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  Sommaire - Livres -  M - R -  Les Gardiens d’Aleph-Deux
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"Les Gardiens d’Aleph-Deux"
Colin Marchika

Editeur :
Mnémos
 

"Les Gardiens d’Aleph-Deux"
Colin Marchika



10/10

Colin Marchika est un prodige, un miracle pour la Science-Fiction française. Comment cet auteur, surtout remarqué dans un registre plus Fantasy, a-t-il pu se lancer dans pareille fresque ??
Mystère du roman, narration anamorphose qui peut par sa forme altérée se couler dans les genres à volonté, sans obstacle majeure ?

A lire ce roman, qui bat en brèche toutes nos malheureuses tentatives passées pour fonder une école de SF française plus stable sur ses bases, il semblerait qu’on puisse avoir fait un bond gigantesque en avant. Basé sur une nouvelle, "Aux portes d’Aleph-Deux" issue du recueil "Les poubelles du Walhalla", ce roman, qui peut se définir comme un fix-up autour d’un ou plusieurs personnages clefs et d’un même univers commun, peut se lire comme un poème mis sous équation ou une équation poétisée par les rimes d’un Yeats, d’un Blake ou d’un Keats.

L’histoire met en scène deux frères (les frères Hendricks) aussi contraires que complémentaires. L’un est un mathématicien de génie, l’autre un extravagant mais à l’intuition qui frôle le magique. Mais c’est en alliant ce couple antinomique aux Chinois Daxiangs qui seul permettra d’évincer toute appropriation des corporations sur la révolution qui se prépare avec l’espace parallèle "Aleph-un" qui va faire voler en éclats la vitesse de la lumière. L’académie Tsiolkovski aura en charge de collecter les recherches, peu importe les sacrifices, les accidents, les erreurs, tributs inévitables offert au Dieu "progrès". Or, le fait est que l’esprit humain ne parvient pas à supporter les nouvelles caractéristiques du voyages spatial aussi révolutionnaire soit-il. Les astronautes craquent, succombent à la folie ou s’en sortent à jamais transformés. Parfois même, les vaisseaux ne reviennent jamais. La réapparition soudaine dans le ciel martien du vaisseau de Howard revenu de la zone Aleph-Deux va provoquer un événement sans précédant dans l’histoire humaine. Howard va apparaître comme un nouvel homme, une nouvelle espèce débarrassée des scories d’une humanité fragile, un homme doté de pouvoirs dépassant toutes les normes cognitives. Une nouvelle odyssée s’offre à l’espèce humaine mais dont les étapes vont s’avérer bien plus difficiles et douloureuses que les premiers balbutiements du vol humain jadis sur terre. Cette nouvelle "Etoffe des Héros" devra éprouver non plus le mur de quelque vitesse supra luminique mais également le mur de la réalité. Ce qui ne sera pas sans causer de nouveaux drames.

Certes, le style employé, ce "fix-up" arboré, n’est pas sans faire écho au style de Corwainer Smith dans ses "Seigneurs de l’Instrumentalité". Style minimal, soigneusement découpé, équilibré dans ses moyens et ses effets. C’est que les particularismes individuels touchent à l’universel. Alors, comment ne pas comparer les Cyborgs de Marchika au Sous-Peuple de Smith ? Là où Marchika surpasse et innove c’est dans cette "incarnation" des personnages, cet hyper descriptif qui imprime "l’être-là" des héros dans l’esprit des lecteurs. Marchika parvient à réaliser un prodige là où beaucoup d’auteurs échouent : faire en sorte que les lecteurs, au sortir de leur lecture, se souviennent et emportent avec eux la trace de ces personnages, comme tout bon Clarck, Asimov, Smith ou Herbert. Et ce prodige, il le réalise, non pas en imitant les maîtres ou en piquant les idées des autres comme tout bon tâcheron qui se respecte, mais plutôt en y diffusant son propre pathos, sa sensibilité, ses affects, qu’il dillue dans une intrigue ralliant politique et science en un accord parfait. En cela, toutes les équations différentielles qui parsèment le roman devront être lues comme le lien poétique reliant les esprits au monde et à ses prodiges scientifiques. Ce roman magnifique aurait pu être publié chez Robert Laffont et il ne démériterait pas d’être comparé aux américains. Seul défaut demeurant (mais en est-ce un ? ) celui de l’incapacité à faire de cette totale réussite une suite et pourquoi pas une fresque qui pourrait être un peu notre grande saga à nous. On lui pardonnera ce crime bien culturel et on patientera en attendant sous le porche de l’éternité qu’il nous donne de nouveau un kaleidoscope dont chaque prisme est le miroitement d’une particularité de l’universel et chaque face une image poético-mathématique de nos efforts pour nous faire pousser enfin ces ailes de la renommée si chères à Icare, et ainsi nous arracher à notre triste pesanteur. Faire d’une équation la légende de notre futur proche..........

Les Gardiens d’Aleph-Deux, Colin Marchika, couverture de Manchu, 377 pages, Mnémos, 19 €.





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