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  Sommaire - Livres -  A - F -  Le Pape, le Kid et l’Iroquois
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"Le Pape, le Kid et l’Iroquois "
Anonyme

Editeur :
Editions Sonatine
 

"Le Pape, le Kid et l’Iroquois "
Anonyme



Le pape étant en partance pour une visite confidentielle aux Etats-Unis, voilà que le redoutable Iroquois s’est mis en tête de le tuer. Effroyable psychopathe au masque d’Halloween surmonté d’une crête et porteur de son fameux blouson de cuir rouge, l’Iroquois aura cependant pour obstacles ses vieux ennemis de toujours : Elvis, Bourbon Kid et Rodeo Rex. Un combat commence alors entre Bourbon Kid et l’Iroquois. Le challenge : empêcher ce dernier de parvenir à devenir le psychopathe ayant le plus de victimes à son actif. Et dans une nation faite d’autant d’Etats que de tueurs, avec quelques organisations gouvernementale officieuses opérant dans l’ombre du pouvoir, autant dire que va se jouer là une bataille sans commune mesure, à part peut-être celle du sang, of course.

Depuis Romain Gary et tant d’autres prédécesseurs on pourra dire que la littérature générale, et plus souvent encore la littérature de genre, fut prolixe en plumes préférant user d’un pseudonyme. Si ce fut souvent pour cacher une femme en des temps où la plume était réservée aux hommes (Madame de Sévigné, Georges Sand, etc...), voire pour se servir d’un nègre littéraire sous une identité passe-partout (Sulitzer, etc…), on vit plus rarement la chose par simple fantaisie littéraire, comme dans le cas de Romain Gary et sa couverture en tant qu’agent double épiant les travers du communisme.
Ici, on fait mieux, puisque c’est publié anonymement. Dans la droite file des « Anonymous » et autres organisations conspirationnistes parfois souvent animées de bonnes intentions, voilà que « Anonyme » nous refait le coup du livre météore, comme on dit ; si on avait pu beaucoup saliver devant les premières aventures de l’Iroquois (Psycho Killer, 2013), on pourra être plus circonspect quant à cette fausse suite.

Tout d’abord pour une fausse bonne raison, ce qui rend la chose un peu hypocrite : ici, on a plus l’impression de lire les tribulations entre « Bébé » et l’Iroquois plutôt qu’avec un « Bourbon Kid », personnage très attachant des premiers livres issus de la fabrique « Anonyme ». La faute pourrait en revenir à l’auteur si on ne se méprenait pas en fait sur la fonction d’une telle fiction. Lorgnant sur les plates-bandes d’un Quentin Tarantino, ce genre de fiction, héritière directe des Pulps des années 30, comporte une première spécificité pas toujours expliquée par nos modernes, et qui est de ne se conformer à aucun schéma narratif préétabli.

En effet, se conformer au résumé de l’histoire sur la quatrième de couverture, pour se rendre compte à la lecture que même ce principe n’est pas respecté, n’est pas dû au caprice du ou des auteurs, encore moins à une erreur éditoriale, mais correspondrait plutôt à une volonté littéraire encore une fois directement puisée au giron de ces magazines Pulps des années 30. Et ici on peut parler de véritable école puisque cette écriture anarchique en est à sa base même. Pour qui aura lu l’un de ces magazines avec histoires à suite ou pas, on ne retrouvait pas toujours dans chaque numéro (quand on le retrouvait) des suites chronologiques aux histoires, et c’était to charme de ce genre de support en papier bon marché. La couverture avait pour fonction de résumer l’esprit qui dominait l’ensemble des nouvelles ou courts romans par l’inclusion de séquences dans le cadre d’une scène principale, voire une seule illustration lorsqu’une nouvelle dominait les autres par sa qualité ou son originalité ; dans certaines histoires, d’ailleurs, il arrivait qu’on retrouve des personnages oubliés, voire disparus, que l’auteur baladait d’une séquence à l’autre ou d’une époque à l’autre (Howard joua à cela entre divers magazines, par des histoires réadaptées au contexte fictionnel et spatio-temporel exigé par le dit magazine). Bref, écrire c’était faire acte d’un jeu à plusieurs facettes dont l’essentiel n’était pas dans le réalisme des situations mais dans celui des personnages ; L’hagiographie des portraits des illustres aïeuls suintant encore des vieux murs des châtelains tombait de ses pénates historicistes archaïsantes dans l’escarcelle d’un nouveau populaire où c’était le gueux de bas étage qui devenait un héros, pour soudain servir de prétextes à de véritables portraits en couleurs, brut de décoffrage et sans aucune forme de respect ou de volonté esthétique. Dès lors, tout est permis, monstres, démons et merveilles, simples trafiquants, machos ou alcooliques, prostituées ou détective à la dérive, l’Amérique inventait sa chouannerie et ses apaches de banlieues dans chaque petite ville, inventant une espèce de moyen-âge steampunk.

Là, on peut dire que « Anonyme » enfonce le clou. Il nous annonce des personnages mais part sur d’autres, avec toujours comme terme centralisateur cette focale sur ce fameux Iroquois. Le résultat est bluffant. Le lecteur est déstabilisé, la fonction du récit « à rebondissement » y trouve sa parfaite illustration, bien plus que les fameux « coups de théâtres » auxquels nous a également habitué « Anonyme », lesquels n’en sont pas toujours d’ailleurs. Et curieusement, au lieu de s’exaspérer devant un sempiternel récit moderniste voulant trancher dans le classicisme du récit à rebondissement on renoue incroyablement avec la vieille tradition de ces récits oraux où on ne retrouvait pas tout le monde d’une histoire à l’autre, où les scènes et personnages s’entrecroisaient dans un magnifique palimpseste dont la fin était amenée à résoudre certains rets tout en en interdisant d’autres, sans parler des fins en guise de relance sur une éventuelle suite que nous ne sommes pas certains non plus de retrouver dans le récit suivant ;

Et c’est peut-être là tout le savoir-faire d’Anonyme, nous entraîner par-delà les ornières, nous catapulter par-delà les règles du récits et ses bienséances pour nous gratifier d’un bon uppercut et nous laisser knock-out. Bien loin de se foutre de ses lecteurs « Anonyme » intègre parfaitement la fonction libératrice du récit dans le fait de laisser ces derniers libres de toute attache vis à vis des premiers personnages. Certes, l’Iroquois est ici une figure médiatrice, parce qu’il est comme « tiré » de la galerie populaire inventée, sécrétée par « Anonyme ». Mais c’est là encore un jeu de scène, comme si le lecteurs ou l’auteur se surprenaient ensemble devant cette impression patente qu’on n’entendrait plus parler du personnage central dans les aventures suivantes et qu’un autre prendrait sa place comme un magnifique jeu de de rôles. Cette interchangeabilité, alliée à une déviation de la focale traditionnelle de ce genre de récit sur un personnage principal, participe d’un tout fabuleux ou l’extraordinaire ne tient plus dans les ébats psychopathes des protagonistes, voraces et percutants comme toujours, mais bien dans cette faconde à en user dans une intemporalité faisant qu’on peut les retrouver en amont ou en aval d’une vaste saga satirico-horrifico-policière, sans que cela ne gêne les lecteurs.

Bien plus, cette pratique, refondée dans notre modernité cinématographique par la caméra magistrale d’un Quentin Tarantino (Pulp Fiction), libère les personnages des liens temporels voir même de leur enracinement dans l’espace, et de fait nous les rendent plus immortels que tous les personnages issus du roman classique encore trop embarrassé par le temps pour réellement comprendre ce que veut dire une fiction débarrassée de toutes ses référentiels immédiats. Dès lors, temps et espace s’annulent, le lecteur a plus l’impression de s’identifier au même personnage, peu importe si dans sa vie de chair il change, il décline. Fonction binaire s’il en est, l’exercice fonctionne à merveille, un peu comme jadis des séries comme « Le club des 5 » et autres « Alice », imprimaient sur leurs lecteurs la même accointance malgré l’âge. Et c’est peut-être ça aussi ce qu’on pourrait rappeler comme ce seul et dernier panache dans notre monde, ce goût de l’immortalité, ce lien étroit qui uni parfois un écrivain (King, Lumley) qui écrit dans la permanence et ce lecteur qui le lit dans l’insouciance, dans l’urgence, dans une disponibilité totale pour le jeu, le loisir. Peut-être parce qu’ils se trouvent pris tous deux par ce sentiment diffus et si plaisant dans la fiction qui est « l’imprévisible ». Il ne peut pas y avoir plus belle satiété que cette fonction simple et essentielle dans une écriture qui séduit mais intrigue et une lecture qui subit mais exige. Le récit policier d’une Agatha Christie ou d’un Conan Doyle répondait tout à fait à cette urgence des deux côtés. Mais ce que « Anonyme » rajoute, ou plutôt enlève dans ce récit, c’est bien la clé du problème. Et cela ouvre le lecteur à un champ de perspectives nouvelles puisque les adversaires sont toujours en mouvement, insaisissables, comme les acteurs fantoches d’un drame macabre sans début ni fin.

Ce roman ne mène à aucune réflexion, là n’est pas sa fonction. Il se lit comme on boufferait un bon truc dans un fast-food, et pourtant il est aussi puissant que le meilleur des Agatha Christie. Seul petit bémol : les scènes de sexe. Si jadis les Pulps étaient étranglés par la menace de la censure, le fait que nous ayons changé de sphère sociale aurait pu avoir pour effet de lâcher un peu la bride à l’auteur et nous faire montre de la même audace dans l’intimité de ses personnages. Mais le lectorat visé étant principalement ado, l’écriture s’en ressent quelque peu dans ces passages plus chauds. L’hémoglobine façon série Z, les référents aux comics, et tant d’autres sources, nous rappellent qu’on est ici en terrain connu, que même le sexe est suggéré, que ce tout juvénile permet des arlequinades verbales que le sexe cru permet moins, car le sexe c’est encore sérieux, le sexe ça ouvre aux problèmes du rapport à l’autre. Fonction cathartique primitive, ce genre d’histoire reste donc dans la retenue de rigueur des Pulps des années 30. La violence déjantée, la gymnastique stylistique, demeurent donc assez enclavés dans la verve de notre époque, dans cette violence absurde et grotesque si typique d’un Tarantino, et dans cette nouvelle famille qui s’est inventée sur une plus ancienne. Pas forcément pour participer d’un même marasme moral que laissent supposer certains bonimenteurs du « bon livre pour adolescent » mais bien pour nous apprendre à nous construire dans le chaos. A condition d’ignorer le sexe. Et c’est là qu’on peut dire que « Anonyme » est finalement très consensuel.

On aime ou on déteste, c’est selon, mais chaque livre « Anonyme » ne laissera pas indifférent. Si Stephen King est un peu ce géant mort qui diffuse son horreur tranquille sur un petit écran de télé en noir et blanc, Anonyme et quelques autres sont les effluves de ses humeurs corporels et de ses miasmes psychiques, formant comme un confluent plus déjanté et ostentatoire, permissif et juvénile, une sorte d’alcôve fabriquant des faux dollars pour un peuple d’heureux camés filmiques sur un vieil écran de cinéma de quartier. Une œuvre dispensable mais sacrément jouissive. Si on aime ce registre de genre où les psychopathes deviennent des héros de mauvais goût histoire de mieux participer à la crise ado de nos bambins névrosés contre l’ordre et les parents. Mais un sacré coup de bourre littéraire, à lire entre un Kant et un Hugo, pour ceux qui savent encore lire de la littérature. Sinon, entre midi et deux quand on est lassé des copains ou le soir quand on en a marre de cette télé à la con. Bref, roman Pop à scandale pour une société soporifique. Souhaitons à son auteur d’en faire autant dans d’autres extensions « non-suites ».

Le Pape, le Kid et l’Iroquois, Anonyme, éditions Sonatine, traduit de l’anglais par Cindy Kapen, 464 pages, 21 Euros.

Emmanuel Collot





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