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Sommaire - BD -  Le Making of de l’empire contre-attaque


"Le Making of de l’empire contre-attaque " de J.W. Rinzler


Les livres autour du phénomène Star Wars ne se comptent plus. Aussi, les fans pourront-ils se demander en quoi ils devraient ne pas faire l’impasse sur un pavé de plus concernant un mythe dont on doit savoir à peu près tout. Et bien, une fois n’est pas coutume, reconnaissons aux éditions Akileos le mérite de faire les meilleurs choix en publications. Après les anthologies d’intégrales de comics populaires (Tales from the crypt, etc...), voilà qu’ils nous publient peut-être la somme la plus considérable et la plus exacte que puisse se faire concernant un tel monument. Monument, parce qu’une fois n’est pas coutume, ce livre, loin des hypocrisies commerciales, y reconnait ses qualités autant artistiques que philosophiques. Artistiques, car un tel film est la somme de multiples talents graphistes, maquettistes et décoratrices. Philosophiques, parce que bien loin de nous servir un gros soufflet bourré d’effet et peu d’âme, ce film nous interroge encore et toujours, et sur nous, et sur nos rapports à l’autre, au mal, au père, et donc à notre culture monothéiste par le biais d’un modus operandi symboliste et bouddhiste. Agrémenté de chapitres enjoués aux intitulés pittoresques nous permettant de faire un retour vers le passé, cet ouvrage nous ouvre en quelque sorte une boîte de pandore du cinéma. Tout y est, à l’état brut. Croquis, story board, anecdotes, jouets, maquettes, diverses versions de scènes, décors, et bien plus encore. Cet ouvrage, dont l’optique très art et essais nous dévoile le côté amateur et free-lance de la chose, explore également le côté profondément ludique. Cette approche transformera donc la vision purement commerciale que le fan pourra avoir de ce film en un gigantesque court métrage peut-être le plus dur à réaliser de toute l’histoire du cinéma, en même temps qu’une formidable aventure humaine.
Et l’auteur explore tout, livre une œuvre monumentale à un public qui soudain retombe en enfance, et ce souvient de ce jour, ou ce soir, au cours duquel, dans un petit cinéma et dans une petite salle, une maman ou un papa les avait emmenés voir un ovni cinématographique, une folie picturale pleine de bruits et de fureurs, de sentiments et d’humour. Du tournage en Norvège et ses inconvénients, aux complexités techniques pour faire de ce film un hymne à la grande aventure mystique, tout nous est donc dit, avec un accent particulier qui est de ne pas oublier d’où vient un tel film : d’un écrivain nommé Leigh Brackett. De fait, tout comme il nous faut savoir que Han Solo sans le Northwest Smith de Moore et le Morgane Shane de Hamilton ne serait rien, toute l’architectonique de l’empire ne serait rien sans les visions martiennes d’une certaine Leigh Brackett qui, reformulées dans un contexte plus « multi-climatique » accoucha d’une véritable fantasmagorie, une fusion non seulement artistique mais culturelle. Même si on est encore en attente d’un réel ouvrage nous racontant comment Star-Wars est devenu Star Wars grâce à des écrivains populaires, ce livre monumental a l’avantage de nous remémorer combien l’écriture d’un scenario se fait par couches successives, d’emprunts à de multiples références culturelles, de maturations au grès des évolutions de l’histoire, jusqu’à accoucher d’une mouture parfaite munie d’une amorce qui, tout en étant novatrice, prend en compte et ses influences et ses volitions finales en quelque chose de plus vaste. Et de si réaliste que le processus de croyance s’y greffe comme si c’était une vérité dès lors admise par tous. Et c’est bien tout le pouvoir de Star Wars, nus faire croire par le rêve, combler ce que les religions ne peuvent plus faire de nos jours. Bref, nous redonner foi au futur avec entrain et jubilation, sans pour autant prendre le risque de nous faire croire que tout sera heureux, le tout sous-tendu d’un politique nous prouvant bien que les bons et les méchants ne seront pas aussi facilement détectables que dans un film pour enfants.
Film le plus mature de la saga, et paradoxalement le plus rêveur, l’empire contre-attaque est le volet fondateur d’un mythe aux dimensions de l’humanité puisqu’il éclaire le dogmatisme par le subterfuge d’un bouddhisme proto chrétien dans lequel c’est bien l’homme qui est replacé au centre de toutes choses, l’homme qui peut changer le monde. L’élu, le messie étant ici un simple prétexte pour nous démontrer qu’il ne tient qu’à nous de devenir le héros de notre propre vie, aussi humble soit celle-là. L’empire contre-attaque est également le plus scolaire de la saga, puisque abandonnant l’enfance insouciante de La guerre des étoiles il coupe le cordon avec le père pour instaurer la zion schizophrénique à partir de laquelle l’adolescent en passe d’être adulte choisira de devenir manuel ou artiste. Le chevalier Jedi semblant ici incarner un fascinant compromis entre l’homme manuel et l’homme artiste, nous conduisant plus loin à un second compromis, entre l’homme-médecine, à savoir le pouvoir de la force autour de nous et non pas encore à l’intérieur de nous, et l’homme-artificiel, c’est-à-dire (la main robotisée de Luke) l’homme supplée par une science capable de palier au handicape du manque, du vide, par le recours à la prothèse qui imite, voir augmente les capacités physiologiques. Le cerveau magique du reptilien face au génie cybernétique du Gris, les deux reliés par une espèce de sagesse duale dans laquelle deux pouvoirs en lutte trouvent l’ataraxie, la tranquillité de l’âme en une certaine mesure. C’est cette histoire secrète que nous raconte aussi l’empire contre-attaque, dont les deux extrêmes sont magnifiquement incarnés par Yoda le sage reptilien et Vador, le terrible et faustien gris-cyborg.
Immense boîte à jouet qui soudain nous fait redevenir enfants, ce making-of remarquable nous épluche un film sous la forme de chapitres d’un roman qui, lui, nous raconte l’histoire d’une odyssée collective comme celle d’une Amérique secrète, où deux manières de voir et construire le monde s’affronteraient à jamais. Une Amérique secrète cachant peut-être une vérité plus extraordinaire qu’on ne le croit de prime abord. D’où ce sentiment d’universalité ambigu qu’on ressent au contact d’un tel mythe, cette familiarité aux indicibles résonnances qui nous enchante et en même temps nous terrorise. Il n’en demeure pas moins qu’on demeure fasciné par un tel travail collectif qui, bien loin de revendiquer la puissance d’un empire financier, nous parle d’une bande de copains passionnés qui allèrent contre le système afin d’inventer leur propre système. Certes, l’ironie veut que les rebelles soient devenus les impériaux, la bonne vieille redite du serpent qui se mord la queue. Mais l’idée est là, elle, immuable, cette possibilité de faire sa petite entreprise, et en quelque manière, la faire grandir, fructifier, au risque d’en faire un autre système de cannibalisme collectif.
On ressort éblouis de ce voyage, un peu nostalgique aussi, forcément, le temps terrestre étant toujours plus décevant que le temps du rêve. Mais une lumineuse idée s’emparera alors de nous. Celle nous révélant que ce sont ces rêves sur grand écran qui nous ont permis de supporter un monde où il y a trop de bruits en dessous d’un ciel où il ne se passe décidément rien. Et on ne peut que remercier en retour ceux qui nous ont appris à rêver dans cet « outre-monde » où les lasers et les vaisseaux font du bruit dans le cosmos, et où il y aura toujours une belle princesse qui nous attendra quelque part, peu importe la couleur de sa peau ou ses origines culturelles. Ce qui fait de cet ouvrage complet et sincère une bien belle ballade au pays de la libre entreprise, mais également dans les greniers à rêves d’un grand inventeur de génie : Georges Lucas. Un livre tout à fait indispensable. Et que la fort belle préface d’un Ridley Scott justifie l’achat à plus d’un titre.

Emmanuel Collot

L’empire contre-attaque, J.W. Rinzler, préface de Ridley Scott, Akiléos, 361 pages, 55 Euros.




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