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"Le Portrait de Madame Charbuque"
Jeffrey Ford

Editeur :
Pygmalion
 

"Le Portrait de Madame Charbuque"
Jeffrey Ford



Le portrait de Madame Charbuque
Jeffrey Ford
Pygmalion
10/10

L’année 1893. Piambo, un portraitiste talentueux, préside au vernissage de ses toiles dans une galerie, quelque part en Amérique. Lassé des mondanités et du conformisme, il s’en va de part les rues nocturnes, charriant avec ses pas son mal de vivre et ses espoirs déçu, seuls héritages d’un artiste concurrencé par l’essor impertinent de la photographie. C’est là, qu’à la croisée des chemins, l’effleurement d’une canne lui fait faire une rencontre étrange à la lueur des réverbères aux lumières trompeuses. Un homme se nommant Watkin l’aborde et lui fait une commande pour une dame dénommée Mme Charbuque. Elle ne veut que Piambo pour exécuter son propre portrait. Réticent de prime abord, Piambo demande réflexion, puis s’en retourne à son domicile. Mais happé par cette étrange demande, et rongé par le superficiel de sa vie d’artiste pleine de suffisance, il finira par accepter et se rendre au rendez-vous, qui, il ne le sait pas encore, le mènera sur les rivages obscurs et diaboliques d’une rencontre sans nom, quelque part dans une région proche de l’enfer.

Mme Charbuque s’y révélera être le modèle invisible (Pirambo ne doit pas la voir, juste la deviner et discuter avec elle au travers un paravent) qui lentement et sûrement rongera sa vie par morceaux, car telle Circé, elle procédera au pire des envoûtements et entraînera l’artiste en un voyage terrible vers le meurtre, la terreur et une conclusion pour le moins étonnante où son terrible secret se révélera enfin aussi surprenant que touchant.
Inutile de cacher notre plaisir, Le Portrait de Mme Charbuque est probablement l’oeuvre de fantastique classique que beaucoup espéraient depuis longtemps. Tout en ayant un fort référentiel aux mythes de la femme démon, à la femme prédatrice, ce roman est également une remarquable étude sur l’artiste et son oeuvre. En fait, Jeffrey Ford se réfère inévitablement au fameux Portrait de Dorian Gray de Oscar Wilde mais il prend le processus d’anéantissement du héros en son effet inverse. Si la relation univoque entre Basile Hallward et son portrait promettait cette délégation des fautes de l’original vers son modèle, l’élaboration par la suggestion verbale du portrait de cette Mme Charbuque se réalise par la dégradation existentielle, artistique et affective de Piambo. Charbuque est une autre Lilith que les traditions orales préconisaient d’éloigner des maisons en inscrivant sur les portes des foyers conjugaux "Adam et Eve peuvent rentrer ici mais pas Lilith la Reine" . Superbe parabole sur le double androgyne, l’ange de lumière déchu (Luciere) , ce roman est également un portrait de l’art victorien et celui d’une époque où les vapeurs de l’opium côtoient l’histoire d’un passage, d’une transmutation, celle d’un portraitiste en un paysagiste dont le portrait symbolique mais authentique se réalisera dans la conjonction de ses oeuvres. Jeffrey Ford, qui s’était révélé dans sa superbe trilogie de Cley (Edition j’ai lu) , où il dépeignait avec la sensibilité d’un peintre des visions empruntées à Dante mais à la manière d’un carnet de voyageur en pays lointain, nous montre toute l’ampleur de son talent dans ce roman émouvant, où même le mal féminin, dans son duel androgyne et ses contradictions, peut toucher au coeur, et la perte inévitable de ce qu’on a été se révéler être une véritable métamorphose, plus, une maturation.

Emmanuel Collot

Le Portrait de Mme Charbuque, Jeffrey Ford, Editions Pygmalion, traduit de l’américain par Jacques Guiod, 287 pages, 21,20 Euros





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