eros/Thanatos. Un grand roman qui mériterait largement un grand prix........


10/10

Le Pré aux Clercs poursuit son remarquable travail éditorial et multiplie les innovations brillantes et originales, tant d’un simple point de vue du choix des textes que de la maquette dont il est fait usage pour accompagner le texte comme une toile de fond, une mise en scène théâtrale par l’image comme on pensait que les lettres françaises ne savait plus le faire. En effet, le médium du journal intime est grandement usité dans cette histoire, ceci afin de donner un contexte décalé, comme le report d’un fait familial "rapporté" qui s’était perdu dans le temps, mais que sa redécouverte transfigure en un étrange manuscrit mis à jour par hasard. La lettre introductive, avec un clin d’oeil à Claude Seignol, nous raconte comment, en 1943, alors que la France collaborationniste cherche des lieux pour parquer les innocents qu’elle va envoyer à la mort, un notaire informe un préfet du Loir-et-Cher de la disponibilité d’un vieux manoir désaffecté, le Domaine de Mortemare. Le marquis et sa femme auraient disparus sans laisser de traces, seul un vieux journal intime découvert dans le tiroir secret logé dans un vieux bureau témoigne des faits quand à cette famille pour le moins discrète. Les faits qu’il rapporte sont d’une telle étrangeté que le dit Notaire l’adresse au Préfet. Edouard Brasey va alors faire oeuvre de conteur, n’hésitant pas à mettre à contribution tout son talent et toute ses connaissances sur la mise en scène ainsi que de l’étalement discret d’une esthétique de paysage bien particulière que le héros traverse comme des contrées magiques dont la moindre feuille, le plus subtile bruissement de végétation est un souffle, où les lièvres (rouges) sont là pour indiquer l’image d’Epinal et le rapport au décorum mythique des contes des frères Grimm. Le personnage erre, se perd dans une nature sauvage et belle, violente et hostile. En suivant les mots de Brasey on est étonné de plonger également au coeur de nos propres ténèbres, ceux-là même qui dorment toujours en bordure de notre rêve éveillé qu’est la présence froide au monde, cette fragile connexion au sensible qui est à la fois violente et douce, âpre mais entière et vitale. Par cette porosité patente d’une psychanalyse des profondeurs, l’auteur brosse un tableau de cette autre France, celle de Franju et des campagnes mystérieuses de Seignol où dorment les vieilles légendes que les pas égarés par quelque promeneur imprudent suffissent à éveiller pour nous conter la même éternelle chanson qui est questionnement de l’être, mise à l’épreuve du sujet, et cette transmutation inévitable d’une identité. Le loup arrache les chaînes de la fable et s’inscrit sur le chemin du promeneur solitaire comme l’actant d’un drame intime et universel, celui de l’homme et de sa prétention au dépassement, à cette altérité "incarnée".

Une histoire, entre Seignole et Stoker

On suit donc les pas d’un promeneur solitaire qui tel son célèbre homonyme célébré par la plume de Rousseau, voyage et expérimente un monde entièrement nouveau, celui des campagnes et des mythes primitifs, les forêts et leurs marécages, habits de boue et odeurs de feuilles broyées. Surpris par un brusque déchaînement des éléments, Raoul Follerand ira chercher refuge dans un vieux manoir sombre, perdu, cerné de deux tourelles sinistres. Rejeté par le gardien des lieux, il ira se réfugier dans la grange adjacente où il verra au petit matin le même cavalier à la chevelure de feu que celui qu’il avait entre-aperçu la nuit de l’orage. Ce cavalier se révèle être une troublante femme aux traits intemporels, comme arraché à quelque rêve. Bataillant avec le gardien qui l’a surpris il se verra "invité" in extremis par la châtelaine sans se rendre compte qu’en entrant dans ces lieux il verrait à jamais changer sa vie, et d’une manière qu’il n’aurait jamais pu soupçonner même dans ses délires les plus fous. C’est que de rentrer dans le domaine de Mortemare c’est pénétrer dans l’antre de l’ancienne race, c’est caresser celle du clan des poilus, qui d’initiatrice sexuelle à reine maudite des "premiers loups", se verra devenir la seconde chroniqueuse de cette histoire terrible et belle, cette histoire qui fait honneur à tous les folklores connus et est en même temps la preuve narrative hyperéaliste à la manière d’un Murnau (Nosferatu) de l’existence des ces adorateurs de la lune. La baronne de Mortemare racontera alors la terrible histoire du Manoir des Mortemare et de celle de Hagen, l’homme loup, l’homme sauvage et total qui court les soirs de lune la région par monts et vallées. De sa rencontre sensuelle d’avec ce capitaine de l’Empire au regard magnétique subjuguant toute volonté, celui du chasseur sauvage maître des loups, il en découlera sa malédiction. Etonnante, la facilité dont semble nanti Edouard Brasey pour conter les rapports qui vont s’établir entre le jeune errant, Raoul, et Clarimonde, cette créature immortelle aux charmes vénéneux. Du pur roman Gothique suscité par cette province de France étouffée par les effluves des vieux champignons géants et pourrissants, l’auteur nous fait passe au stade du récit érotique puissamment évoqué par une plume qui doit autant à Lautréamont qu’au Marquis de Sade, mais avec dans ses prémisses toutes les bienséances d’un Casanova soudain épris d’envolées Mystiques.

Un récit sur le passage, un monde monstre accroché au bord du monde, des personnages monstres acteurs d’un paysage décalé et un climat tourmenté, une oeuvre de peintre.

Raoul Follerand confirmera alors dans son récit le mystérieux mécanisme de transmutation qui est en train de s’emparer de tout son être. Mouvement irrésistible, crescendo qui mène à une nouvelle naissance, le récit double se fait témoignage de la lente ascension vers les hautes terres du chasseur. Amours troubles, intemporalité d’un récit planté en des lieux magnifiquement stratifiés par une prose fleurie et audacieuse dans ses descriptions oniriques, Les Loups de la pleine lune est également un dialogue intérieur entre le conteur et son histoire, une parole qui se fait visage, des mots qui s’érigent en constructions monstres autour de topos (Le Manoir et la nature) et de personnages monstres (la Baronne, Raoul, Hagen, Joseph le serviteur) ainsi que de toute une foule contaminée par la même entropie de genre. Arrachant ce Loir-et-Cher à la gangue historique normative pour en faire une sorte de protohistoire, à moins que ce ne soit une enclave étrange où les lois lourde du sens propres au réel seraient absentes ou déviées, Edouard Brasey nous brosse un topos fait "d’urbanités mortifères" et d’une géographie rongée par un mal ancien, maladive et "hémorragique".
A lire cette histoire terrible et belle, on pense à des lieux où, par quelque prodige d’une sur-nature sans nom, les créatures issues des peintures d’un Bruegel et d’un Jerôme Bosh se seraient réfugiées dans les sols spongieux de ce Loir-et-Cher pour, par leurs plaies béantes ouvertes par la trace de la faute biblique, irriguer un limon secret, le vieux sang fané qui se fait humus, mousse spongieuse et étranges choses putrides cachées. La plume sonore et le verbe doucement coloré d’Edouard Brasey nous emmènent dans des contrées obscures, là où même la lumière est sombre, mais dispensatrice d’un puissant symbolisme que n’aurait pas renié Dali ou Gustaves Moreau dans certaines de ces toiles idéaliste et symbolistes. Le récit de Clarimonde nous enfonce plus loin dans la légende et nous conte à sa manière le récit d’une conversion. Un peu à la manière des Lucy et Mina Harker du Dracula de Stoker, Brasey nous conte la lente et belle conversion de la mortelle pour l’immortel, l’homme total ayant tourné le dos au Dieu ou au réel tout simplement pour se confondre avec ce qui en fait un archétype de la "bête tapie au fond des bois", l’homme-Loup.

Une thématique du Loup-Garou aux confluents des couples Siegfried/Hagen et Abel/Caïn ou la parabole de l’être total et fatal, entre volonté de puissance et syndrome de répétition de la chute.

Ce qu’il y a de remarquable encore dans ce roman unique, dépouillé de superflu livresque au profit d’une véritable langue riche en vocabulaire, sonore et colorée, c’est bien cet arrière fond qui se montre à la fois comme une intelligente "dépiction" sur le thème de Faust ainsi qu’une réflexion profonde sur le dualisme qui sous tend finalement tout homme ayant assumé sa part des ténèbres afin de simuler une fois de plus la tentative d’Icare de l’apesanteur, du vol "théurgique" qui ramène finalement dos à dos, les plus noirs sorciers aux plus doctes des ascètes. Ainsi, le récit que fait Hagen relaie t-il le mythe germanique qui opposait en gros le semeur de lumière tueur de Dragon, Siegfried, au coureur des grands bois et tueur total, Hagen. Parallélisme des archétypes du meurtre symbolique, de la trahison, et de la punition divine, le récit d’Edouard Brasey ne prend pourtant un parti précis mais noue présente des existences croisées, avortées dans leur ascension par la rencontre fatale. Les récits rapportés dans le journal de Raoul Follerand sont autant de confessions sincères sur l’impossibilité à empêcher l’inéluctabilité du destin, et l’impossibilité de se sauver ainsi que de sauver les autres (les couples, Clarimonde/Raoul, Clarimonde/Jacques, Clarimonde/Hagen) . Mais au demeurant, un visage semble émerger au-dessus de cette fresque sur la confusion des sens et la perte, la dissolution. Clarimonde s’érige comme un tableau à part, une toile entre rouge sang de la passion meurtrière sexuelle et la pureté de cette blanche neige au pays du mal.
Le couple Germain, Hagen/Siegfried, fait écho au couple biblique, Abel/Caïn, dans cette relation de meurtrier/édificateur/volonté de puissance avec celle du sauveur/trahis/vengé, en un rapport fermé, le serpent se mordant la queue pour signifier la diagonale du fou qui est un peu la courbe fragile nous retenant entre prudence et tentation, acceptation et subversion. De fait, le récit de Brasey s’édifie non plus seulement sur le mode de la pure conjecture narrative ramenée au pur récit mêlant Gothique et Bauhaus dans une campagne qui se s’expose comme une iconographie botanique, "élementale" et picturale.
Si Edouard Brasey se démontre dans ce roman comme un fin auteur, c’est par la facilité qu’il a de pouvoir emprunter les pas de la mythique et magique campagne, cette magnifique entropie géographique propre à Seignolle, d’user avec justesse et force de l’hyperréalisme de moeurs significatif d’un Guy Endore (le Loup-Garou de Paris) ou d’un Erckmann/Chatrian (Hughe Le Loup) , ainsi que par la sensibilité ésotérique dont il est si génialement pourvu à insuffler dans le filigrane des feuillets constituant ce carnet intime de très intéressantes variations symbolistes sur la femme comme maîtresse d’oeuvre du conte, la femme comme icône sexuelle et fécondité secrète, les deux ne s’opposant plus comme le voudrait la tradition biblique misogyne. Il dresse de fait l’un des plus beaux portraits digne de figurer auprès de la cohorte masculine constituée par les Dracula, Lestat, Louis, Carmilla semblant ne plus être dès lors qu’un portrait de la coupable tentation. Clarimonde est en quelque sorte la revanche (ou plutôt une acceptation totale de son pouvoir taillé dans un monde fait pour/par les hommes contre la femme) d’une femme ayant accepté définitivement sa sur-nature et sa malédiction, faisant dès lors totalement corps avec son éternité "anonyme" et sa possible relégation au mythe de la femme "beste".
Quand au personnage saisissant de Hagen, il est un autre Aleister Crowley, une parabole sur le nazisme, une image de l’homme ayant pris au pied de la lettre les stances d’un Nietzsche pour en faire un matérialisme magique propre à devenir l’homme chasseur total, avec le pris à encourir..........
Retour au roman de genre, au roman noir, "Les Loups de la pleine Lune" est également une oeuvre puissamment symbolique marquée par la fatalité et une fausse culpabilité, une oeuvre chargée en images pleines de couleurs, de courbes, de senteurs, mais aussi de ces sonorités subtiles, presque sous-marines. L’eau en constitue l’un des éléments les plus fondamentaux, à la fois comme violence expiatoire (les orages qui fourragent avec violence cette campagne enclave de notre monde) mais également comme génitrice et puissant vecteur des "sexualités" naissantes et dormantes, des désirs troubles et autres subversions des sens et de la chaire mise à nue.
Roman sur les naufrages, récits sur les autres, ces différents du monde, ces "mêmes" dont nous faisons des monstres, "Les loups-Garous de la pleine lune" dépasse donc le roman de genre par ce particularisme de mettre à l’épreuve des singularités individuelles (les personnages ne semblent pas avoir vraiment de passé, on pense plutôt à des espèces de souvenirs d’humanité perdue, des relents d’anciennes vies jetées en cette campagne, elle-même fantôme d’une nature perdue) pour contribuer à une sorte de tableau de peintre paysagiste, symboliste, fantastique. Plus de ciel ni d’enfer, mais une contrée où les hauteurs et les profondeurs se seraient "abîmées", se fracassant au sol ou implosant de l’intérieur.
Monde hémorragique, ce Loir-et-Cher mythique est un palimpseste de nos paradis et de nos enfers, dont les désaccords de natures s’accordent en d’étranges liens qui font monde, culture et germination de ce qu’on pourrait nommer, en lisant cette prose abondante comme une semence, "prodige humain sur les cendres des illusions perdues et mondes inventées, avortés". Il ne peut exister meilleure vision cathartique d’un réel rendu à lui-même qu’il ne tient qu’à chacun de réinventer, entre prudence et subversion, l’écriture étant peut-être le meilleur moyen d’appréhender ce prodige sans trop se brûler les ailes..........
En un roman, Edouard Brasey, qui s’était plutôt engagé sur la voix des essais et autres études brillantes, se voit monter sur la plus haute marche du fantastique français. Son roman est tout simplement l’un des plus grand romans de ces vingt dernières années. Car, un peu comme Nicolas Jarry et France Richemond le font en ce moment en Fantasy (Sphynx étant probablement le plus grand récit de Fantasy écrit depuis longtemps se hissant au niveau des meilleures écrivains de Fantasy au monde) , Edouard Brasey, pour ne pas faire comme les écrivaillons copiant sur les autres, piquant leurs idées pour en faire des bouillons sans queue ni tête, fait preuve d’une véritable originalité dans une écriture éclatée et chatoyante, oscillant entre style décadent, grotesque, roman noir et conte sur les "sexualités interdites". La splendeur langagière de son style unique fait de lui ce qui justement différencie les grands écrivains des purs médiocres de l’écriture qui s’imaginent qu’en étant publiés sur les meilleurs supports peuvent à eux seuls remporter toutes les palmes. Ce livre est à reconnaître comme le meilleur roman fantastique jamais écrit. Il ne souffre pas de la comparaison avec ses homologues anglo-saxons et américains, et, de fait, mériterait non seulement des traductions, mais encore des adaptations cinéma ou à la télé. Qui sait, peut-être qu’un producteur assez sensé pourrait y trouver matière à engranger un véritable chef d’oeuvre filmique. mais les volontés vont-elles s’y retrouver dans un paysage culturel assez uniforme somme toute.
Après avoir lu ce récit, pourra-t-on penser en faveur d’une renaissance du fantastique français (une tentative déjà brillamment commencée avec les auteurs publiés par les éditions "Nuits d’Avril") ?????
Il est à dire que ce roman tout en en étant une véritable refonte du vieux fantastique campagnard français par la réactivation des archétypes primitifs, est également un inégalable exercice de style, et le portrait moderne d’une femme totalement assumée par une écriture de conteur et de peintre. On pourrait même penser en se régalant de cette prose fine à un pictural sonore édifié en une cathédrale de mots qu’un Fulcanelli n’aurait pu renier. Quand aux esquisses exquises illustrant ce manuscrit, ils sont de la main d’Alain Freytet, des tableaux de genre qui rendent parfaitement le climat d’un monde, enclave de notre monde, où le portraitiste se fait scribe des souvenirs maléfiques d’un familial qui s’est fait mythe, légende et croquis d’un ailleurs si loin, si proche. Ce sont de merveilleuses enluminures, noires comme les galaxies secrètes de nos animaux totems et autres chambres désaffectées, perdues, abandonnées, allumées par d’étranges lumières noires que portent étrangement chaque trait de l’artiste. D’un certain point de vue, Alain Freytet nous fait des portraits des inconnus illustres et maudits d’une histoire sordide mais anoblie par une prose délicate. Quand à la féminité dans ce récit, elle est enfin libre de ses propres forces incantatoires qui sont à la fois sexuelles et divines, bref qui s’affirment sur le même point que les vieilles gaudrioles du machisme masculin, ne serait-ce que par les positions sexuelles où Clarimonde redevient (enfin !) cette Diane assise sur ses mâles soumis que les "monothéismes" masculins lui avaient ôté par des siècles d’abrutissement et d’esclavage moral. Ni meilleurs, ni plus juste, Clarimonde se fait enfin femme entière et totale, sur le même pied que son mâle mythique trop longtemps dominant. Nous avons au final non pas un portrait purement féministe et militant, mais la reconnaissance d’une individualité par le recourt à cette sur-nature qui s’affirme tout au long du récit, jusqu’à l’embrasement.
Cela laisse rêveur quand aux prochains écrits de cet incroyable conteur qu’est Edouard Brasey, qui en un seul roman, vient de briser des siècles de frustrations narratives, un anathème renforcé par les dépréciations lancées sur le genre par des grands auteurs comme Zola. Comme quoi, on peut être un grand écrivain et être un parfait imbécile ignorant quand à juger d’un genre par trop volatile, un genre qui dérange parce que pas assez réel, convenable et consensuel. Or, qu’est-ce que le réel au final, quand on voit ce qu’il est capable d’édifier au nom de la raison d’état et de la race ou d’une quelconque religion s’arrogeant le droit de prendre en main la culture, les moeurs, la sexualité, ainsi que l’économie et la politique ? Cette littérature des bords est contour et vision kaleidoscopique, rupture et retour, jamais cession ou sécession avec la raison, cette sainteté élevée en totem par un intellectualisme (ce qui ne veut pas dire, loin de là, que les intellectuels français seraient des imposteurs, ils sont parmi les meilleurs au monde contrairement à ce qui est souvent dit, disons qu’ils ont oublié cet apport par un axiome dévié du platonisme, faussé par des siècles de monothéisme, une regrettable constante culturelle) qui nous a coûté cette force vive, cette substantifique moelle qui bâtie des cathédrales de questionnements multiples sur le monde, l’univers, le même et l’autre. Voilà le divorce, voilà l’erreur fondamentale qui est à la base de notre stérilité imaginaire, cette force qui engendre perpétuellement, ce laboratoire pour toute science ou métaphysique future qui permet non pas seulement de comprendre mais d’appréhender, d’expérimenter avant l’erreur pratique, avant de faire ces utopies trop pensées, pas assez rêvées et critiquées par la force narrative. C’est de cette erreur là que commence à sortir les genres de l’imaginaire en France, et ce sont des auteurs comme Brasey, Silhol, Jarry/Richemond, Marchika, Van Meerbeeck (pour son retour en soi, sa petite et belle révolution intimiste par la mise en action des archétypes en tant qu’acteurs omniscient de la fable) , Grimbert pour son sens du récit, et tant d’autres qui tentent de donner un sens à cette littérature toujours hésitante entre le pur loisir et de très intéressantes interrogations sur l’homme et sa raison créatrice, enfin libérée du primat monothéiste.
Avec ce premier roman Edouard Brasey se dévoile comme un véritable prodige du genre. Nous sommes impatients de lire d’autres expériences narrative "écoulées" de sa plume juste, que dis-je, ce pinceau de l’âme humaine et du naufrage des lieux communs, et dont le mélange constitue d’étranges, belles et terribles identités de lieux et de personnages qui se consument et se consomment, sans véritable satiété, sans l’attente d’autre salut que leur propre abolition devant le silence des siècles passant.........

Les loups de la pleine lune, Edouard Brasey, Le Prés Aux Clercs, illustrations intérieures par Alain Freytet, 268 pages, 15 €.





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