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  Sommaire - Livres -  A - F -  STARK et les Rois des étoiles
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"STARK et les Rois des étoiles "
Leigh Brackett

Editeur :
Le Bélial Collection Kvasar
 

"STARK et les Rois des étoiles "
Leigh Brackett



Leigh Brackett est-elle encore à présenter ? Celle qui fut à l’origine du meilleur scenario de la saga Star-Wars (L’empire contre-attaque), avait aussi pour elle cette œuvre unique, nourrie d’Edgar Rice Burroughs mais alimentée d’un tel romantisme et d’une telle mélancolie descriptive que d’y replonger est un peu comme revenir à nos chère années adolescentes. Après le magnifique « Livre de Mars » qui est à la base du second volet (le cinquième chronologiquement) de Georges Lucas, nous voici revenu à son œuvre centrale, nourrie des mêmes personnages et autres succédanés légendaires, un peu comme le fera un peu plus tard Moorcock pour ses héros du Mutiverse (Elric, Corum, etc…).
Si dans « Loreleï de la brume rouge » se perpétue tout ce qui fit sa verve poétique, mâtiné de clins d’œil à des personnages récurrents du genre (superbe renvoi au Conan de Howard ainsi qu’au dieu Crom devenu une ville), c’est pour mieux installer cette idée de réminiscence des héros, les uns transparaissant au travers des autres comme dans un très beau jeu d’identités légendaires. L’histoire se déroule dans la ville assiégée de Crom Dhu, quelque sur les bords de la mer Pourpre, enivrent océan gazeux où semblent se synthétiser toutes les passions. L’esprit d’un terrien du nom de Hugh Stark se retrouve, suite au crash de son vaisseau, transféré dans le corps d’un Vénusien, qui lui est traître à sa cité. Plongé au cœur des intrigues dans un monde sophistiqué et barbare, Hugh Stark devra réaliser un véritable exploit s’il veut survivre. Hugh Stark, en tant que première incarnation d’Eric John Stark, fait ici un peu figure de personnage tutélaire, dont ici le comparatif avec Conan est fort à propos. Mais sur un mode plus idéaliste où se reconduit le mythe des frontières transposé ici sur une autre planète. Ne devant sa survie qu’à lui-même, le héros transfiguré emmènera au final la belle avec lui, sur un arrière fond profondément poétique frôlant l’impressionnisme. A noter que c’est Ray Bradbury en personne qui achèvera « Loreleï de la brume rouge », où son trait plus nostalgique se perd entre ces falaises et cette plage, lieux soudain devenus plus commun aux lecteurs, et scène sentimentale où l’auteur des « Chroniques martiennes » s’y remémore sa rencontre avec la belle Leigh Brackett.
On retrouvera dans « Magicienne de Vénus » la même vision chatoyante autour de thématiques universelles du genre épique comme la sauvegarde, la quête, le voyage, tout étant ici prétexte à insuffler dans le récit même cette instance romantique donnant à la solitude et aux personnages que croisent Stark les allures d’un légendaire affecté. C’est cette fois-ci Eric John Stark qui rentre en scène, dans une autre région délimitée par la mer Pourpre. Capturé à Shuruun et réduit en esclavage, Stark découvrira les secrets d’une race très ancienne et disparue, occasion pour lui de mettre fin à l’oppression de la famille décadente et dégénérée des Lhari. Puissante et baroque, la prose de Leigh Brackett exerce la même fascination que celle d’un Howard et le même engouement romantique et mélancolique qu’un Moorcock. Sans parler de cette polychromie des ambiances et la variation des ethnies qui rappellent un certain Jack Vance mais sans jamais vraiment se prendre au sérieux. Bref, une fusion parfaite entre le nomadisme romantique d’une femme (Brackett) et l’esprit conquérant et fondateur d’un homme (Burroughs). Mais, comble du génie, une « passerelle » établie par Brackett presque quarante ans plus tard. Ces voyages sur la belle Vénus constituent en quelque sorte un postulat « maritime », un « dénivelé romanesque aquatique » de toute beauté face aux fresques plus terrestres ou aériennes que dépeint Burroughs dans ses cycles guerriers. Avec toujours en toile de fond cet étrange océan pourpre qui n’aura de cesse de subjuguer les lecteurs. L’élément aquatique est essentiel pour comprendre une œuvre aussi conflictuelle en même temps que fusionnelle.
Petit bémol, la très belle nouvelle, « La lune disparue », incluse dans le recueil éponyme « Océans de Vénus », parus jadis chez Temps Futurs, ne figure pas dans ce recueil. Le ton plus intimiste de cette histoire lunaire mettant en scène un certain David Heath et ses tribulations avec le feu lunaire aurait pu conclure de fort belle manière cette partie consacrée aux nouvelles éparses consacrées à Venus.
« Stark et les rois des étoiles », un inédit, est un très beau « crossover » entre le Stark de Brackett et « Les rois des étoiles » d’Edmond Hamilton. Première et unique collaboration, cette voix à deux mains installe une histoire un peu plus tortueuse que celles qu’on a l’habitude de voir. L’esprit d’Eric John Stark est transféré par le savant martien ermite, Aarl, quelque deux cent mille ans dans le futur. Stark devra prendre contact avec les Rois des étoiles, dans le but avoué de les convaincre de mettre fin à la menace grandissante d’une gigantesque entité qui se nourrit de l’énergie des systèmes solaires, et qui va détruire le nôtre et ceux des Rois des étoiles dans un futur proche. Lors de ce périple, Stark fera la connaissance de Shorr Kan, le dangereux roi d’Aldishar dans les Marches et ennemi irréductible de l’Empereur. Il est à noter ici que Jhal Arn correspond au Zarth Arn dans "Les Rois des étoiles". Le conflit s’achèvera ici par un gigantesque combat spatial, durant lequel ce seront deux conceptions de la vie qui se culbuteront. Jusqu’à un dénouement dramatique….
Si pour Hamilton, tout se joue dans les prémisses de l’histoire, Brackett a toujours besoin d’installer une trame qui déploiera son voile jusqu’au bout de l’intrigue. La méthodique contre l’intuitif ne pouvait donc donner qu’un texte plutôt court, mais aux profondes réflexions sur le pouvoir, le sens à donner à une vie, et la cruauté qu’il y a à ôter la vie à une déité féminine. Stark entend un autre parler dans sa tête et découvre son altérité en même temps que la dualité qu’il y a à exercer le pouvoir, mener une guerre. Le soleil des hommes et mis en danger par une divinité nommée Dendrid, déesse de la mort. Mais qui n’est que la manifestation universelle d’une nouvelle espèce. Et son existence est comme une menace. C’est son espèce ou l’espère humaine. Stark s’alliera avec alors les rois des étoiles pour la vaincre au bout d’un affrontement titanesque. Le ton demeure plus lacunaire, sombre à sa conclusion. On ressortira presque ému de cette histoire où il nous est parlé de coexistence, d’impossibilité de se comprendre autrement que par le combat, sorte d’écho à notre inexpugnable pouvoir quasi divin à détruire pour avancer dans la longue marche de l’évolution. Car, s’il est bien un thème dont il est ici question, et qui fait rémanence, c’est bien celui de la fragilité des individus, et par là même, celui de l’espèce. Mais le fait qu’on sente en même temps qu’une autre possibilité existe, confère à cette histoire un cachet plus tragique encore. Cette idée qu’en ayant fait un choix, Stark et les rois des étoiles ont peut-être sauvé un univers mais pas cette incroyable chance qui aurait pu être de se comprendre, de subsister les uns à côté des autres et non pas les uns à la place des autres. Une puissante réflexion qui fait échos aux génocides qui essaiment malheureusement l’histoire des conquêtes de l’homme, au moyen de cette taylorisation du massacre de masse. Bien plus, un autre thème surgira dans cette histoire, celui opposant symboliquement un certain féminisme si propre à Brackett, et qu’illustre cette déité forcément maléfique. Avec, face à elle, le machisme inhérent aux écrivains d’un certain genre et qu’Hamilton illustre parfaitement avec ses Rois des étoiles. Par-delà le pur épique d’une histoire de genre transparaît soudain une réflexion plus humaniste. Qui, par extension, pourrait concerner un problème avec lequel on n’en a pas fini : la misogynie. A moins que ce ne fut-ce avec humour une fort belle illustration de l’impossibilité pour deux plumes à se concilier, aux antipodes de l’amour qui les unissait. C’est selon.
Rentrons donc dans le vif du sujet avec ce qui occupe les trois quart de ce gros volume, car autant dire que là, le lecteur est comblé au-delà de toute attente.
Pour qui se souvient bien de ses lectures de jeunesse, le cycle de Skaith demeure souvent comme l’une des plus fameuses. Brackett était alors déjà connu pour le très romantique « Epée de Rhiannon » où, encore une fois de plus, c’était la part féminine qui s’exprimait dans le paradigme Burroughsien, souvent de fort belle manière, imagée et subtile. Quand, en 1976, la trilogie de Skaith parut à « la librairie des champs Elysées » les lecteurs avaient été alors très touchés par cette fresque barbare mais se déroulant sur une lointaine planète rousse. La trilogie ("L’Etoile rousse", "Les Chiens de Skaith", "Les Pillards de Skaith") est vite devenue un classique des aventures « extra-solaires » de Stark. Puis, nous sommes en 1987, et la trilogie ressort chez Albin-Michel dans sa désormais mythique collection Epées et Dragons. A cette occasion, trois couvertures seront réalisées par un certain Philipe Caza, qui installera à jamais ce cycle dans le cœur des lecteurs. Trente ans plus tard, Le Bélial remet les couverts et nous gratifient encore ces merveilles dans le cœur de cette intégrale que vous tenez là entre vos mains, des couvertures que nous envient encore même les américains. Caza, plus que quiconque, sut capturer l’atmosphère si particulière du conte de science-fantasy afin de magnifiquement exprimer sa tonalité, ses couleurs, bref une vision qui encore aujourd’hui fait référence. Tout comme Druillet, Caza est probablement l’un des seuls à avoir su inventer cette musicalité si singulière, une imagerie mythologique qui invite à l’un de ces voyages dans ces « ultramondes » où tout est possible.
Stark se rend donc sur la lointaine planète de Skaith qui tourne autour de l’Etoile rousse, dans l’Etrier d’Orion. Là, il remuera ciel et terre pour y retrouver son sauveur, Simon Ashton, celui qui l’avait secouru quand il avait été capturé par des mineurs, quand Stark n’était pas encore Stark mais N’Chaka, « l’homme sans tribu », le jeune orphelin sauvage élevé par les indigènes sous-humains de la Ceinture crépusculaire de Mercure, le seul lieu viable de la planète. Rebelle éternel face aux hégémonies autoritaires, Stark, que des prophéties indigènes annonçaient comme celui qui ferait tomber « la citadelle », apportera donc la révolution parmi les populations opprimées. Les Seigneurs Protecteurs et Hérauts qui veulent maintenir leurs privilèges sur Skaith se mettront en guerre contre Stark. Assumant jusqu’au bout son rôle de leader, Stark voyagera de ville en ville, de déserts gigantesques en cités perdues, pour s’initier à des cultures étonnantes et barbares. Devenu chef de meute des molosses-télépathes à la fourrure blanche, Stark redeviendra N’Chaka pour ouvrir les Imariens aux mondes qui peuplent l’univers, bien au-delà de cette Skaith qui lentement se meurt sous son soleil moribond.
Une fois refermé ce gros recueil de près de 700 pages on demeure étonné encore à quel point cette œuvre incomparable a conservé toutes ses qualités évocatoires mais également oniriques. Décors flamboyants, déambulations pittoresques, dialogues rêveurs, lyrisme de haute volée, tout comme son maître, Edgar Rice Burroughs, Leigh Brackett a su inventer un continent bien à elle dont le modus operandi, l’eau, sert de conducteur à une fantasmagorie où dieux des grands carrefours cosmiques, déités inconnues et héros à la longue descendance mémorielle, se voient tous convoqués pour une fois et une fois encore rejouer les grands drames humains. Mais bien plus, au lieu d’inventer une descendance propre à une race, et gager sur le nationalisme comme l’ont fait d’autres dans le genre, elle tisse un lien plus subtil entre des héros incarnant tour à tour des identités diamétralement différentes. Il s’agit donc ici d’une réminiscence pour laquelle la mécanique du souvenir se réalise par l’accomplissement de la quête forcée par un jeu de circonstances. Stark et son double, N’Chaka, dit « l’homme sans tribu », voir encore « homme sombre », génère un lien universel inter racial entre, d’une part Stark, un blanc, et N’Chaka, un africain, dont la forme nominale renvoie bien au Chaka des Zulus. Remarquons qu’une fois de plus, c’est bien cette littérature populaire tant décriée par la critique de bon aloi qui marque le ton et brise les différences en inventant un véritable cosmopolitisme sans frontières autres que le rêve, une esthétique puissante, l’amour, le fracas des armes, et la liberté. Une très grande oeuvre à posséder chez soi, pour la faire partager à ses enfants ou pour la relire soi-même afin de se souvenir quelle enfant on fut ou quel enfant on aurait du être.
Un seul petit regret, celui de ne pas avoir retrouvé dans les pages de ce très bel ouvrage les cartes jadis incluses dans l’édition « Epées et Dragons » chez Albin-Michel. Hormis ce petit manque, on est assuré de passer un très grand moment de lecture redynamisé par une belle révision des traductions de l’époque.
N’oublions pas enfin, le travail immense d’Alain Sprauel dans l’élaboration d’une bibliographie fouillée et précise sur Brackett.
Ainsi que la superbe couverture d’Elain Black’Mor.

Emmanuel Collot

Stark et les Rois des étoiles, Leigh Brackett, Ray Bradbury & Edmond Hamilton, couverture par Elian Black’ Mor, illustrations intérieures par Caza, 693 pages, ouvrages dirigé par Pierre-Paul Durastanti, 704 pages, 26 Euros.





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