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"Faucon de mai"
Gillian Bradshaw

Editeur :
Nestiveqnen
 

"Faucon de mai"
Gillian Bradshaw



Faucon de Mai
Gilian Bradshaw
Nestiveqnen
10/10

La pléthore des récits tournant autour des mythes Arthuriens aurait pu dissuader les éditeurs de poursuivre le long du même sentier maintes et maintes fois arpenté par des plumes plus ou moins heureuses. Mais Nestiveqnen, dont on peut saluer l’originalité des publications, s’est fait un devoir de traduire un roman (datant de 1982 mais qui conserve toujours la même qualité) qui, tout en relevant du genre, s’inscrit résolument à contre courant de la tradition souvent célébrée. L’originalité de ce récit est de s’être consacré entièrement à un autre personnage légendaire des mythes Arthuriens, à savoir Messire Gauvain.

Ainsi, loin du Roi Arthur et du Lancelot inventé par le romantisme français, ce Gwalchmay, qui est une variable gaélique, s’est vu soudain aguiché du surnom de "Faucon de Mai" . Qui est donc ce Gauvain, parfois grimé en guerrier courageux tombant vaillamment sous les coups de l’ennemi, parfois esquissé comme un personnage plutôt renfrogné et grincheux, hurlant et bourru ?

"Faucon de mai" nous en donne une image bien plus plaisante, bien plus originale. Revenant à l’enfance du personnage, ce récit à l’écriture fine et bien rythmée, nous montre, un peu comme l’a fait chez Pygmalion Nancy McKenzie avec son "prince du Graal" centré sur le personnage de Galaad, fls de Lancelot, un Gauvain encore tout jeune, fils de la sorcière Morgane et frère d’Agravain le guerrier.

Bradshaw nous dresse ainsi le portrait tout en demi-tiente de cet enfant alors dans ces souffrances juvéniles que nous avons tous connu à divers degrés. Il est le meilleur cavalier des îles d’Orkneys, épéiste et maniant la lance. Mais, convaincu de ne pas être comme son frère un grand guerrier, désespéré de ne pas satisfaire son père quand à son véritable devenir, il rejoindra un temps sa mère Morgane et de fait les noires et anciennes magies de la terre. Cependant, et le roman de Bradshaw est remarquable à ce niveau, la magie dans cette ère Arthurienne est entièrement féminine, elle appartient au culte de la mère et Merlin et sa magie ne sont pas de cette autre histoire. Touché au coeur et en son âme par cette magie trop noire, Gauvain quitte Morgane et fuit ce monde trouble en pleine nuit de Samahain, devant l’horreur d’un sacrifice terrible au culte de la sorcière. Fuyant sortilèges et sacrifices de sang, Gauvain trouvera refuge dans une crique cachée où il découvrira un navire magique qui en une nuit le fera voyager trois longues années vers une île céleste et bienheureuse. De son voyage poétique et magique Gauvain gagnera de la main même du Dieu Lugh l’épée magique et sacrée Caledwlch.

D’anciennes magies prendront alors en main sa destinée et il se verra emporté en terre de Grande Bretagne. Là bas, il sera capturé par les terribles Saxons, rencontrera un cheval aux dons surnaturels qui le mènera vers sa destination finale : le cercle du Roi Arthur dont fait partie son frère Agravain. De fil en aiguilles, Gauvain finira par découvrir sa véritable identité dans ce monde sauvage encore vierge de tout christianisme, sa fonction de guerrier et son inscription dans une légende qu’il ne connaît pas encore.

Le parti pris de Bradshaw pour axer ce récit sur le personnage de Gauvain est des plus original et, de plus, appuyer quelque peu la thématique sur une trame magique frôlant le pur récit de fantasy est une autre qualité à rajouter à ce roman unique. Le fait de ne voir le Roi Arthur qu’au deux tiers du roman ne porte en rien préjudice à la facture "Arthurienne" de l’intrigue et à la célèbre Mort du Roi Arthur que l’on commence à trop connaître. Bradshaw parvient dans ce court récit à allier réalisme historique (mais en ce qui concerne le mythe Arthurien c’est une pure gageure) et un lyrisme magique incarné par des objets (glaive) ou des animaux (le cheval) qui tous offrent une dynamique qui renouvelle positivement l’histoire essoufflée par les répétitions sempiternelles et par trop chrétiennes des récits passés. Exit merlin, l’auteur y préférera un Taliesin plus conventionnel et moins révolutionnaire, choisissant de rendre hommage à Morgane en réitérant à merveille une féminité sauvage, légendaire et primaire. Les réflexions de Gauvain sur la religion, la nature du bien et du mal et leur mise en rapport avec son moi intérieur très sombre, sont de remarquables parenthèses et des correspondances avec une certaine modernité quand à ce moi qui se révèle souvent être la part des ténèbres que les religions tentent de domestiquer. Enfin, l’autre attrait de ce récit est de pouvoir se lire individuellement tout en faisant partie d’une trilogie des plus remarquable. Il existe deux suites à ce récit, "Le Royaume de l’été" et "A l’ombre de l’hiver", deux superbes prolongements à ce Lais Arthurien atypique, magique et sauvage, dont les régions pourraient parfaitement voisiner avec celles de Viviane Moore (Par le feu, Par la Vague chez Le Masque) ou les contes plus obscurs du Mabinogion, dont la plus belle version demeure celle de l’immense Evangeline Walton. On attend toujours en France la traduction de cette grande dame qui a procédé à une remarquable réécriture du cycle du Mabinogion. "Faucon de Mai" est à conseiller pour ceux qui seraient désireux de sortir du conventionnalisme des récits Arthuriens. Une remarquable écriture qui plonge dans une espèce d’archaïsme Arthurien mais dans un style pur et marqué par des considérations sur le mal et sa fatale dualité.

Emmanuel Collot

Faucon de Mai, Gillian Bradshaw, Nestiveqnen. septembre 2004.





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