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  Sommaire - Livres -  S - Z -  Conan de Venarium
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"Conan de Venarium"
Harry Turtledove

Editeur :
TOR Fantasy
 

"Conan de Venarium"
Harry Turtledove



Conan de Venarium
Harry Turtledove
Tor Fantasy
8/10

Sorti en 2003, ce "one shot" rédigé par un spécialiste de l’histoire alternative (Le cycle de Wolrdwar, Colonisation et autres histoires revisitées) , Conan de Venarium a partagé les fans lors de sa sortie, si bien qu’on ne su très bien si on devait en faire l’éloge ou au contraire le descendre en torche, vu la vision que donnait l’auteur de la jeunesse de Conan pour le moins contrastée.

Dans ce récit, Turtledove nous établit une chronique très précise du Cimmerien alors encore dans sa douzième année. Demeurant en un hameau isolé de sa Cimmerie natale, Conan vit une existence partagée entre les travaux à la forge de son père et sa mère malade souffrant de tuberculose. On découvre alors au grès des lignes un certain visage du monde du Cimmerien amené par la plume de Turtledove avec un certain talent. Du difficile apprentissage de la vie par un père au caractère fort aux premiers soubresauts amoureux vis à vis de la jeune et jolie fille du Tisserand, on découvre un Conan pas encore marqué par le sceau fataliste de l’existence, un adolescent un peu comme ceux de son époque (?) . Puis la guerre éclate avec son cortège d’infamies. Le grand Empire d’Aquilonie envahit la Cimmérie, répandant ses flots de guerriers sauvages et destructeurs en un pays encore prospère. Conan ne peut combattre car considéré comme trop jeune par ses pairs et ce malgré sa force herculéenne pour son âge. Or, les défenses Cimmerienne sont rompues et l’envahisseur Aquilonien rentre dans le pays, annexant toutes les terres, confisquant les biens. Des garnisons s’établissent et bientôt c’est l’exode forcé pour les fermiers Cimmériens face aux colons arrogants. Le sang des guerriers Cimmeriens boue mais ils se doivent de se retenir face aux menaces de représailles promises pour chaque forfaits perpétué contre l’empire d’Aquilonie. Poussant un peu plus loin l’infamie, les Aquiloniens rétablissent la règle de La Prima Note et font des filles de Cimmerie des conquêtes potentielles qui leur appartiennent. Puis, un beau jour, dans le modeste village de Conan, c’est cette même fille chère au coeur de Conan qui devra subir les assauts d’un Commandant de garnison qui a jeté son dévolu sur sa beauté encore vierge des faveurs des hommes. Conan se révoltera, emportant avec lui son flot de combats sanglants, révélant ce qu’il cache au plus profond de lui : un rebelle insoumis et un porteur de la révolution au sein de tous ses périples........................

En dépit des polémiques que cet ouvrage a pu déclencher au sein des fans, Conan de Venarium est un récit intéressant à lire, ne serait-ce que par le portrait vivant et précis que donne Harry Turtledove de la société Cimmerienne, par l’exploration de ce quotidien rarement évoqué par le grand Howard. Il nous donne de plus une autre facette du personnage de Conan, le rendant étrangement plus humain, car plus proche de nous. Le spécialiste de l’histoire alternative qu’est Turtledove parvient à équilibrer avec réussite l’alternance entre les périples et les moments plus intimistes, voir les scènes plus parodiques ou Conan se révèle être aussi un bon voleur, autre particularité de ce barbare sans patrie. Certes, l’auteur joue avec les noms. Ainsi la mère de Conan, Meave, devient Verina, et n’est en rien cette guerrière dépeinte par Milius dans son film inoubliable. Quand au père, Nial, il devient Mordec. Mais n’est ce pas l’apanage des bons auteurs que de donner des visions plus personnelles du passé de Conan ? Si Milius avait parié sur des parents plus à même de représenter le nord dur et guerrier du barbare, Turtledove nous donne des parents plus fragiles, des parents plus en demi-teinte.

Le rapport entre Conan et sa mère est en cela plus tendre, et cela enrichi un personnage dont son auteur à l’origine n’a pas vraiment donné un passé très précis, ce qui permet toutes les altérations et interprétations. Les éléments dramatiques et les émotions communiqués par la plume de l’auteur sont là pour nous montrer un Conan plus complexe qu’il n’y parait, et peut-être des explications supplémentaires sur sa psychologie d’être taciturne, têtu et réservé. Un aspect de sa mélancolie qui pourrait s’expliquer par le rapport tendre à sa mère malade et à un père autoritaire mais juste qui s’était efforcé d’enseigner à son fils une vie droite et un rapport aux Dieux plus original, entre scepticisme et humour. De plus, l’emploi des éléments surnaturels préparent le lecteur et pourraient constituer un prélude à la lecture du cycle de Conan par l’intrusion des premiers archétypes qui feront la légende du puissant guerrier. Ainsi, l’oiseau démon et le serpent géant sont les succédanés des épreuves futures dans un monde où les apparences sont parfois fort trompeuses et les animaux très liés aux cultes magiques. En cela l’auteur est très fidèle à Howard, à son totémisme magique, animal et guerrier. La vision du temple en ruine est une image symbolique des événements futurs mais aussi du rapport de Conan au lieu mythique et au magique comme topos et religio conjecturaux. Ce pourrait être aussi le lieu géographique final de sa quête et son passage au stade d’adulte en cette ultime épreuve de maturation. Les prédictions du Devin sont là pour établir la légende de ce jeune homme en devenir et donnent une dynamique certaine à l’histoire, une histoire qui se fera aussi donc sur le mode de la fuite et de la quête. Fuite de la Cimmérie natale et quête d’un royaume de chimère, rêve d’un Roi, autres images symboliques qui font sens aux errances de cet Hercule annexé du fardeau des Dieux. Se démarquant du héros incarné par Milius, Turtledove nous donne un personnage plus profond, au passé plus fourni en émotions. C’est que l’auteur s’est basé sur les rapports entre les parents et leur fils, et particulièrement entre Conan et sa mère. Cela donne une structure plus ferme à l’architectonique du héros même si cela peur entamer son aura légendaire dont la mise en abîme du passé fascinait les lecteurs en les laissant sur l’expectative. Et c’est là, par ce rapport plus judéo-chrétien que Turtledove donne une magnifique vision alternative du jeune Cimmérien qui adoucit la belle mais dure vision nordique de Milius, un peu trop figée sur l’image du père et de la mère guerriers. Nous découvrons ainsi un Conan fidèle au personnage plein d’assurance dans sa vie de tous les jours mais avec des nuances marquées quand à son rôle à jouer dans la vie, mais aussi de sa place et de son rôle dans ce monde. C’est l’idée du passage et de la maturation que Turtledove parvient magnifiquement à faire mettre en scène aux lecteurs. Mais comme tout récit Howardien, Conan de Venarium comporte aussi ses faiblesses. L’auteur échoue à retranscrire l’atmosphère des récits de Howard, leur sauvagerie sombre et les visions oniriques qui ponctuent le voyage du barbare dans l’ouverture de chaque histoire ou dans son déroulement, dans ces pauses où, accroché au bord du gouffre de la mort ou des combats sans espoirs, le héros se laisse épancher par des visions poétiques à la manière de Holderlin ou Leconte de Lisle .

Et c’est là qu’il a certainement heurté la sensibilité des vrais amateurs du genre. Cependant, étrangement, cela ne nuit pas à l’ensemble de cette histoire, et ce Conan un peu à contre emploi est un peu plus vivant même s’il n’est pas tout à fait le formidable guerrier sans failles.
C’est que le Conan de Turtledove n’est pas encore l’enfant meurtri forcé de partir, de quitter cette Itaque qu’il ne reverra jamais. Non, il est encore innocent, et cela est la grande prouesse de l’auteur (même s’il va côtoyer la mort avec sa mère souffrante et les proches qui vont tomber sous les coups de la guerre et les affrontements inévitables). De plus, les remarquables scènes de combats et de batailles ne manquent pas et les chorégraphies sont magnifiquement décrites, mais elles ne forment pas le noyau central de cette histoire contrairement à la majorité des histoires du Cimmérien. Turtledove a eu le mérite de nous donner un portrait du héros barbare encore en gestation, pas encore touché par la sauvagerie et la cruauté du monde. Il s’est axé sur des éléments inconnus de la biographie imaginaire du personnage, ces éléments qui, tous joints les uns aux autres, formeront le Conan qu’on connaît. Ce livre, malgré les attaques des fans purs et durs, est probablement le meilleur pastiche rédigé sur l’enfance du héros qui a fait rêvé des générations. Il lui aurait manqué une bonne centaine de pages pour nous abreuver encore plus des rapports entre le héros et ses parents. La fin nous brosse les attitudes d’un futur voleur, une facette qui explique peut-être les termes en exergue de l’affiche du Conan Le Barbare de Milius : Voleur, Guerrier, Gladiateur, Roi. L’éloge d’un personnage hors du commun dont Conan de Venarium est un merveilleux prélude et une histoire dans l’histoire, celle d’un guerrier qui fut avant tout un enfant comme tous les autres, mais un enfant hors du commun, dont les sandales écraseraient les trônes du monde. Le mythe d’Anarchasis n’est pas loin, à la fois comme modèle de dépassement des dictatures et comme référent quand aux "humanismes absents". Un récit superbe qui serait vraiment à traduire en français, mais là on peut toujours rêver, comme les corbeaux le croissent souvent.....

Quand à la couverture de Julie Bell, la compagne du grand Boris vallejo, que dire si ce n’est qu’elle est de toute beauté. Si une collection se lançait dans la traduction de tous les Conan avec les couvertures originales, cela donnerait probablement une des plus belles réalisations du moment, rivalisant largement avec les univers clôts et hyper stéréotypés des Royaumes Oubliés. Quand à Harry Turtledove, il serait grand temps de faire connaître son oeuvre de fantasy en France, l’une des plus remarquable, sans parler de ses "Histoire alternatives" (à part peut-être de discutables histoires par trop patriotiques et une revisitation de la guerre de sécession américaine des plus discutables) .........

Emmanuel Collot

Conan de venarium, Harry Turtledove, Tor Fantasy, couverture de Julie Bell, 272 pages. 24,95 $





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