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"Ilium"
Dan Simmons

Editeur :
Robert Laffont
 

"Ilium"
Dan Simmons



ILIUM
Dan Simmons
Robert Laffont
10/10

Force est de reconnaître que sans pouvoir être assimilées aux autres productions fleuve que nous a offert la Science-fiction, les engeances livresques de Simmons font toujours sensation.

Après son cycle métaphysique et cérébrale aux relents Barkeriens (les corps en transformation, les corps meurtris, etc.....) de Hyperion et ses suites plus contrastées, Dan Simmons nous revient avec cet étrange récit qui va une fois de plus provoquer le même effet dans les esprits qui vont en partager la lecture : un texte qui laisse bien loin la production courante et une histoire qui va en déconcerter plus d’un.

On aurait pu croire à une version futuriste de la guerre de Troie, comme il est parfois de coutume en SF, mais l’auteur n’est pas un fabuliste, pas un uchroniste et encore moins un utopiste. Non, Simmons, dans ce livre, opère à un changement de perspective et renverse les poncifs bien établis chers à Homère. En fait il réinvente l’esprit grec et il en établit le paradis bien plus haut, dans les étoiles, et mêlera subtilement, de fait, destinée humaine et desseins des dieux, mais également roman réaliste et questionnement sur le sens de la culture.

Dans ce récit, les dieux de l’Olympe sont en quelque sorte des grands anciens, des posthumains qui ont depuis longtemps assimilé les pouvoirs ouverts jadis par le développement des sciences, à tel point qu’ils ont touché à une immortalité totale et des pouvoirs quasi-illimités. Ainsi, de leur propension à traverser espace et temps, ils en tireront cette possibilité de jauger l’histoire humaine et, de fait, le pouvoir d’intervenir dans le devenir des hommes.

Mars est leur nouveau Mont Olympe. Ils siègent sur le plus haut volcan de l’univers. Devenus spectateurs amusés d’une guerre qui déchire le monde humain en bas, sur terre, ils jouent à comparer cette guerre avec celle de jadis contée dans l’Illiade d’Homère. Seul Zeus ne semble plus devoir en connaître l’issu. Dans leur ennui, ces dieux de la nanotechnologie vont se faire un devoir de vérifier si La guerre de Troie est conforme au récit de Homère. Pour se faire ils recrutent un corps de vérificateurs, les Scholastes.

Thomas Hockenberry sera de ceux là. Professeur d’université du 20e siècle ressuscité pour l’occasion, il sera engagé par Aphrodite pour aider le Troyens à la victoire et, si possible, assassiner Athénée. Ces Scholastes vont donc servir d’agents pour faire triompher les ambitions contradictoires de dieux tout puissant, empruntant des identités de l’époque concernée. Or, les Moravecs, qui sont des intelligences artificielles oeuvrant aux environs de planètes extérieures, semblent très inquiets des puissances quantiques émises par la planète Mars.

Ophu d’Io et Mahnmut seront dépêchés pour tenter de contrer cette menace qui joue contre l’avenir de l’univers tout entier. Et pendant ce temps, sur Mars, la population autochtone érige des statues, un peu comme les peuplades jadis le firent sur l’île de Pâques. En bas, sur Terre, les hommes retournés à un état similaire aux Elois de Wells, ont régressé vers un mode de fonctionnement proche d’un hédonisme décadent soumis à l’œil attendrit des Voynix, une race d’extra-terrestres métalliques aux origines brumeuses et dont le mode de déplacement est basé sur le système des portails, un peu à la manière de Stargate.

Inutile de bouder notre plaisir, Ilium est une remarquable réinvention du panthéon des dieux grecs dans toute leur splendeur et toute leur décadence, cette humaine aura divine qui fait d’eux un miroir du futur possible des hommes arrivés au bout de leur évolution scientifique. Ils constituent une sorte d’assemblée divisée et chaotique, aux complots multiples et manigances malsaines. Bref, ils nous rejouent les rois maudits traversés par l’humour et la décadence.

Trois axes se dessinent au travers de cette fresque. Hockenberry le ressuscité, une sorte de pierre angulaire d’un réseau d’intrigues qui va l’entraîner dans une monstrueuse chaîne de pouvoirs et contre-pouvoirs. C’est que la vie quotidienne des dieux grecs n’est pas des plus simples. Simmons nous les rend terriblement familiers, et en cela il respecte l’esprit grec voulant que ces dieux participent au monde des hommes, n’échappant pas aux jeux de pouvoirs et autres passions humaines.

L’autre mouvement de cet Ilium est à chercher dans cette histoire parallèle, celle des deux envoyés des Moravecs, Ophu d’Io et Mahnmut, qui sont les voix de Shakespeare et de Proust. A travers cette aventure plus intimiste, Simmons nous interroge sur les implications possibles de la culture dans les interrogations sur les effets du quantique sur l’espace temps. Deux visions du monde, deux voix, deux regards d’écrivains/penseurs pour faire du parcours des personnages le chemin de la culture vers le scientifique. De plus, les échanges entre les deux personnages sur des questionnements purement structuralistes quand au vers à neuf pieds ouvrent sur une parenthèse poético-intellectuelle, belle et pertinente (le système dit des structures saillantes n’est pas loin et très à propos dans ce contexte imaginaire, encore une autre prouesse de Simmons) . Comme si le but et le chemin constituerait une constellation de lieux communs et une identité de genre que seraient le savoir et ses constituants. L’humour de ces dieux perdus est remarquablement illustré par l’auteur, un humour qui se distille dans les rapports entre eux et avec leurs agents scholastes.

L’autre histoire et troisième mouvement de cette fresque, c’est celle de cette nouvelle odyssée menée par un jeune homme sur terre. Il suivra avec d’autres un vieillard presque centenaire à la recherche d’un vaisseau pour partir dans les étoiles et accomplir une nouvelle quête d’éternité, en fait quelques années de vie supplémentaires. Car sur Terre on a redécouvert l’écriture et donc la soif d’établir une légende, une histoire.

Trois histoires prises dans la grande histoire, elles n’en demeurent pas moins liées, et c’est là une autre des réussites de Dan Simmons. Même si l’intrigue sur terre peut paraître plus faible car plus juvénile et aventureuse (on pense au space opera et ses arlequinades lasers/quête de l’aventure pour l’aventure), le récit plus "martien" compense et même fait effet de contraste, histoire de rappeler que les trois intrigues ne sont là que pour plaire à la grande histoire des dieux. On y fait la guerre, cette guerre entre Troie et ses assaillants qui par la sauvagerie qu’elle dégage (on y sent presque l’odeur du sang !) n’a rien à envier aux récits de la fantasy barbare. Les chars célestes aux chevaux holographiques, les déplacements quantiques dont font usage les dieux sont là pour nous donner une image de notre devenir futur, et une très belle illustration de la pensée grecque, si humaine, si présente au monde mais modernisée, actualisée par les sciences du futur. Dan Simmons a le même impact qu’un Herbert en son temps et dans dix ans ce sera lui qu’on copiera.

Attention, chef d’oeuvre !

Emmanuel Collot

Ilium, Dan Simmons, Robert Laffont, traduit de l’américain par Jean-Daniel Brèque, 612 pages, 23 Euros.





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