SF Mag
     
Directeur : Alain Pelosato
Sommaires des anciens Nos
  
       ABONNEMENT
Sfmag No122
118

11
F
é
v
RETOUR à L'ACCUEIL
BD   CINÉ   COUV.   DOSSIERS   DVD   E-BOOKS  
HORS SERIES    INTERVIEWS   JEUX   LIVRES  
NOUVELLES   TV   Zbis   sfm   CINÉ-VIDÉOS
Encyclopédie de l'Imaginaire, 18 000 articles
  Sommaire - Livres -  S - Z -  La Flamme Chantante
Voir 103 livres sur le cinéma, romans, études, histoire, sociologie...


"La Flamme Chantante "
Clark Ashton Smith

Editeur :
Actes Sud Collection « Un endroit où aller »
 

"La Flamme Chantante "
Clark Ashton Smith



Philip Hastane, nous rapporte dans l’avant propos de ce livre l’histoire de son ami Giles Angarth et de son ami peintre Ebbonly, tous deux disparus dans d’étranges circonstances quelque part dans la région de Crater Ridge. Philip Hastane finira par recevoir un colis adressé à son nom que des habitants proches de la région où il a disparu ont découvert dans sa cabane. Philip y découvrira un livre et une note indicative concernant une bien étrange expérience. Comment son ami Angarth découvrit une porte dimensionnelle figurée par deux rochers ressemblant à deux colonnes brisées. Comment enfin, après s’y être aventuré en premier seul il y entraîna son ami Ebbonly pour ne plus jamais en revenir. Sceptique au départ, et s’accrochant au sacro-saint espoir de n’y voir là qu’une mystification d’écrivains farceurs, Philip finira par suivre son instinct et gagner Crater Ridge. De là, il suivra le même itinéraire que son ami pour, à son tour, trouver la porte, et pénétrer dans un univers aussi fascinant qu’effrayant, où des créatures issues de multiples mondes se dirigent toutes vers une mystérieuse flamme chantante dans laquelle elles finissent par se jeter. Mais Hastane prendra vite conscience que cet univers semble lui-même être menacé par de mystérieuses forces destructrices…
Les éditions Actes Sud sont peu connues pour leurs publications en fantastique, fantasy ou sf. Mais prendre le pari aussi risqué de republier un texte aussi difficile à comprendre s’avère au final être une bien belle initiative. Pourquoi ? Parce que sous les oripeaux classique du récit de pulps se révèle ici ni plus ni moins un véritable manifeste sur le genre en particulier et sur l’art en générale. Le fait que cette flamme étrange attire les ressortissants de mondes multiples révèle en premier lieu un caractère universaliste. Nous sommes au début du vingtième siècle, et Clark Ashton Smith, tout comme Lovecraft et Howard, est l’un de ces poètes maudits, un de ces laissés pour compte qui s’identifient tellement à cette plèbe de paysans que la nouvelle industrie chasse des campagnes. Ensuite, si la musique étrange qui en émane les pousse tous à s’immoler pour l’art révèle bien qu’il s’agit bien d’une métaphore sur la créativité et la liberté de créer, et contre le monde et contre la vie. La flamme qui chante, c’est l’étincelle de la créativité qui parle tant à l’artiste qui conceptualise, et au spectateur qui admire, se nourrie. C’est cette imagination permise encore à ceux qui osent rêver dans un monde de plus en plus raisonnable, policé et intolérant.
Cette nouvelle doit donc s’entendre ici comme d’un véritable manifeste surréaliste envers le créateur et contre le consumérisme. La « dimension intérieur », qui permet ainsi aux artistes de s’épanouir dans une sphère bien précise de cette flamme chantante, amènera donc le lecteur à penser que derrière l’acte de l’immolation c’est bien une sublimation de l’esprit enfin libre de la contingence qui se cache, et où rêveurs et idéalistes trouvent satiété. La fin de l’histoire est en soit emblématique en un temps où on sentait bien que les choses allaient être bouleversées par l’essor des nouvelles technologies et les nouvelles méthodes de travail. Tout comme Chaplin au cinéma, Smith se fait le chantre de ce monde qui disparaît, en nous contant son déclin sous la forme d’une histoire fantastique. Ainsi, les deux piliers figurés par deux rochers, Boaz et Jakin en maçonnerie, figurent le passage de la mort vers la vie supérieure, consacrée par l’art. Cette constante de deux piliers ou deux colonnes, qu’on retrouve un peu partout dans l’histoire humaine, démontre bien que l’auteur a aussi des visées ésotériques dans cette histoire. Mais ces colonnes sont brisées, signe qu’elles sont atteintes par un mal pernicieux, celui des nouveaux démons du libéralisme industriel nés avec le capitalisme. Chose retrouvée au final de cette nouvelle où, à côté de la cité étincelante se manifestera très vite une autre cité, une sorte de contraire à celle-ci, noire et envahissante, corrosive et destructrice.
Publiée en 1931, deux ans après la crise de 1929, cette nouvelle raconte pourtant des faits se déroulant en 1938. C’est d’autant plus troublant que seul Ebbonly, l’artiste peintre, succombera à cette aventure, faisant d’Hastane et d’Angarth des sortes de « survivants ». La chose est ici à souligner quand on sait que, des trois mousquetaires de Weird Tales, seuls deux survivront aux années 30 : Lovecraft et Smith. Robert Ervin Howard (1906/1936), qui était également un dessinateur de talent, restant sur les pavés de l’ancien monde. Etrange correspondance littéraire, par-delà temps et espace, la Flamme chantante est l’exemple même d’un manifeste né sur la mort d’un artiste. Et qui aujourd’hui encore nous parle à plus d’un titre dans un monde d’autant plus libre et vaste qu’il ménage peu de place aux différents, aux surclassés et aux artistes, face à une société sédentarisée et mercantile où, derrière le mythe élitiste des plus forts et des plus riches, se cache celui plus médiocre des cancres opportunistes et des plagiaires formatés. Bref, le règne de l’homme sans qualité chevauchant le cheval d’acier écrasant les rêveurs et les artistes, au nom du grand dragon industriel.
Même si Smith s’est distingué dans une œuvre fantastique faisant la part belle à une géographie du fantastique peuplée de continents perdus et d’îles inconnues, cette nouvelle, qui pourrait être introductive à son œuvre, révèle les préoccupations d’un homme qui était également artiste et poète mais qui était capable de s’adapter à un modèle de vie ne faisant plus la part belle aux rêveurs. Ce que la métaphore de cette Avalon définitivement perdue de sa nouvelle synthétise de la plus belle et touchante manière. Comme si, l’art n’avait pas de frontière ni de limite, s’adressant à tout ce qui conceptualise, rêve et invente, par-delà même le truisme de l’espèce. Bouleversant et sincère.

Emmanuel Collot

La flamme chantante, Clark Ashton Smith, nouvelle traduite de l’américain par Joachim Zemmour, éditions Actes Sud, collection « un endroit où aller », 112 pages, 14 Euros.





Retour au sommaire