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"Légendes des Contrées Du Rêve "
Brian Lulmley

Editeur :
Mnémos
 

"Légendes des Contrées Du Rêve "
Brian Lulmley



Le héros des rêves

David Hero a beau mener une existence tranquille et suivre avec brio une profession d’illustrateur dans laquelle il se sent totalement épanoui, il se morfond dans le réel. Le monde de la pesanteur ne lui apporte aucun dérivatif assez fort pour distraire une soif immense qui l’envahie. Comment combler l’ennui quand rien ne parvient à combler ce vide ? Mais par les rêves, voyons. Car David Hero a un secret. Chaque soir, il ne fait pas que rêver mais se transporte corps et esprit dans un autre monde : Les Hautes Terres du rêve. Vaste univers lovecraftien, il devient chaque nuit le terrain propice à étancher son besoin d’aventures, de voyages, de quêtes de trésors, de beuveries joyeuses et d’amours éphémères. Dans cet univers extravagant, perché quelque part entre démons et merveilles, horreur et féerie, domine le terrible dieu Cthulhu, et tout un panthéon aussi baroque que dangereux. Mais qu’importe les périls, David se sent irrésistiblement attiré par cette vie aux plus larges possibles, loin de la grisaille du quotidien. Avec ses compagnons de route, David relèvera les plus grands défis et les enjeux les plus satisfaisants quand on est un aventurier sans peur, muscle galbé et épée levée aussi haut que les grandes espérances. Et puis d’ailleurs, que lui importe le devoir de choisir à présent entre le réel et Les Hautes Terres du Rêve, puisque David finira par mourir dans son ancienne vie, quelque part, à un moment donné de cette histoire, et qu’à présent il peut vivre pleinement sa vie rêvée de héros...

Le vaisseau des rêves

Celephais dernier lieu des exploits d’un duo d’aventuriers sans peur est aussi devenu le lieu de leur supplice. David Hero et Eldin l’Aventurier, se voient soudain jugés et chassés comme du gibier de potence. Mais qu’importe l’injustice des uns et des autres, Hero et Eldin se sont déjà servis. Un vagabond qui sauve la veuve et l’orphelin sait aussi être, quand il le faut, un bien fieffé voleur. Mais c’est lorsque le roi de Serannian, la Cité des nuages, décide de faire appel aux compétences de nos deux comparses pour contrer les visées d’une certaine Dame Noire que leur vie va de nouveau être bouleversée. Cette reine des zombies, et bombe sexuelle de son état, mène une sorte de chasse à l’homme. Et sa flotte de navires volant veut faire le plein de nouveaux vassaux, en les zombifiant, bien entendu. Le poing facile et la main légère, bons vivants et libertins au grand cœur, Hero et Eldin vont devoir faire face à leur premier grand défi : sauver tout un peuple tout en évitant au possible de devenir des zombies à leur tour. Une perspective bien excitante pour ces deux opportunistes dont la seule motivation est de remplir leurs poches et se régaler la panse pour ensuite repartir dépouillés sur les chemins de l’éternelle aventure, où il y a toujours un lendemain, et un ailleurs où se rendre.

La lune des rêves

Et si la fin du monde arrivait aussi sur les hautes terres du rêve ? Lancinante question pour nos deux héros qui, en outre de devoir oublier les remugles d’un passé qui parfois se rappelle à eux comme une culpabilité dont on se débarrasse par l’aventure et les alcools, vont devoir cette fois-ci affronter une divinité maligne qui se cache dans la lune elle-même. Car la lune change de taille, grossi, comme un fruit pourri prêt à exploser et emporter avec elle les hautes terres du rêve. Qu’à cela ne tienne, la solidarité sera la plus forte ici. Puisque Hero et Eldin s’associeront à la reine des zombis, Zura, et à la maîtresse des hommes-termites du nom d’Eidolon Lathi. Face à l’Armageddon qui menace les rêves, mieux vaut s’assurer des meilleurs soutiens, quitte ensuite à devoir chèrement le payer ; à moins d’être assez malins pour également en réchapper. Ne dit-on pas que tout est possible dans les hautes terres du rêves ? Suffit de gagner, et de renvoyer toujours plus loin une fin qui ne vient jamais achever cette histoire ; ne serait-ce pas ça, le vrai remède à la mélancolie, quand on sait enfin que la mort dans le réel n’est que la naissance à la vraie vie rêvée des hommes ?

Juin 1996, Juin 1997 et Juin 1998. Il aura fallut trois étés, trois longs étés pour, au hasard d’une déambulation dans un Virgin Megastore, tomber à chaque fois sur l’une de ces trois pépites littéraires. A l’époque, il n’y avait que les éditions Pocket pour oser publier un tel auteur, même si c’était au compte goutte. Il faut dire que Jacques Goimard était aux commandes de la maison, et qu’alors on osait peut-être plus qu’aujourd’hui. On « osait » parce que Jacques ne s’était pas trompé. Parce que Brian Lumley était un autre géant de la littérature, au même titre qu’un Stephen King, un Clive Barker ou une Ann Rice, mais qu’en France on avait préféré l’oublier sur les bancs du « littérairement incorrect ». Parce que son œuvre était à part. Cette trilogie, rehaussée des très belles couvertures de Siudmak, nous replongeait alors dans les contrées déjà arpentées par un certain Titus Crow, et que les éditions Fleuve Noir avaient eu également la belle idée de republier en intégrale. Quelle ne fut pas alors la surprise pour certains de renouer avec des lieux communs, des mondes en friches qu’un beau jour un certain solitaire de Providence avait consacré dans son œuvre fantastique.

Mais Lumley eut cet éclair de génie de ne pas se contenter que de ça. A l’immobilisme surréaliste fondé par Lovecraft Lumley y ajoutait cette nécessaire étincelle de vie grâce à laquelle ces Hautes Terres du Rêves s’irriguaient d’une vie autonome, comme d’une vie supérieure à notre monde, une vie aux plus larges possibles. Bref, Lumley ouvrait les portes de cet univers pour notre plus grand plaisir afin d’y laisser entrer ces ivrognes de l’aventure, ces gargantua de l’amour. Une géographie, un système spirituel juste assez réactionnaire pour susciter l’envie de se battre, des femmes plantureuses voulant faire de vous leurs esclaves, des reines vampires, des démons, des divinités, des peuplades hybrides, tout ce qu’avait pu rêver Lovecraft se voyait soudain animé d’une vie autonome. Comme d’une issue, à la fois contre la mort brutale et sans réponse, et ces problématiques paradis ne parvenant jamais à englober les multiples ethnies d’un monde réel où nous nous trouvions toujours et encore séparés, différents, soumis à des systèmes.

Vous vous demanderez alors, mais quel est donc la recette miracle qui pourrait pallier à tout ça ? Mais la grande aventure, tout simplement, mais d’une aventure qui fait éclater les portes de la perception. Bien loin des poncifs intellos et bourgeois dont on nous assomme de plus en plus avec la fiction, Lumley s’est tout simplement offert du loisir ; Loisir d’inventer des contrées et des habitants, dans des terres du rêve où iraient se perdre des vagabonds qui auront beau être mort dans le réel ils sont bel et bien vivant dans cette autre dimension de l’existence. Et le miracle se produit, à chaque fin de chapitre, qui nous renvoie toujours ailleurs avec cliffhangers et autres coups de théâtre, on en redemande, on a envie de poursuivre ; Flirtant sur l’engouement de jadis pour les romans-feuilletons, Lumley en a tout simplement réinventé le cadre et les règles. Plongeant dans la grisaille de notre quotidien le plus moderne, Lumley nous tire peu à peu de notre fatale pesanteur pour nous élever à cette grâce toute simple qui est de s’oublier un peu, de se transposer l’espace de quelques centaines de pages là où tout est permis, enfin.

Ainsi, si l’auteur fait comme à son accoutumée une sorte de justification à rebours de notre réalité fatale où le grand Cthulhu et ses intrusions démoniaques dans notre monde fait un peu figure de garde fou justifiant l’inexplicable et l’insensé de la mort, c’est pour mieux s’en servir de chiquenaude romanesque pour un autre univers vis à vis duquel il invente des ponts oniriques, des chemins de traverses esthétiques, des passages sensualistes, qu’aucune religion ne pourra jamais refermer ni interdire à ceux qui ont toujours aimé rêver ; Et en inventant ce passage où Cthulhu « la rejoue contre soi » dans une espèce de vaste partie d’échecs où rien n’est jamais gagné d’avance, c’est pour nous donner enfin ce loisir de nous sauver, de nous échapper, faire un pied-de-nez à la mort, là-bas où les étoiles brillent plus fort, où on ne meurt pas, ou du moins provisoirement, où les filles sont plus faciles quoique autant dangereuses, et où se battre a un sens ; là où la propriété au sens matérialiste du terme est reléguée au dérisoire puisqu’il y a toujours un ailleurs à explorer, à arpenter, à éprouver. Là où l’amour a plus de force et les plaisirs de plus grandes vertus que l’ascèse. Jouir, rire et se battre, l’éternité dans une vague où tout l’univers est à notre portée, à égalité des chances avec nos compagnons et compagnes. Là où, enfin, on peut s’opposer au même Cthulhu et vaincre sa fatale emprise sur la vie rêvée, à contrario d’une vie de chair où nous sommes ses victimes.

Bref, en réinventant le genre dans la sphère de l’onirique, du rêve, Lumley lui donne de nouvelles fonctionnalités, puisque personne n’en est exclu, puisque tout le monde peut y vivre, puisque enfin, nous pouvons redevenir ces nomades ne souffrant jamais de se voir sans toit ni victuailles, sans biens ni amours, sans familles. Même si les périls y sont nombreux. Au restrictif et au répressif de la société marchande réprimant les plus pauvres interdits de plaisirs et muselant les plus riches par la satisfaction des sens comme d’un privilège, Lumley nous invente une société du plaisir où l’homme redevenu nomade se réapproprie d’anciennes valeurs tout en oubliant sa « blessure civilisationnelle » au profit d’une universalité des sens ouvrant paradoxalement à un socialisme de la réciprocité. On pourrait penser primitivement à une espèce de « Chicago céleste » un peu comme l’avait fait Fritz Leiber (1910-1992) avec son Lankhmar comme d’une « Las-Vegas » accrochée au bord de l’abîme. Chez Leiber L’entité du jeu se superpose et en même temps structure un monde où la mort ne se mesure plus à ce que représente « soi-même » par rapport à un dessein divin, mais un moyen-terme qui dérive, se désacralise dans la vacuité du tout marchand. La sphère marchande produit un intermédiaire à une sphère sacralisée (les filles prêtresses) où on manque parfois d’un certain ancrage matérialiste. Cette mise à distance entre la société marchande et la valeur de l’individu nu et pur s’imposera au duo Fafhrd et le Sourcier Gris comme d’une perspective d’un monde qui semble avoir besoin et du marchand et du sacré pour que justement le temple ne vacille pas, ne s’effondre pas, pour « que ça marche » même si c’est de façon bancale, un peu à l’image de la vie spirituelle.

La posture libérale, ici, est patente d’un « tout de l’aventure » où on ne fait pas que passer, mais où on éprouve des ambivalences très reliées à notre sphère du réel, et vis à vis desquelles on est relié par une sorte de « cordon ombilical rhétorique » où la réflexion se porte sur un individualisme devant aller de concert avec un bien être recherché comme d’une condition supérieur, quelque soit le climat supporté (froid, neige, etc...) ; les personnages sont donc prêts à tout endurer, entre quelques escapades, rixes et aventures érotiques. Car ce qui est visé dépasse le récit qui devient vite une pièce de théâtre. Peut-être devrions-nous voir dans cette attitude de Leiber l’influence double de ses accointances religieuses et sa conversion un temps à l’episcopalisme durant l’année 1932. le théâtre et la religion influeront beaucoup sur cette œuvre aux antipode du genre, frôlant la satire, le récit de moeurs et une obsession cachée pour un certain dandysme concerté passant au crible d’un criticisme acerbe des thèmes classiques du quotidien masculin (les femmes, le sexe, etc...). Au bout, se cache probablement une réalisation personnelle, dépassant le cadre de l’aventure. Mais dans des visées religieuse qui se dissoudront au profit d’un retour à une fin du monde théâtrale où tout demeure vaste jeu de théâtre où on meurt beaucoup et court beaucoup le jupon.

Si Fafhrd incarne bien ce libertinage philosophique, le Souricier, lui, demeure cet éternel dupé à voir la vie triompher de la mort et la mort se dissoudre dans la vie. Comme si à deux ils incarnaient la plus parfaite complétude de l’homme seul au monde, avec ses désires et ses illusions pour y pallier. David Heros et Eldin l’Aventurier sont des survivants qui lorsqu’il est nécessaire et que l’on perd devienne des graines qu’on replante en d’étranges jardins (tome 3, La lune des rêves). Une fois écloses, les graines redeviennent des hommes. En définitive, en se perdant dans les jardins de la lune plutôt que les jardins de chair de Zura, David et Eldin se réincarnent. On renaît aussi dans les contrées des rêves, neufs et virginal. Pas comme sur la Terre où de graine on redevient poussière. Il y a comme une fécondité dans les terres du rêve qu’il n’y a plus sur Terre dès lors qu’on est accouché. Là haut, on peut s’accoucher soi-même et par conséquent échapper au destin, et aux griffes d’une reine des zombies nous ayant au préalable aidé pour vaincre un danger bien plus fort. La récompense ici se hisse au niveau d’une transformation alchimique de soi-même vers un autre plus pur.

De fait, si Fritz Leiber c’est Fafhrd, et son ami de toujours, Otto Harry fischer 1910-1986), Le Souricier Gris, c’est bien que dans ces tribulations dans un univers de « Nulle part » (Nowher, Newhon) il était nécessaire de voir des tempérament opposés s’ébattre dans des décors fantasques où justement s’éprouvent et se mélangent dans la plus grande confusion des radicalités, mais qui toujours ne suivent qu’une chose, une liberté aussi désirée que disputée. Dans Le Cycle des Epées, les personnages de Leiber sont engagés corps et âmes, on est le demi-dieu des dieux, le vassal d’un autre, le sous-chef d’un chef, on est toujours le larbin d’un autre, quelque part. On est définitivement pris dans le jeu de la roulette, et on peut y perdre la vie, mais comme on perd à un Black jack. Chez Lumley, on peut récupérer sa mise, car les héros sont divinisés par leur statut de désincarnés. Dans les rêves, tout est encore possible, même face à un indicible qu’on repousse, pour toujours avancer encore et toujours.

Zura, en tant que reine des zombis, campe une curieuse déesse de la nymphomanie et de l’érotomanie drainant le peuple de sa virilité sur ses navires aux allures de bars américains où on devient un forçat du libéralisme. Mais là où Lumley excelle c’est bien dans la manière qu’il a d’aborder la chose. Bien loin de cultiver le manichéisme primaire ou la propagande pernicieuse, il instaure une sorte de statu quo entre nos héros et des pouvoirs pouvant contrer d’autres pouvoirs. De fait, si Cthulhu incarne bel et bien la toute puissance de la fatalité, du despotisme, Zura, en tant qu’esclavagiste des corps, impose un contrepoids qui dans cet univers là peut faire échec à la mort. Lumley ne penche en faveur de personne, il nous raconte avec fantasmagorie notre propre modernité à l’aune d’un regard plus circonstancié, plus concerté, dans des rapports et vis à vis de puissances et de savoirs où il est parfois bien mieux de composer, de fraterniser, face aux actions d’une mort qui n’a la plupart du temps rien à voir avec une quelconque justice (tremblements de terre, crimes, etc...) ; par cette tempérance, l’auteur nous raconte le jeu des pouvoirs, mais aussi une nécessaire tolérance à l’encontre d’une existence où tout est paradoxe. Son Chicago se mue par conséquent en une espèce de « Cité céleste » où on peut enfin gérer ses envies de jouir et de richesse sans le couperet de la grande moralité, et sans pour autant sombrer dans son excès contraire, celle d’une « Babylone céleste ». Il parvient à une sorte de commune mesure, qui du coup instille une dynamique réelle à l’action que partagent les deux personnages principaux.

Car bien que lésé, le héro-vagabond, qui est aussi voleur au grand cœur, se paye en denrées et plaisirs que préfigurerait une société capitaliste enfin débarrassée des diktats des plus riches et des plus forts. Ainsi, si dans les terres du rêves on se trouve injustement traité on trouvera toujours moyen de se satisfaire. Car c’est bien de la satisfaction dont il est à propos là-haut, tandis qu’en bas, dans notre pesanteur, on ne fait que la chanter comme d’une redite impossible. Au capitalisme concentré et cloisonné, le monde dont nous parle Lumley serait peut-être un capitalisme redistribué et dont les divers dangers parsemant autant d’épreuves constitueraient en quelques sorte les lois et paliers nécessaires à l’acquisition provisoire d’un usufruit. Le système ne promulgue dès lors plus l’accumulation absurde de biens mais bien celui de denrées et richesses (on pense ici au Conan de Howard) aussi provisoires que des besoins éternellement reconductibles dans les aventures suivantes.

L’espace du rêve permet donc ici une liberté du jouir revue à l’aune du simple loisir infantile, à la dérobade, à l’échappée belle. Le destin, est ici réévalué, rêvé, puisque temps et espace sont abolis. Le risque n’existe plus autrement que comme le contenu d’une épreuve dont le prix n’est plus la vie comme dans notre sphère de sens intransigeante, mais bien un changement de posture (zombies, etc...), une relégation à une autre classe sociale ne dépendant plus du hasard mais bien de ce que dans cette sphère du « tout onirique » il nous est octroyé par ce statut retrouvé de « nomade des rêves ». Ainsi, si dans la vie réelle le territoire est trop balisé et réglementé, dans la vie rêvée tout est laissé à notre propre évaluation dans des jeux de rôle où on possède puis l’instant d’après on est possédé. Toute la définition du genre ne veut pas signifier autre chose que cette simulation d’une réappropriation post vitam par le biais d’une lecture cathartique, quelque soit le genre arpenté. Pour, une fois revenu de l’une de ces escapades choisies, nous sentir assez repus pour avoir envie de poursuivre nos vies décevantes dans ce monde de la limite. La fiction Lumleyenne à ce niveau répond à un besoin primaire de grands espaces là où dans la vraie vie ce besoin est rogné par l’urbanisation, les frontières, la signalétique, etc...

La mort, comme dit, n’est qu’un état provisoire, on y est plutôt possédé, ou habité, ou transformé (les zombies), jamais d’états définitifs. Tout est fugace, sauf ce chemin qui toujours nous emmène ailleurs, « autrepart ».

Bien qu’ancien militaire aux idées bien à droite, Brian Lumley se révèle dans cette seconde saga aussi socialiste que le plus socialiste des gauchistes, et pourtant, à aucun moment il ne sombre dans le scabreux idéologique, juste un gosse qui s’amuse à raconter des histoires à d’autres gosses. Ce qui l’installe à jamais parmi ces auteurs humanistes aux insaisissables desseins littéraires. Avec une œuvre oscillant entre l’horreur moderne flirtant avec le gore, et cet espèce de fantasy noire où se rencontrent les influences de Lovecraft, Robert Howard et Edgar Rice Burroughs, Lumley s’impose comme la très grande référence du genre. Une gloire qui lui fut plutôt interdite dans notre pays, et on se demande encore pourquoi.

L’intégrale judicieusement préparée par les éditions Mnémos (mais qui aurait méritée d’une bonne introduction), sous une couverture de toute beauté, nous ramène soudain à cette fin des années 90, durant ces étés chauds où on n’avait pas grand chose à lire de nouveau. Et Lumley, une fois de plus, est arrivé à point nommé dans nos mains pour nous redonner ce petit goût suranné pour l’aventure exotique, où un Lord Dunsany se trouverait soudain projeté dans un monde barbare dont il aurait orné les formes et contours des enluminures sacrées de ses coups de pinceaux, et aimé la déesse porno voulant faire de lui son mari sans passer par la case moralité. C’est un peut tout cela, que de lire cette partie de l’oeuvre de ce géant anglais. Comme cette soudaine envie, ces trois étés, de dire alors à notre compagnon de toutes les galères et des solitudes involontaires, de nous suivre un peu dans ces aventures, même s’il n’aime pas, que « Eldin, c’est toi, et moi, David Hero, et vice et versa ». Et avoir le courage de continuer à vivre et à espérer, dans un monde qui, bien que hanté par la mort, ne nous empêche pas d’espérer, quand bien même tout est absurde.

Cette trilogie fera donc parti de tous ces bijoux que le genre ignore trop vite ou trop tôt, et ce rappel urgent que c’est bien l’écriture qui est la clé de tout, qu’on fasse avec elle des dieux ou de simples refuges pour y rêver un peu. Et auxquelles on retourne pour simplement nous souvenir comme c’était bien.

Il existe encore un pan entier de l’oeuvre de Lumley qui nous est inconnu en France. Souhaitons donc qu’un jour un éditeur ambitieux, et qui n’écoute pas trop la frilosité ambiante, fasse réellement honneur au dernier écrivain vivant ayant su allier style et originalité, dans une œuvre aux confluents de plusieurs registres de la littérature. Des monuments comme Necroscope, Kaï of Khem, Demogorgon, Psycosfere, House of Doors, mériteraient grandement d’être enfin connus et lus en France.

Emmanuel Collot

Légendes des contrées du rêve, Brian Lumley, Mnémos, traduit de l’anglais par Rosalie Guillaume et Isabelle Troin, couverture par Nicolas Fructus, 440 pages, 27 Euros.





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