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  Sommaire - Livres -  G - L -  Les Orages de Jouvence-Le dernier Américain
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"Les Orages de Jouvence-Le dernier Américain"
Pierre Gévart/John Ames Mitchell

Editeur :
Eons Futurs
 

"Les Orages de Jouvence-Le dernier Américain"
Pierre Gévart/John Ames Mitchell



10/10

Etrange comme des habitudes éditoriales d’anciennes maisons d’éditions peuvent susciter des redites de nos jours, avec parfois de fort remarquables réussites comme cette innovation de la part des toutes jeunes éditions Eons basée sur le modèle des anciennes éditions Galaxie-bis. Au sommaire de ce recueil nous avons deux longues nouvelles. La première, signée par Pierre Gévart, est une merveille narrative pleine de sensibilité et de justesse. Elle nous conte l’histoire d’un enfant de douze ans, Bertie Dewoort, qui vit sur le monde de Jouvence, une planète aride et peut accueillante dont la surface est martelée par des orages soudains d’une rare violence et dont la surface se voit recouverte d’une étrange espèce de plantes dont les organismes renferment une vertu unique, celle de la jeunesse, une qualité qui a mobilisé toute l’attention des corporations humaines à la recherche de la concrétisation de leurs plus anciens rêves d’éternité. Or, cette espèce de plante a cela de redoutable qu’elle est quasi vivante et avide d’une substance comme le potassium présent dans le corps humain. Les déplacements doivent être prudents, d’autant plus que les déchaînements orageux ne sont pas pour faciliter la vie de ceux qui se trouveraient pris sous leur déluge d’eau. Or, devant aller au centre commercial afin d’acheter des médicaments pour sa soeur malade, Bertie Dewoort se voit au retour perdu en pleine campagne (sans le salvateur radiocompas) , assailli par les marées végétales, et, comble du malheur, un orage éclate. Première rencontre, premier contact, c’est une race de Crustacés évolués, les parasites locaux, qui fera office d’indigènes de la rencontre, dans cet autre far-west, un "No man’s land". Bertie ne savait pas qu’il connaissait là une rencontre unique qui en fera quelque part un traître au regard de sa propre espèce. Gagné à une cause, enlevé et jeté les pieds et poings liés dans la végétation hostile, Bertie sera sauvé une seconde fois et promis à un destin singulier, le début d’un nouveau combat qui sera en même temps la répétition du même combat éternel de son espèce, celui du droit des peuples à exister et à perdurer.........

Mais la Science-fiction a cela d’extraordinaire qui est de pouvoir dresser des "chants de possibles", ces espaces qui font bifurquer la narration pour, par les moyens de la rencontre, mettre en scène les nouveaux miracles du langage.

Ainsi, arrivé à ce moment ultime où on pense que tout est perdu, viendra cet "autre" si différent mais si semblable, un "autre" bien particulier cependant, puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’un spécimen d’une espèce qu’on pensait dépourvue de toute intelligence en ce monde, à savoir un cloporte, ou plutôt un Juventia, terme plus adapté. Cette espèce, souvent considérée comme un parasite par les hommes était en fait le premier habitant de cette planète où elle se nourrit principalement des plantes. Le regard de Bertie change et en même temps les barrières linguistiques se modifient. Pierre Gévart fait passer de façon très subtile, avec des mots simples mais bien employés, une scène fort délicate pour qui est plus habitué à des confrontations plus brutales ou guerrières. C’est d’un lien tout particulier que l’auteur traite, un lien qui fait appel à la pensée. C’est cette "transcommunication" mentale qui établira le lien définitif et inévitable, une télépathie qui mettra en branle deux mondes, avec tous les douloureux bouleversements que cela implique.........

Une Science-fiction intimiste aux confluents de John Wyndham, Card et Sturgeon ?

Avec cette courte nouvelle, Pierre Gévart parvient à faire passer l’instant d’une rencontre, cet instant fatidique où, au bord du gouffre, vient cette "main amie" dont on devine, par on ne sait quelle torsion du destin (ete de l’écriture), qu’elle sera le moment définitif où une vie va changer, où deux existences vont partager un même regard, établir un rapport. Mais bien plus, lorsqu’il s’agit d’une rencontre extraterrestre, ce moment se cristallise par delà les autres différences, celles relevant non seulement du langage mais également de la biologie, de la psyché même. Bertie est secouru et pénètre de fait dans un nouvel espace d’échanges où cet "autre", qui n’est en apparence qu’un vulgaire crustacé de grande taille, mais qui va devenir si semblable au jeune Bertie, si commun dans ses besoins, que la barrière physique s’efface vite devant un dialogue infini parce que non basé sur la parole. Ainsi, l’échange produira un changement irréversible et l’engendrement d’un nouvel humanisme. Il est assez stupéfient de constater que dans la même veine que le Chocky de Wyndham, pour cette apparente incompréhension des hommes pour ce contact, cet embrasement de deux êtres qui se rencontrent et se comprennent, Pierre Gévart nous brode la genèse d’une nouvelle communauté. De fait, ces Skizzle seront un peu ces Indiens ou ces Algériens, ces peuples interdits d’être sur le sol qui les avaient vu naître, ce sol dont ils étaient les habitants millénaires. Pas de révolte chez les Skizzle car ils apparaissent définitivement comme des victimes de l’envahisseur colon terrien, mais une demande, cette appel "Lévinasien" qui fait violence parce que demande de légitimation, demande au droit à être entièrement et respecté pour cet attribut. Ce récit nous parle de légitimité, de reconnaissance, d’amitié, de cette fragile tentative du passage de l’isolationnisme grégaire à la communauté de sentiments.
Avec la belle audace et ce courage d’adolescent, le jeune Bertie tentera d’avertir ses semblables, de dresser lui-même des ponts, et ainsi de sauver cette race de Skizzle dont "la mère" lui a confié la douleur et sa délicate mission. Au péril de sa vie, le jeune Bertie tentera le tout pour le tout mais la vindicte de ses semblables, jamais tellement embarrassés de concessions, passera outre, comme le veut la coutume d’une culture par trop assise sur ses certitudes de conquérante.

Récit sur l’échange, sur la rencontre, sur cette belle correspondance entre espèces, "Les Orages de Jouvence" constitue également une belle illustration du thème des pouvoirs para-mentaux propres aux récits de Sturgeon sur l’enfance en mutation, l’enfance exclue. Ainsi, en rencontrant cet extraterrestre, Bertie connaîtra également un changement, une transformation, cette belle mutation qui fera de lui définitivement un jalon, le "conatus" essentiel de deux races totalement différentes comme espèces, mais absolument semblables comme pensées. Pierre Gévart nous donne une race extraterrestre non plus fondée sur une pensée collective et unique, mais sur des individualité capables de transmettre des sentiments. Certes, leur société est organisée un peu sur le mode des termites, autour d’une reine mère, mais leur attitude ne démontre en rien une fonction de troupeau. Bien au contraire, leur société fait montre d’une organisation égalitaire et fraternelle qui en apprendrait beaucoup à certains sur cette démocratie que les hommes saccagent par leurs antagonismes et particularismes, ces enclaves tribales qui nous ramènent souvent à des bestiaux incapables de fonder une vraie communauté du "Partage". Bertie est amené à un destin, la fin étant plus un appel, une promesse, plutôt qu’un renoncement, plutôt qu’une séparation brutale (Wyndham) , et son devenir de mutant télépathe (correspondance romanesque avec Sturgeon) , il l’accomplira. Bertie assume sa différence et peut-être au-delà son devenir messianique un peu à la manière du jeune Ender de Card. Cependant, ce messianisme s’illustre plus sur le mode rationnel, on ne voit pas (encore ?) de références religieuses, de repères narratifs comme ceux magnifiquement insinués (mais jamais imposés) par le grand Card. Non, il semblerait que Pierre Gévart (et c’est là un autre aspect positif de sa prose novatrice et parfaitement équilibrée entre l’émotif et le rationnel) nous expose un faux messianisme qui est en fait une mission, un devoir établit sur un mode discursif que la (fausse ?) fin lance comme une conviction du politique.

Naissance d’un discours, "prolégomènes" à une politique future, Bertie, telle la chrysalide, assume cette mission confiée par la reine des Juventia et s’en fait le phare, la destination future. Récit sur la révolte, histoire d’un contact, rapport sur une simple mutation, "Les Orages de Jouvence" constitue la symbiose parfaite du récit humaniste, du manifeste politique et de cette subtile rencontre qui se fait altérité. Jamais ailleurs nous avait été mis aussi bien en relief l’incroyable relativité du terme "être humain" dans un récit où les hommes font plutôt office de conglomérats "militaro-industriels" sans aucun scrupules. Métaphore sur "l’Etat providence" ou plutôt "l’Etat de bien", ce texte marque la volonté d’une nouvelle organisation d’un politique qui, ayant probablement échoué dans sa propre humanité, transpose les mêmes schémas de l’exclusion dans les conquêtes futures de l’espace, sur d’autres planètes, répétant de fait le massacre des Indiens, l’amnésie sur la guerre d’Algérie ou la coupable ignorance sur la naissance et les terribles conséquences de la lutte des classes. La mise en scène sur le mode du journal intime que l’enfant rédige au grès de ses aventures, renforce la portée symbolique de cette histoire qui touche juste au coeur tout en donnant matière à raisonner sur les imbrications référentielles sur l’exclusion (les sous-catégories humaines, les sous races, les sous pouvoirs) . Paradigme sur le changement du rapport à l’autre ou bien fatalisme sur la reconduction des modèles socio-économiques et raciaux qui nous empêchent tant de muter vers une communauté de sentiment, communauté seule à même de nous sauver des clivages et comportements tribaux ? La mise en question demeure et garde tout son actualité, celle de cet ancien monde dont on ne parvient pas à sortir.......... Un chef-d’oeuvre non pas issu de la nouvelle science-fiction française, mais plutôt d’une Science-fiction plus intimiste qui ne souffre plus du comparatif avec ses consoeurs d’ici et d’ailleurs.

La nouvelle "Le dernier américain" par John Ames Mitchell, le fondateur du magazine "Life", est un autre bijou sorti de l’anonymat. Remercions pour cela les chercheurs de chefs-d’oeuvres oubliés que sont Paul Alary (traduction) et Jean-Luc Blary (dénicheur devant l’éternel).

A une époque indéterminée mais quelques mille ans après la chute de l’empire Mehrikan, une expédition, commandée par le Prince Khan-Li- de Dimph-Yoo-Vhur et amiral de la Marine Persane de son état, touche la terre mythique d’où a disparu un grand peuple. Après avoir déambulé dans un "Nhu-Yok" dévasté mais encore habité par les fantômes de son urbanité grandiose passée et de ses habitants indolents morts à petit feu à cause du climat et de leur mode de vie, l’équipée de ce Marco polo venu de Perse finira par joindre la mythique Wash-yn-thun par un fleuve intérieur. En découvrant ce nouveau monde ils revivront en même temps l’histoire grandiloquente mais futile d’un peuple qui su incarner à la fois la laideur de la civilisation du profit et en même temps la civilisation où les individualistes mis en communauté fomentent les plus belles résistances (l’affrontement contre la flotte européenne supérieur en nombre) face aux ennemis contredisant leur hégémonie commerciale. Au bout de cette étrange équipée ils feront, tel Colomb, l’expérience belle et terrible de la rencontre et du choc des civilisations qui se réduit souvent à l’audace d’un baiser. Le miracle n’opère pas, et en guise de rencontre le lecteur découvrira l’éternel retour (et victoire ? ) du barbare sur la civilisation qui toujours triomphe. Le Conan de la culture américaine s’en prend au Colomb Musulman pour reconduire ce même acte du sacrilège puis du meurtre, inévitable et corrosif. Ainsi, la mort installe définitivement ces Mehrikan dans le registre de l’histoire et du mythe.

Une parabole sur le consumérisme

Etrange récit que celui de Mitchell, étrange autant que prophétique que cette évocation douce-amère sur ces impossibles culturels qui ne parviennent pas à communiquer, à fusionner, tellement les antagonismes et intérêts ne s’y retrouvent pas. Cette nouvelle est une sorte de réquisitoire mais en même temps une justification de la civilisation américaine. Au grès des "rencontres" faites entre cet Empire Musulman régnant sur le nouveau monde et cet ancien Empire effondré sur ses propres bases et en même temps ramené à la stricte égalité biologique par les caprices impérieux du climat, on reste subjugué par la beauté de la narration toute en nuances sur les plus et les moins d’un monde qui a excellé à rayonner comme dominant sur les autres continents, mais qui, par quelques constantes culturelles et une fierté cosmopolite, fait montre d’une remarquable sociabilité. Ainsi, la rencontre avec ces descendants du peuple Mehrikan, ne sera nullement sur le même mode que celui qui fit rencontrer Colomb avec des Indien pétris dans une nature faisant office de vraie cathédrale. On reste confus sur les termes à allouer à ces survivants. Barbares d’une civilisation basée sur l’individualité, le profit et les triomphes "éjaculatoires" (un barbarisme nécessaire) au mépris des individualités et donc l’élimination des faibles, ou bien civilisation barbare si parfaitement organisée au final autour d’un Dieu de la consommation que leur chute bien qu’inévitable n’en est pas moins honorable ? On reste sur l’expectative quand à l’attitude à adopter. Par-delà les méfaits dénoncés par ces bons Perses, on devine une confusion des genres et cet art indémodable du consumérisme radical qui est de juger une civilisation à l’aune des intérêts économiques voir sociaux de la civilisation de consommation dominante. Dès lors, cet "ubu sauvé des eaux", ce Mehrikan et sa famille apparaîtront plus comme des exemplaires d’une civilisation digne d’estime plutôt que comme de simples sauvages sans manières. A la prétention des Perses, le dénommé "Jon" oppose un sourire insolent qui transperce les ravages du climat et le déclin de sa civilisation. Et l’affrontement qui n’est qu’une fois de plus un malentendu se soldera par une geste barbare où ce Mehrikan chétif se révélera être un redoutable guerrier, plus connaisseur en combat que le vernis encore frais qui recouvre la docte escorte du prince Perse. Le choc des cultures résulterait-il d’une inévitable incompréhension, renvoyant aux sempiternelles discussion sur la forme et le fond, qui de la littérature aux civilisation constitue un miroir de l’ineffable dualité entre regard et interprétation ? La civilisation américaine serait fondée sur une industrialisation du mal, voir un Dieu du mal, suppose cet ingénu Perse. En cela, il faudra étendre cette définition à une anthropologie sociale où ce sont les modèles qui reproduisent toujours les mêmes constantes, à savoir révélation/vérité/application, des normes du "croire"qui ne mènent somme toute qu’à la différenciation et l’indétermination. La civilisation américaine a procédé en une volition d’un Dieu fondé sur l’économique, et c’est peut-être en cela qu’elle peut constituer une nouvelle forme de totalitarisme, où tout doit s’aligner sur le pouvoir, la consommation de masse, les échanges et les profits. Une civilisation qui produit mais élimine sur le mode élitiste et utilitariste. Cependant, cette autre civilisation, cette Perse alternative (?) est elle pour autant une bien meilleure optique sur le vouloir vivre ensemble ????
La fin semble nous en dissuader, les deux systèmes "d’Etat de Bien" se neutralisant l’une, l’autre. Un récit remarquable sur la différence mais également une vision concertée sur la relativité de nos jugements quand à l’idéal social.

Saluons donc les éditions Eons pour ces deux nouvelles qui soulèvent bien plus de réflexions que des tonnes d’études érudites (ce qui ne veut pas dire inutiles) parce qu’elles ont le panache de les soulever par le médium de l’imaginaire, invalidant une bonne fois pour toute l’anathème intellectuel rejetant le genre dans le superflu, le loisir ou l’éparpillement. Une lecture rapide et agréable puisée au coeur des conflits de nos civilisations et en plus petit au coeur de notre irrémédiable besoin d’une société égale pour tous et pour chacun.

Les Orages de Jouvence, Pierre Gévart, Le dernier Américain, John Ames Mitchell, Eons Futurs, 100 pages, 8.90 €.





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