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"Le Vol des Harpies-Les Venchanteuses"
Megan Lindholm

Editeur :
Mnémos
 

"Le Vol des Harpies-Les Venchanteuses"
Megan Lindholm



10/10
10/10

Megan Lindholm/Robin Hobb est à la tête d’une oeuvre littéraire double, schizophrénie romanesque féconde, qui permet depuis peu de jauger des méandres narratives d’un auteur passionnant et attendrissant par sa démarche généreuse envers ses lecteurs, cette "donation" de son art double pour combler tous les publics.
Le Vol des Harpies et Les Venchanteuses appartiennent à cette autre écriture plus intimiste, moins embarquées dans de longues pérégrinations lyriques, pour favoriser les rapports plus concis par une intrigue somme toute plus limitée mais qui ouvre à des histoires plus plurielles, moins consensuelles et plus assumées littérairement.

Le Vol des Harpies est le premier volet de son cycle des "Winsingers" et déploie son intrigue autour de quelques personnages et de leurs débattements dans un monde hostile. La vengeance, patiente mais acharnée, entière et concertée, le livre s’ouvre sur l’ascension d’une falaise. La narration en est lapidaire, minimale dans ses moyens mais puissante dans ses effets. Une femme grimpe, au bord de l’épuisement, la falaise abrupte. En haut demeure le nid des harpies qui ont massacré son mari bien aimé, Sven, et ses enfants, Rissa et lars, dévorés comme de vulgaires animaux de proie. La vengeance en tête, peur au ventre mais courage aux poings, elle va exercer la pire des expéditions et s’attirer de fait le courroux d’une espèce millénaire de prédateurs. En quelques pages, Megan Lindholm va nous brosser tout un univers, par de petites touches, subtiles, sans grandes envolées narratives, juste ce qu’il faut pour rendre son histoire réaliste. Entre l’ascension et la chute finale aux prises avec une Harpie, l’auteur nous donne un portrait parfait et touchant de femme, une femme capable de haine, apte au meurtre malgré sa retenue féminine, et courageuse, malgré la force des adversaires. Ces quelques pages suffisent amplement pour donner le ton à une histoire se déroulant dans ce qui pourrait être un moyen-âge alternatif, en une nature où des créatures issues de la mythologie suivent une vie à la manière des populations humaines. Ki est une Romni, et la délicatesse avec laquelle Megan Lindholm la met en scène, montre combien elle sait aimer ses personnages. Ki peut s’apparenter à une représentante du peuple tzigane, adoratrice désabusée de la lune et des constellations silencieuses qui éclairent le miracle qui est de survivre sous leur couleur discrète. Avec son chariot, ses chevaux qui se nomment respectivement Sigurd et Sigmund, Ki est un nouveau personnage de la High-Fantasy, mais d’un genre de fantasy plus intimiste, l’épopée individuelle prenant le pas sur les grandes gestes collectives. Cette tzigane d’un monde alternatif est remarquable de sensibilité, vraie surtout, ce qui est parfois difficile dans un genre souvent noyé dans le lyrisme et la sur-nature. La mère solitaire deviendra vagabonde sans foyer, sans espoir, et finira lors d’une halte par s’engager en échange d’une somme d’argent importante, à convoyer un colis par delà un col impraticable. Mais sa brusque confrontation avec la mort en a fait une guerrière éprouvée ayant vaincu un peu vite sa peur. Elle ira donc affronter une fois de plus les éléments et les obstacles géographiques (souvent considérés dans ce récit comme autant d’épreuves symboliques) qui offriront leurs périls à son âme désormais insensible et sans amour. Elle croisera la route d’un certain Vandien, qui, miracle de la rencontre, deviendra un compagnon d’aventures et bientôt un autre compagnon pour son coeur meurtri. Voyage au bout de l’enfer, traqués par le peuple des Harpies, Ki et Vandien iront jusqu’au bout du périple et jusqu’au bout d’eux-même. Haftor, Kurt, Cora, les rencontres vont se succéder sur le chemin de ki, et toujours ce sentiment qu’il faut fuir dans un monde où les harpies forment une caste toute puissante et privilégiée, dont la vindicte contre Ki peut commander à n’importe quel homme de racheter par le sang la vengeance exercée contre une famille de leur espèce, quelle qu’en puisse être les raisons. Tendresse des rapports humains, le deuil et ses blessures, l’amour, la compassion, et bien plus, l’échange timide imprimé comme sur une pellicule, il semblerait que le double de l’auteur se mette à convier les lecteurs à un autre voyage, celui des tréfonds de l’âme humaine et ses incroyables ressources à aimer.

Les Venchanteuses nous entraîne dans une seconde aventure pleine de bruits et de fureur. La thématique s’est dans ce second volume recentrée sur la chasse au trésor qu’un jour ce fou de Vandien, le balafré, s’est mis en tête de découvrir au coeur d’une mer démontée. Ki tente de porter secours à son amoureux et engendrera un mal encore plus terrible. Le fléau des Venchanteuses va se répandre sur le chemin des deux aventuriers chercheurs de trésor. Ce culte a pouvoir sur les éléments ainsi que celui de porter chance ou de jeter le mauvais oeil sur quiconque. L’engagement consenti par Ki n’est pas sans conséquences. Pour son acte elle devra allégeance à un sorcier des plus douteux éprouvant pour elle quelques attirances. Au moyen de divers stratagèmes il se servira de Ki pour assurer sa guerre contre les Venchanteuses. Autant dire qu’une fois de plus, le couple est plutôt mal engagé sur la route du bonheur, comme tout couple dans un récit de Fantasy. Contrairement à ce que voudrait la bonne vieille redite du "on reprend les même et on recommence la même chose" le second volet de cette tétralogie est aussi originale que le premier. Là où Lindholm semble exaspérante pour certains c’est dans l’économie qu’elle fait d’approfondir son monde pourtant plein de promesses quand à ce qu’il peut renfermer en guise de géographie, d’histoires, d’intrigues parallèles, de cultes, de légendes et autres possibles narratifs. A cela elle préfère des intrigues tournants autour des périples de ses deux héros, comme si tout devait être senti par eux, éprouvé et dépassé pour faire partie de l’histoire. Mais reconnaissons le, c’est dans cette économie des moyens au profit de cette richesse des rapports que se situe toute l’excellence de son écriture riche en sentiments. Pourtant, et c’est là le paradoxe, le théâtre des aventures de ki et vandien est riche en descriptions, l’auteur étant pointilleuse sur les détails, les couleurs, les paysages. Mais elle s’arrête là pour préférer suivre les aventures à deux ou péripéties individuelles de ses deux héros, que ce soit contre les harpies, sous la domination d’un Sorcier puissant ou aidés dans leurs quêtes par les puissances élémentaires des Venchanteuses. Haletant, parfois emprunt d’un humour piquant, ce cycle secondaire, mais de qualité, est une pierre de plus à ajouter à l’édifice romanesque de Megan Lindholm, excellente, même dans dans ses romans de débutante préférables à ces grosses sagas prétentieuses. Au final, cela nous donne un cycle qui peut-être lu à la fois pour les adolescents et pour les adultes nostalgiques d’histoires plus intimiste et moins ronflantes........

Le Vol des Harpies, Les Venchanteuses, Megan Lindholm, traduit de l’américain par Xavier Spinat et Guillaume le Pennec, 283 et 342 pages, Mnémos, 19 € et 20 €.





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